À l’heure où les véhicules autonomes s’apprêtent à circuler sur nos routes, le développement de véhicules et de machines autonomes par le secteur agricole progresse aussi à toute vitesse. Les machines agricoles autonomes s’annoncent comme une solution efficace et peu coûteuse pour les agriculteurs, même si elles sont beaucoup moins sous le feu des projecteurs. Elles font partie d’une industrie en pleine expansion, les expéditions mondiales devant atteindre 87,9 milliards de dollars d’ici 2025.
Les environnements étant moins complexes (des champs par opposition à des autoroutes) et les tâches et zones de circulation plus circonscrites, le secteur agricole est tout désigné pour les véhicules autonomes. Il n’est donc pas étonnant que la conception, la fabrication et les essais de véhicules et de machines agricoles autonomes soient en plein essor, et plusieurs fabricants déploient déjà leur équipement autonome. Par exemple, la plateforme électrique Dot A-U1 a été présentée au Canada Outdoor Farm Show en 2019. Il s’agit d’une plateforme autonome sans cabine qui ressemble à un tracteur ordinaire. Cette machine est toutefois conçue pour actionner simultanément une multitude d’outils et exécuter des travaux agricoles ardus, comme le labour et la récolte. À la fin de 2019, John Deere a dévoilé son tracteur « sans conducteur » électrique d’une puissance totale de 500 kW, qui permet de tondre plus de 10 000 mètres carrés de gazon avec une charge de batterie d’une durée de quatre heures et demie.
Outre les tracteurs, les « désherbeuses » autonomes sont également de plus en plus courantes. Cette pièce d’équipement apporte une solution à un problème récurrent pour bon nombre d’agriculteurs : trouver le point d’équilibre entre la tâche physique pénible mais nécessaire du désherbage et le manque de travailleurs disposés à accomplir cette besogne. Les désherbeuses autonomes pourraient également réduire l’utilisation des herbicides chimiques. Une société française appelée Naïo Technologies a mis au point trois différents véhicules électriques robotisés capables d’enlever les mauvaises herbes des cultures en rangs. Naïo a déjà 150 robots en service au Canada, en Europe et au Japon, et a récemment commencé à tester ses désherbeuses autonomes dans 15 exploitations agricoles commerciales en Californie.
Compte tenu de ces innovations, il n’est pas surprenant de voir apparaître des projets agricoles sans intervention humaine. En 2015, le projet Hands Free Hectare a vu le jour au Royaume-Uni. Le but de cette initiative consistait à cultiver un champ d’un hectare seulement à l’aide de petites machines autonomes, sans activité humaine sur les terres agricoles. Depuis, le projet compte à son actif deux saisons de moissons récoltées uniquement à l’aide de machines autonomes, notamment des tracteurs et des drones.
Des serres autonomes sont aussi en cours de développement. Des chercheurs de Microsoft sont en train de mettre au point un système autonome capable d’exploiter rapidement et efficacement des fermes intérieures, notamment en gérant la température, l’éclairage et l’irrigation. L’idée est de permettre aux agriculteurs de contrôler à distance plusieurs installations de production à la fois.
À l’instar des véhicules autonomes sur nos routes, l’autonomisation agricole présente indéniablement un intérêt du point de vue de l’efficacité. Par exemple, grâce aux véhicules agricoles autonomes, les agriculteurs pourraient affecter leurs ressources humaines ailleurs et se concentrer sur la gestion de leur entreprise. Selon le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture, les exploitants canadiens ont subi en 2019 des pertes commerciales de 2,9 milliards de dollars en raison des postes non pourvus. Les pénuries de travailleurs et la hausse des frais de main-d’œuvre sont des problèmes que peuvent résoudre les équipements agricoles autonomes.
Outre les économies d’échelle, les machines autonomes peuvent également accroître la productivité et l’efficacité globales. Selon Goldman Sachs, les progrès des technologies agricoles pourraient entraîner une hausse de 70 % des rendements agricoles d’ici 2050. Au Canada, la production agricole pourrait croître de 11 milliards de dollars d’ici 2030.
Or, il reste de nombreuses questions sans réponse. Dans le cadre des essais de véhicules autonomes menés sur nos routes, la sécurité sera de toute évidence un enjeu clé. Les tracteurs autonomes et autres machines similaires doivent être capables de détecter tout ce qui pourrait croiser leur chemin, qu’il s’agisse d’enfants ou d’animaux. Même si les machines agricoles autonomes seront confinées dans des balises définies (par opposition à des rues et à des intersections achalandées), elles devront sûrement s’orienter dans l’espace et éviter des obstacles inattendus sur leur chemin.
Il faut aussi noter que des questions de responsabilité subsistent. En effet, les conséquences d’une éventuelle défaillance ou panne d’équipement pourraient se répercuter sur le fabricant, le producteur et le consommateur final. Il y a donc lieu de se demander à qui incombera le fardeau en cas de négligence, de responsabilité stricte, de fausses déclarations et de violation de garantie, pour ne nommer que quelques exemples.
Comme pour tout autre véhicule autonome, il y aura certainement des préoccupations concernant la vie privée ainsi que la collecte et la protection des données. Au même titre que les véhicules sans conducteur, les tracteurs et autres machines autonomes pourront recueillir et conserver des données, par exemple sur l’état des sols et des végétaux. Ces données pourraient avoir une valeur inestimable pour les intéressés. C’est d’autant plus vrai à l’ère de l’économie de partage, qui créera sans doute de nouveaux débouchés pour les agriculteurs, qui pourraient louer leurs machines autonomes de façon ponctuelle.
À ce moment-ci, l’équipement agricole autonome ne semble pas se classer clairement dans une catégorie de normes réglementaires ou de sécurité. Même si le gouvernement a établi des normes pour les essais de véhicules autonomes sur nos routes, peu d’attention a été accordée aux machines agricoles autonomes. Transports Canada ne réglemente pas les véhicules conçus strictement pour une utilisation hors route (comme les tracteurs agricoles), et le Règlement sur la sécurité des véhicules automobiles ne comporte pas de catégorie prescrite pour les machines agricoles. Le ministère des Transports a reconnu que la production de véhicules autonomes pourrait avoir une incidence positive sur le secteur agricole, mais force est d’admettre que la réglementation actuelle – s’il y en a une – n’est pas adaptée à la réalité d’aujourd’hui.
Il y aura inévitablement d’autres points de droit à analyser et à résoudre, à mesure que les machines agricoles autonomes commenceront à sillonner les terres agricoles canadiennes. Cela dit, l’avenir de l’agriculture est très prometteur et commence à évoluer sous nos yeux.