Ce texte fait partie de la série d’articles dans laquelle nous analysons les conséquences des tarifs américains pour les employeurs canadiens.
En conséquence de la possible imposition de tarifs douaniers par l’administration américaine, dont ceux visant les importations d’acier et d’aluminium annoncés récemment, des employeurs pourraient devoir prendre la décision difficile de réduire leurs effectifs.
Comme nous le notions dans notre premier article, les mises à pied temporaires sont l’une des stratégies auxquelles pourraient recourir les employeurs pour contrer les pressions financières causées par les tarifs tout en conservant de la souplesse pour la reprise à venir. Bien que les mises à pied temporaires soient assujetties à des restrictions (définies dans les lois provinciales sur les normes d’emploi), et malgré le risque qu’elles soient perçues comme des congédiements déguisés, elles restent une solution de rechange viable au licenciement pur et simple lorsqu’il existe une possibilité que l’activité reprenne à plein régime à court terme.
Mais qu’en sera-t-il des salariés qui devront continuer à travailler comme s’il n’y avait pas eu de réduction d’effectifs?
Les employeurs devront continuer de garantir la santé et la sécurité des lieux de travail et du personnel, conformément aux lois en la matière. Ils devront notamment surveiller le risque que la fatigue et l’épuisement professionnel se répandent, en particulier si la main-d’œuvre est réduite et que des pressions additionnelles s’exercent sur le personnel pour que les activités se poursuivent. Le personnel pourrait aussi devoir en faire plus avec moins. Des employeurs confrontés à l’incertitude et aux pressions économiques seront moins enclins à refuser du travail, ce qui pourrait obliger leur personnel à travailler davantage. La surcharge pourra alors entraîner des heures supplémentaires. Si la plupart des provinces limitent le nombre d’heures supplémentaires qu’un salarié peut travailler par semaine, certaines reconnaissent aussi le droit des salariés de travailler un nombre d’heures dépassant les limites fixées par les normes du travail. On peut alors s’attendre à ce que des salariés, confrontés au risque de perdre leur emploi, allongent leurs heures de travail, ce qui ne les rendra que plus vulnérables à l’épuisement professionnel et aux accidents du travail.
Parallèlement, dans les entreprises où la cadence de production ne répond plus à la demande, on pourra avoir tendance à embaucher rapidement des candidats ne possédant pas nécessairement les compétences requises. C’est un autre facteur qui accroît le risque d’accidents du travail, tant pour les salariés existants, contraints de mettre les bouchées doubles pour compenser le manque de travailleurs qualifiés, que pour leurs nouveaux collègues devant accomplir des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été adéquatement formés.
Ces problèmes peuvent aussi se répercuter sur les gestionnaires et ce qu’on exige d’eux.
Compte tenu de ce qui précède, nous avons voulu fournir quelques repères aux employeurs dans ces circonstances inédites, en dressant une liste de bonnes pratiques à suivre pour atténuer les risques liés à la santé et à la sécurité au travail en cas de réduction des effectifs.
Politiques et formation en santé et sécurité au travail
L’employeur devrait avoir une politique et un programme de santé et de sécurité au travail, en informer ses effectifs et veiller à ce qu’ils les comprennent bien. Il devrait aussi penser à actualiser sa politique et son programme en tenant compte des changements au milieu de travail décrits ci-dessus. La politique devrait notamment énoncer clairement l’obligation de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité de son personnel, ainsi que les attentes réalistes que peut avoir le personnel. De plus, la politique doit désigner une personne-ressource chargée de recevoir les questions ou les préoccupations des effectifs et d’y répondre. Nous recommandons également de proposer au personnel une formation de rappel sur la politique et le programme.
Selon la nature de l’entreprise, il pourra être nécessaire d’entretenir des communications continues avec les personnes nouvellement embauchées; dans tous les cas, on veillera à répondre rapidement et de manière étoffée aux questions ou préoccupations des nouveaux salariés. La collaboration entre l’employeur, le personnel et le syndicat (s’il y a lieu) sera indispensable à cet égard. En somme, toutes les parties devront travailler de concert pour trouver la voie de passage qui garantira la viabilité des opérations tout en répondant aux préoccupations raisonnables en matière de santé et de sécurité.
Tout part des fondements : les employeurs devraient dès maintenant se pencher sur leur politique et leur programme pour réfléchir à ce qui devra être fait. Certes, ce n’est pas simple à déterminer tant qu’on ignore quels effets précis auront les tarifs sur les activités, mais il y a beaucoup de choses que les employeurs peuvent faire en amont pour que les changements planifiés, s’ils deviennent nécessaires, puissent être apportés le moment venu.
Représentant en santé et sécurité ou comité mixte de santé et de sécurité
Dans chaque province, les normes du travail prévoient les circonstances dans lesquelles un représentant en santé et sécurité au travail ou un comité mixte de santé et de sécurité au travail (ou un équivalent) est obligatoire. Nous recommandons aux employeurs de vérifier le nombre de salariés qu’ils ont dans chaque province où ils mènent des activités, afin d’y avoir les représentants ou les comités requis. Les employeurs peuvent aussi envisager de créer ces rôles même si la loi provinciale applicable ne les y oblige pas. Une telle démarche montre un engagement à l’égard de la santé et de la sécurité au travail. Elle attire des candidatures et monte aux syndicats que l’employeur prend la santé et la sécurité au sérieux. De plus, elle facilite le dialogue et l’implication et accroît la mobilisation de manière plus générale, ce qui se traduit par un recrutement plus efficace et une meilleure rétention du personnel.
Il y a cependant un aspect important à prendre en compte. Quand le milieu de travail reviendra à son état antérieur à l’imposition des tarifs, les effectifs et le syndicat devront comprendre que, même si l’engagement à l’égard de la santé et de la sécurité demeure, les mesures allant au-delà des exigences provinciales pourraient disparaître ou, du moins, revenir à ce que prescrivent les normes provinciales. Les employeurs doivent donc bien réfléchir à ce qu’ils comptent faire et avoir des discussions franches et ouvertes avec le personnel ou les syndicats avant de prendre des mesures dépassant les exigences de la législation provinciale.
Tous ces éléments concordent avec la place qu’occupent la santé et la sécurité dans les milieux de travail d’aujourd’hui. Les représentants et les comités mixtes veillent à ce que la santé et la sécurité fassent l’objet d’un dialogue continu. Ils assument de nombreuses responsabilités, dont les suivantes : i) évaluer les risques en milieu de travail, les surveiller et en faire le suivi; ii) surveiller l’efficacité des programmes de sécurité au travail en place; iii) répondre aux plaintes et aux suggestions des travailleurs au sujet de la santé et de la sécurité.
L’existence et le bon fonctionnement de ces systèmes sont indispensables à la compréhension du milieu de travail et des risques qu’il comporte, ainsi qu’à la santé et à la sécurité des effectifs. Cela comprend la santé mentale, un aspect d’autant plus important lorsque sont présentes les préoccupations évoquées au début notre article.
Évaluation des risques en milieu de travail
L’employeur devrait s’assurer qu’une évaluation récente des risques en milieu de travail a été effectuée. S’il n’y a pas eu d’évaluation récente, il faudrait en réaliser une. Cette évaluation est essentielle en cas de réduction de la main-d’œuvre, surtout si la mesure modifie beaucoup le milieu de travail. Plus précisément, certaines situations peuvent devenir dangereuses seulement en contexte de main-d’œuvre réduite (par exemple, le fait de travailler seul). L’employeur qui connaît les dangers présents et qui comprend en quoi ils peuvent poser un risque accru en contexte de main-d’œuvre réduite pourra mieux agir pour les atténuer. Il sera aussi mieux à même de former ses effectifs, existants et nouveaux, sur les risques présents dans le milieu de travail et les moyens à prendre pour les atténuer. Donner de la formation est l’une des choses les plus importantes que peuvent faire les employeurs dans le contexte qui nous intéresse.
Suivi des heures et coordonnées du personnel
Pour éviter l’épuisement du personnel, l’employeur devrait veiller à ce qu’un système interne de suivi des heures soit en place. Les normes du travail exigent d’ailleurs la consignation de toutes les heures travaillées. Dans certaines provinces (la Colombie-Britannique, par exemple), il est interdit aux employeurs d’imposer des heures de travail excessives ou préjudiciables à la santé ou à la sécurité d’un salarié. En contexte de main-d’œuvre réduite, les heures de travail et, plus particulièrement, les heures excessives et les périodes de repos entre les quarts deviennent des préoccupations centrales. L’employeur devrait aussi s’assurer que les coordonnées des effectifs sont à jour et demander à ceux-ci de communiquer tout changement dans les plus brefs délais. Des coordonnées à jour assureront des communications efficaces entre employeur et salariés. Certaines provinces permettent aux salariés de renoncer aux protections prévues par la loi et de travailler un nombre d’heures supérieur à celui prévu par les normes du travail. C’est le cas au Québec, par exemple. Par conséquent, l’employeur qui a des activités dans plus d’une province devrait demander des conseils juridiques pour savoir ce que dit la loi au sujet du droit de travailler au-delà des limites imposées quant aux heures supplémentaires. Une fois ces informations et la charge de travail connues, l’employeur pourra mieux décider où le travail devrait être envoyé et où des travailleurs additionnels pourraient être embauchés.
En Ontario, les employeurs comptant 25 salariés ou plus doivent aussi avoir une politique écrite sur la déconnexion du travail, comme le prescrit la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, et veiller à ce que le personnel en soit informé.
Maintenant plus que jamais, l’équilibre travail-vie personnelle est primordial. Toutes les questions traitées ci-dessus ajoutent aux pressions qui s’exercent sur les salariés et leurs gestionnaires, de même que sur leur santé mentale. Dans notre prochain article sur la santé et la sécurité au travail en période de turbulences et d’incertitudes, nous nous intéresserons plus particulièrement à la sécurité psychologique et à la santé mentale.
Ne manquez pas le prochain article de notre série sur l’effet des tarifs douaniers américains, qui s’intéressera lui aussi à la santé et à la sécurité en contexte de main-d’œuvre réduite, mais cette fois sous l’angle de la sécurité psychologique et de la santé mentale.
Par : Kailey Hubele (Vancouver), Shelley-Mae Mitchell (Vancouver) et Danny Kaufer (Montréal)
Nous remercions de leur collaboration Jeff Mitchell (Toronto), Kabrina Peron (Montréal), Roxanne Cloutier-Peace (Montréal) et Kim Badesha (Vancouver)