Dans une publication écrite sur la plateforme d’Elon Musk, X, le président Trump a annoncé l’arrivée de nombreuses nouvelles mesures tarifaires, en s’appuyant sur une conception erronée du fonctionnement des cadres fiscaux et commerciaux de pays étrangers (et du sien). Voilà qui devrait certainement semer le chaos au sein des institutions douanières et fiscales de ces pays étrangers (et du sien). Chaque phrase de son annonce est inquiétante.
« J’appliquerai des tarifs RÉCIPROQUES aux autres pays, c’est-à-dire la même chose que ce qu’eux imposent aux États-Unis d’Amérique, ni plus ni moins! »
Bien entendu, aucun pays n’impose des tarifs aux États-Unis d’Amérique en particulier. Les tarifs douaniers sont payés par l’importateur lorsqu’il fait entrer des marchandises étrangères dans son pays; il transfère ensuite ces coûts aux consommateurs. Les tarifs reposent sur des taux négociés dans des ententes commerciales multilatérales (les Accords de l’OMC), régionales (l’ACEUM) ou bilatérales (l’AECG). Ils visent à atteindre un équilibre entre négociations et intérêts, deux principes institutionnels parmi ceux qui forment la base du commerce international depuis 1947. Retourner au concept de réciprocité signifierait mettre fin à près de 80 ans de stabilité, engendrerait des coûts faramineux et provoquerait une grande incertitude administrative et commerciale. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg.
« En ce qui concerne les pays qui imposent une TVA, les États-Unis traiteront cette taxe, un système bien plus punitif que les tarifs douaniers, comme un tarif en soi. »
Soit, c’est la première fois que le président américain reconnaît que les tarifs douaniers sont une taxe. Toutefois, il est difficile de prouver que la taxe sur la valeur ajoutée est « bien plus punitive » (ni même légèrement plus punitive) que des tarifs douaniers.
N’oublions pas que les tarifs douaniers sont une taxe indirecte cachée dans le prix d’un bien importé. Le consommateur les paie sans le savoir. Une taxe sur la valeur ajoutée, comme la TPS, s’applique à la fois aux produits locaux et importés et repose généralement sur un système complexe de crédits de taxe sur les intrants.
Supposons qu’un distributeur achète 100 articles. Il paie la TPS sur le prix de gros de ces articles. Il les vend ensuite à 10 magasins. Chacun de ces magasins achète les articles à un prix plus élevé que ce qu’a payé le distributeur, puis paie la TPS sur cette transaction.
Pardon? La TPS s’applique deux fois? Oui et non : le distributeur verse uniquement à l’ARC la différence entre la TPS qu’il a perçue de son client et celle qu’il a payée lors de l’achat initial. La même logique s’applique ensuite lorsque le magasin vend l’article au consommateur final. Résultat : la TPS n’est payée qu’une seule fois, soit lorsque le client achète l’article au bout de la chaîne.
Ce n’est pas tout : un crédit de taxe sur les intrants peut aussi être accordé pour d’autres dépenses liées à l’activité commerciale (la liste se trouve sur le site de l’ARC), ce qui n’est pas le cas avec les tarifs douaniers.
Par conséquent, une TVA n’est aucunement « punitive », et encore moins « bien plus punitive » que des tarifs douaniers.
« De plus, nous prendrons des dispositions contre les pays qui accordent des subventions pour profiter économiquement des États-Unis. »
En fait, les États-Unis le font déjà. Il s’agit des mesures compensatrices les plus anciennes et les plus élaborées au monde. Les Canadiens, en particulier les exportateurs de bois résineux, les connaissent très bien.
« De même, nous prendrons des mesures contre les tarifs non monétaires et les autres barrières commerciales que certains pays nous imposent afin de bloquer l’entrée de nos produits ou d’empêcher nos entreprises de s’installer sur leur territoire. »
Qui sait ce que sont des « tarifs non monétaires » ou comment ils peuvent être quantifiés si, justement, ils ne sont pas de nature monétaire. Quoi qu’il en soit, les barrières non tarifaires sont déjà hautement réglementées à l’international : Les articles III et XI de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce empêchent les mesures intérieures discriminatoires et les interdictions d’importation, l’Accord sur les obstacles techniques au commerce encadre les règlements techniques et les normes, et l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires vise à protéger notre santé et à assurer l’innocuité des produits alimentaires.
Nous sommes donc en mesure de déterminer le coût de ces barrières commerciales soi-disant non monétaires.
« Vous n’aurez pas de tarifs douaniers à payer si vous fabriquez votre produit aux États-Unis. »
Cette phrase est d’une touchante naïveté. Cela dit, elle nous permet d’aborder finalement le principal constat de l’annonce : Pourquoi imposer des tarifs alors qu’il suffirait simplement de négocier? Ultimement, cette déferlante d’annonces commerciales est de l’autarcie mercantiliste. La raison finira par l’emporter, mais pas avant que le tissu commercial international ait été gravement atteint et que la parole des États-Unis en ce qui concerne les accords commerciaux ait grandement perdu de sa valeur.