Les nouveaux tarifs douaniers que souhaite imposer l’administration Trump dans un avenir rapproché créent une grande incertitude pour les entreprises, les travailleurs et les syndicats du pays. On s’est amplement penché sur les enjeux commerciaux et économiques de ces tarifs, mais il ne faut pas oublier leurs répercussions sur les enjeux liés au droit du travail et de l’emploi.
De nombreux employeurs, en particulier ceux de secteurs tributaires des exportations comme la fabrication, l’acier et l’aluminium, devraient s’attendre à voir les tarifs faire augmenter les coûts, perturber les chaînes d’approvisionnement et exercer des pressions financières qui pourraient entraîner des contractions d’effectifs. Ils pourraient également être confrontés à des défis liés aux négociations collectives, à la renégociation de contrats et au respect des lois sur les normes d’emploi, sans parler de ceux qui toucheront les contrats qu’ils concluent, habituellement fondés sur des coûts fixes, sinon légèrement variables – mais jamais majorés de l’ordre de 25 %.
Dans cette série d’articles, BLG explorera les principaux points que les entreprises canadiennes devront prendre en compte relativement au droit du travail et de l’emploi en prévision de ces nouveaux tarifs potentiels. Le premier se penche sur ce que les employeurs devraient considérer s’ils envisagent des mises à pied temporaires, y compris les façons de répondre aux préoccupations de leurs effectifs au fil de l’évolution du contexte tarifaire. Le sursis de 30 jours annoncé leur donnera le temps d’établir une stratégie pour amortir le choc provoqué par les tarifs sur leurs activités et leur personnel.
Partie 1 – Effet des tarifs américains : Mises à pied temporaires et autres avenues
Mises à pied temporaires
Par mesure préventive, les employeurs pourraient se résoudre à faire des mises à pied temporaires afin de contrer les pressions financières à court terme, de façon à s’offrir une certaine souplesse en vue de la reprise à venir.
Ils n’ont toutefois pas automatiquement le droit de le faire dans la plupart des provinces régies par la common law, à moins que les contrats de travail ou conventions collectives le stipulent expressément, ou encore qu’il ne s’agisse d’une pratique établie dans le secteur. À défaut de l’une ou de l’autre option, ces mises à pied pourraient être vues comme des congédiements déguisés – même au Québec, malgré son cadre réglementaire différent –, lesquels obligent l’application d’indemnisations.
De plus, la législation provinciale en matière de normes d’emploi limite la durée des mises à pied temporaires, au-delà de laquelle l’emploi est réputé avoir pris fin, ce qui exige le versement d’indemnités de préavis ou de cessation d’emploi.
En outre, dans certaines provinces, on impose des obligations supplémentaires en cas de licenciement collectif; pensons par exemple au Québec, où ces obligations s’appliquent dès qu’au moins 10 personnes d’un même établissement sont licenciées ou mises à pied pour un minimum de 6 mois au cours d’une période de 2 mois consécutifs, ou encore à la Colombie-Britannique, où elles s’appliquent si plus de 50 personnes sont remerciées en moins de deux mois.
Les employeurs qui veulent agir rapidement devraient donc examiner attentivement leur situation et déterminer tout particulièrement l’incidence financière réelle des tarifs avant de réduire leurs effectifs.
Force majeure et leçons tirées de la pandémie de COVID-19
La jurisprudence canadienne a établi à maintes reprises que la pandémie de COVID-19 ne dégageait pas les employeurs de leurs obligations aux termes de la législation sur les normes d’emploi, notamment celle de fournir un préavis de licenciement individuel ou collectif, une indemnité de départ ou une indemnité tenant lieu de préavis.
Par conséquent, les employeurs devront éviter d’invoquer le contexte économique pour se justifier de ne pas respecter les exigences minimales prévues par la réglementation sur les normes d’emploi (notamment dans un contexte où une mise à pied passe de temporaire à permanente). Ils devraient également envisager de faire une évaluation de risques approfondie, puisque des mesures visant à réaliser des économies à court terme, mais non conformes aux lois, pourraient avoir l’effet inverse à long terme et venir déstabiliser les stratégies financières de la direction.
Compte tenu de ces nuances juridiques, les employeurs devraient mesurer soigneusement leurs obligations avant de procéder à des mises à pied temporaires. Si des tarifs douaniers sont instaurés et que les pressions économiques s’intensifient, les entreprises pourraient devoir transformer des mises à pied temporaires en réductions permanentes de main-d’œuvre.
Les employeurs seront d’entrée de jeu forcés d’envisager cette possibilité, entre autres éventualités, afin de réduire au minimum les risques juridiques et financiers et la perturbation de leurs activités. Il pourrait par exemple leur être nécessaire de revoir leurs conditions de travail, ce qui leur demanderait de se pencher sur tout un ensemble de considérations juridiques pour éviter de s’exposer à des risques; nous y reviendrons dans l’un de nos prochains articles.
Quoi qu’il en soit, au vu de l’incertitude entourant ces mesures, les employeurs agiraient de manière prématurée s’ils réduisaient leurs effectifs, puisqu’ils ne disposent possiblement pas encore de données leur permettant de déterminer précisément les répercussions sur leurs finances et leurs activités. Il leur est donc essentiel de surveiller en continu la situation et de préparer des plans d’urgence afin d’atténuer les risques.
Communication avec le personnel
Compte tenu des circonstances, notamment l’annonce du report des tarifs douaniers, tous et toutes au sein des effectifs auront des craintes et des questions concernant l’avenir de leur emploi. Dans ce contexte difficile, on ne peut négliger l’importance de leur communiquer l’information de manière efficace et opportune. De fait, nous croyons qu’il sera bénéfique pour chaque employeur de faire preuve de transparence et de prendre le temps d’expliquer à ses effectifs les répercussions que la conjoncture peut avoir sur eux et sur l’entreprise.
- Évaluez la situation avant de mettre des mesures en place. Rassurez vos effectifs en leur disant que l’entreprise recueillera et évaluera soigneusement toute l’information afin de prendre des décisions éclairées, avant de mettre quelque décision que ce soit en application.
- Évitez les spéculations et mettez l’accent sur les faits et les décisions. Compte tenu du rythme rapide des annonces américaines et des réactions des divers ordres de gouvernement canadiens, nous recommandons fortement de suivre de près les dernières nouvelles afin de communiquer des renseignements exacts à toutes les parties. Évitez de faire des suppositions, qui peuvent être source de stress, et d’agir en fonction de rumeurs non authentifiées publiées sur les réseaux sociaux; fiez-vous aux véritables sources d’information.
- Misez sur la collaboration et l’engagement du personnel. Dans un contexte où la productivité sera plus importante que jamais, rappelez à votre personnel que sa collaboration et son dévouement seront essentiels pour relever les défis à venir. Tentez de créer des habitudes de partage de l’information, qu’il s’agisse de réunions régulières ou d’un autre mécanisme permettant aux membres du personnel de poser leurs questions. Écoutez leurs préoccupations, et répondez-y. Il est important que vos effectifs sentent que leurs perspectives sont bel et bien prises en considération.
À venir
Au fil des annonces de l’administration Trump et des réactions de nos gouvernements fédéral et provinciaux au sujet des tarifs, BLG continuera d’être à l’affût de ce que les entreprises peuvent faire pour gérer leurs effectifs de manière proactive et vigilante. Nous sommes d’avis que cela les aidera à garder les membres de leur personnel informés et à les conscientiser sur les possibles répercussions pour eux.
À cette fin, nous aborderons dans nos prochains articles différents points d’intérêt :
- Proposer des systèmes qui facilitent la planification et la gestion de conditions et de modalités de travail modifiées afin d’assurer l’adaptabilité et la souplesse.
- Anticiper l’évolution des relations de travail, ce qui demande de se pencher sur les changements de conditions de travail dans un contexte syndiqué, les stratégies de négociations, les mécanismes de règlement des différends et l’atténuation des risques de conflits de travail. Plus précisément, nous examinerons comment la transparence et le dialogue ouvert avec le syndicat peuvent renforcer la confiance envers les décisions de l’employeur.
- S’adapter à la mobilité accrue de la main-d’œuvre au Canada, ce qui nécessitera l’aide et la coopération des gouvernements provinciaux. La capacité des gens à travailler dans d’autres provinces sera sûrement mise de l’avant, et les politiques isolationnistes, elles, seront évitées et remplacées.
- Adopter des pratiques optimales en matière de santé et de sécurité au travail et d’atténuation des risques dans un contexte de pressions accrues sur une main-d’œuvre réduite. Bien que des canaux de communication appropriés les aideront à répondre directement aux préoccupations de leurs effectifs, les employeurs devraient se préparer à voir augmenter les facteurs pouvant poser un risque pour la santé et la sécurité découlant de charges de travail accrues ou de changements de postes.
Merci à Shelley-Mae Mitchell, Justine Laurier, Danny Kaufer et Stuart Aronovitch pour leur contribution à cet article.