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Perspectives

Les conséquences des droits de douane pour le secteur canadien de la construction

Les droits de douane imposés et proposés par les États-Unis et le Canada sont appelés à avoir des répercussions considérables pour le secteur canadien de la construction. Le secteur devra analyser leur incidence sur les projets en cours et à venir et se préparer à encaisser le choc d’éventuels droits additionnels.

Les nouveaux droits de douane en bref

Le 4 mars 2025, après la suspension de trente jours d’un décret initial1, les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25 % sur tous les biens du Canada et du Mexique entrant sur leur territoire, à l’exception des produits énergétiques, visés par des droits de 10 %.

Le Canada a répondu en annonçant des droits de douane de 25 % sur des produits cultivés ou fabriqués aux États-Unis d’une valeur de 155 milliards de dollars2. Une première phase visant 30 milliards de dollars de marchandises importées des États-Unis sera suivie de contre-mesures supplémentaires visant 125 milliards de dollars en importations 21 jours plus tard.

Le président américain avait précédemment annoncé des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier et fait passer de 10 % à 25 % les droits visant les importations d’aluminium pour tous les pays, y compris le Canada. Ces droits de douane devraient entrer en vigueur le 12 mars 20253. On ignore pour le moment si ces droits sur l’acier et l’aluminium seront compris dans ceux qui sont entrés en vigueur le 4 mars ou s’ils s’y ajouteront. Un responsable de la Maison-Blanche a indiqué précédemment que les droits de douane sur l’acier et l’aluminium seraient cumulés, ce qui pourrait les porter à 50 %. Toutefois, comme la situation pourrait changer d’ici au 12 mars compte tenu du climat politique actuel, cela reste à voir.

Ces droits de douane feront fort probablement augmenter les prix, soit directement parce qu’ils visent des biens et des matériaux utilisés sur les chantiers de construction, soit indirectement, du fait de la hausse des prix de produits qui entrent dans la fabrication de ces biens et matériaux.

Le président américain a également indiqué que les États-Unis pourraient frapper tous les produits importés de « droits de douane réciproques », qui consisteraient à imposer à chaque pays des droits de douane équivalents à ceux qu’il impose aux États-Unis. On ne sait pas pour le moment si ces droits réciproques s’ajouteraient aux droits de douane en place ou s’ils les remplaceraient.

Conséquences potentielles pour le secteur canadien de la construction

L’interdépendance et de l’intégration des secteurs canadien et américain de la construction sont des réalités de longue date et bien connues du milieu. Tantôt les États-Unis importent des matériaux et des fournitures de fournisseurs canadiens (du bois œuvre, par exemple), tantôt ce sont des maîtres d’ouvrage et des constructeurs canadiens qui importent des marchandises des États-Unis (acier, machines, équipement, etc.). C’est sans compter les produits qui traversent plusieurs fois la frontière au cours de leur processus de fabrication.

Les droits de douane des deux pays pourraient avoir d’importantes conséquences pour tous les acteurs du secteur canadien de la construction : hausses de prix, retards sur les chantiers, incertitude dans la budgétisation et l’établissement des prix des projets. Il faudra aussi voir si des changements doivent être apportés aux contrats en cours ou à venir, notamment en ce qui concerne le processus de passation de marchés et la forme des accords. Nous présentons ci-après une liste non exhaustive d’éléments à prendre en compte.

1. Projets en cours

(a) Modalités contractuelles expresses

Les parties engagées dans un projet devraient examiner leurs accords pour déterminer quelles dispositions des contrats pourraient déjà répondre à l’augmentation des droits de douane. Par exemple, la condition générale 10.1.2 de la formule de contrat CCDC 2 – 2020 Contrat à forfait prévoit une révision à la hausse ou à la baisse du prix du contrat si les droits de douane changent après la clôture de l’appel d’offres. Par ailleurs, selon la formule de contrat CCDC 5B -2010 Contrat de gérance de construction – pour services et construction, le gérant de construction doit inclure le paiement des droits de douane dans le coût des travaux. Toutefois, l’inclusion ou non de droits de douane accrus dans le coût des travaux peut dépendre des modalités des contrats de sous-traitance et d’approvisionnement. Les parties pourraient aussi devoir examiner leurs contrats en cas de diminution des droits de douane, ce qui pourrait nécessiter une révision à la baisse du prix du contrat ou du coût des travaux.

(b) Autres modalités contractuelles

Les parties doivent également vérifier si d’autres dispositions peuvent s’appliquer, même si elles ne visent pas expressément les droits de douane. Par exemple, une clause de force majeure pourrait s’appliquer. Cela dit, à moins que l’augmentation des droits de douane ne soit précisément incluse dans la liste des cas de force majeure, il faudrait que le contrat devienne impossible à exécuter sur le plan commercial pour que l’augmentation des droits soit considérée comme un cas de force majeure. Par ailleurs, des dispositions relatives à la modification de la loi pourraient aider les parties. Leur applicabilité dépendra cependant de leur libellé. Si une disposition s’applique, il faudra déterminer les modalités des avis et le type de redressement qui pourrait être accordé, à défaut de quoi pourraient s’ensuivre des conséquences imprévues.

2. Projets futurs

Pour les parties qui ont l’avantage de ne pas avoir conclu de contrat, étant donné l’incertitude qui entoure les droits de douane imminents et l’avenir des relations commerciales canado-américaines, il pourrait être indiqué de modifier les accords et les documents de passation de marchés couramment utilisés, pour tenir compte des risques que pourraient poser des droits de douane accrus. Par exemple :

a. Ces documents pourraient traiter expressément de la manière dont sera réparti le risque lié à l’augmentation ou à la diminution des droits de douane ou des prix, en établissant l’effet qu’une hausse ou une baisse des droits de douane appliquée après la clôture d’un appel d’offres aura sur le prix du contrat, le coût des travaux ou d’autres contreparties. Dans la formulation de ces dispositions, les parties devraient considérer l’incidence de la répartition du risque sur le projet, notamment déterminer si les risques seront partagés avant ou pendant le projet. Si les risques ne sont pas partagés également, les maîtres d’ouvrage devraient considérer l’effet qu’aurait un transfert intégral du risque aux entrepreneurs, qui pourrait faire augmenter les prix, et les entrepreneurs devraient considérer l’impact que pourrait avoir sur leur compétitivité le prix qu’ils mettront sur le risque. De même, si l’intégralité du risque est transférée au maître de l’ouvrage, il pourrait s’ensuivre des demandes d’ajustement de prix en cours de projet, ou le maître de l’ouvrage pourrait exiger des entrepreneurs qu’ils évitent certains produits ou qu’ils fournissent des éclaircissements sur leurs prix.

b. Les parties pourraient prévoir dans leurs contrats un processus leur permettant d’évaluer et de choisir des options de rechange si des droits de douane faisaient augmenter les coûts du projet. Ces dispositions devraient comprendre des clauses relatives aux avis, un processus d’évaluation des possibilités et un calendrier d’application de toute augmentation ou diminution de prix.

c. Les services d’approvisionnement pourraient envisager d’obliger les soumissionnaires à fournir des informations sur tout produit provenant des États-Unis ou d’ailleurs dans le monde, ainsi que sur leur valeur, et de noter les offres en fonction de ces informations. Si cette approche était retenue, il faudrait réfléchir à la quantité d’informations qu’un soumissionnaire devra fournir et à la manière dont ces informations seront notées. Il faudrait expliquer clairement et équitablement aux soumissionnaires toute exigence en matière de notation, et un examen des accords commerciaux devrait être envisagé.

d. Les services d’approvisionnement pourraient aussi envisager d’obliger les soumissionnaires à utiliser uniquement des matériaux d’origine canadienne et à fournir une attestation à cet égard dans leur offre. Fait à noter, les services d’approvisionnement du secteur public devront tenir compte des accords commerciaux internationaux et des seuils applicables, car il pourrait être difficile d’imposer les exigences de contenu local pour les projets dépassant certains seuils.

Les parties qui ont conclu ou qui projettent de conclure des contrats, de même que les services d’approvisionnement, devraient consulter leurs conseillers juridiques avant d’inclure dans des documents de passation de marché des dispositions visant à atténuer les risques liés à des hausses de droits de douane, pour s’assurer de leur applicabilité.

Étant donné l’incertitude actuelle et l’impact que les droits de douane canadiens et américains pourraient avoir sur le secteur canadien de la construction, les parties devraient envisager une approche proactive et réviser leurs accords encadrant des projets en cours, leurs modèles de contrats et leurs processus d’approvisionnement, entre autres documents. Des avis juridiques les aideront à planifier adéquatement la suite. La situation entourant les droits de douane est fluctuante, mais c’est en analysant les répercussions possibles qu’on pourra le mieux déterminer quelles mesures prendre pour les atténuer.

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