Vu les dettes publiques qui ne cessent de croître en raison de la pandémie1 et le passage à une économie numérique mondiale, la juste imposition des géants comme Google, Facebook, Apple et Amazon fait couler de plus en plus d’encre partout dans le monde.
Bien que difficile à définir, l’économie numérique est omniprésente à l’échelle mondiale. Pour preuve, les ventes en ligne auraient atteint 26,7 billions de dollars américains en 2019, soit 30 % du produit intérieur brut mondial pour la même année. La majorité de ces recettes reviennent aux quatre plus grandes sociétés au monde, soit Google, Facebook, Apple et Amazon, qui ont enregistré des revenus combinés d’environ 773 milliards de dollars américains en 2019. Les leaders de l’OCDE, de l’UE et du G7 tentent de trouver des solutions multinationales et nationales au problème malgré la nature intrinsèquement flexible et mobile de l’économie numérique, qui la rend incompatible avec les principes qui sous-tendent actuellement la fiscalité internationale.
Jusqu’à tout récemment, le Canada ne disposait d’aucun cadre fiscal fédéral ou transprovincial propre à l’économie numérique et aux multinationales qui font affaire au pays. Nombre de règles provinciales dépareillées ont vu le jour au cours des dernières années, d’abord au Québec et en Saskatchewan, puis en Colombie-Britannique et au Manitoba. Dans son budget de 2021, le gouvernement fédéral a confirmé qu’il avait l’intention : (1) d’aller de l’avant avec sa proposition et d’instaurer une taxe nationale sur les services numériques (TSN) à compter du 1er janvier 2022 et (2) d’instaurer un régime simplifié d’inscription à la TPS/TVH pour les entreprises non résidentes à compter du 1er juillet 2021.
Taxe fédérale sur les services numériques
La TSN, initialement proposée dans l’Énoncé économique de l’automne 2020, s’appliquerait à un taux de trois pour cent sur les recettes perçues de certains services numériques « qui dépendent de la participation, des données et des contributions de contenu d’utilisateurs canadiens ». Les services visés seraient :
- les services offerts par l’entremise d’un marché en ligne qui aide à jumeler les vendeurs de biens et de services avec des acheteurs potentiels;
- les services d’interface et d’interaction entre utilisateurs offerts sur les médias sociaux;
- les services de publicité en ligne;
- la vente de données recueillies auprès d’utilisateurs en ligne ou l’octroi de licence à leur égard.
La TSN s’appliquerait aux « grandes » entreprises de technologie qui ont un revenu mondial total de 750 millions d’euros ou plus et un revenu associé aux utilisateurs canadiens de plus de 20 millions de dollars canadiens par année. L’obligation fiscale relative à la TSN pourrait être déductible d’impôt dans certaines circonstances (par exemple si elle est engagée dans le but de gagner un revenu assujetti à l’impôt sur le revenu au Canada), mais elle ne donnerait pas droit à un crédit applicable à l’impôt sur le revenu à payer au Canada.
TPS/TVH fédérale et régime d’inscription simplifié
Le Canada impose une taxe fédérale sur la valeur ajoutée à un taux qui varie entre 5 et 15 % selon la province ou le territoire. Le régime simplifié du gouvernement fédéral obligeant certaines entreprises non résidentes à s’inscrire à la TPS/TVH entrera en vigueur le 1er juillet 2021. Ce régime s’applique à la fourniture de services et de biens incorporels. Il établit un seuil plus bas pour l’inscription des entreprises non canadiennes à la TPS/TVH dans les cas suivants :
- un Canadien non inscrit à la TPS/TVH est tenu de payer les frais du fournisseur;
- le fournisseur n’est pas un résident canadien et n’exploite pas d’entreprise au Canada;
- les services ou les biens incorporels peuvent être « utilisés ou consommés » au Canada. À noter que les règles s’appliquent aux services qui ne sont pas matériellement exécutés, en totalité ou en partie, au Canada, à condition que ceux-ci puissent être utilisés ou consommés ici;
- le fournisseur facturera ou s’attend raisonnablement à facturer plus de 30 000 dollars canadiens pour ces services ou ces biens incorporels au cours de toute période de 12 mois consécutifs.
Les mêmes obligations d’inscription et de perception s’appliqueront aux locations à court terme réalisées par des propriétaires de résidences privées à l’aide de plateformes numériques qui tirent des revenus annuels de plus de 30 000 dollars canadiens auprès de clients au Canada.
De plus, des règles particulières visent la vente par des vendeurs non inscrits et non résidents de biens corporels qui se trouvent au Canada au moment de la vente, par exemple dans un entrepôt de distribution. D’abord, si le vendeur vend directement, ou s’attend à vendre, de tels biens à un consommateur ou à un autre client qui n’est pas inscrit à la TPS/TVH pour un total de plus de 30 000 dollars canadiens, il pourrait lui aussi être tenu de s’inscrire. À l’inverse, si ces ventes sont réalisées par l’entremise d’une plateforme numérique, elles seront réputées avoir été réalisées par l’exploitant de la plateforme, à qui il incombera de facturer et de percevoir la TPS/TVH.
Consultez le résumé du budget de BLG et la mise à jour sur les règles entourant la TPS/TVH pour en savoir plus sur ce nouveau régime applicable aux veneurs non résidents.
Approches provinciales
Certaines provinces ont toujours leur propre régime de taxe de vente. Elles l’ont adapté pour tenir compte de l’économie numérique, ou elles y travaillent.
Québec : La taxe de vente du Québec ressemble beaucoup à la TPS/TVH. La province a déjà mis en œuvre un régime fiscal pour les entreprises non inscrites et non résidentes du Canada qui vendent des services et des biens incorporels à des consommateurs québécois et pour les entreprises canadiennes hors Québec non inscrites qui vendent des services, des biens incorporels et des biens meubles. Ces règles prévoient aussi des obligations de conformité pour les marchés en ligne qui s’alignent sur les règles fédérales mentionnées plus haut. Le gouvernement du Québec a annoncé qu’il allait modifier son régime pour refléter le régime d’inscription simplifié, notamment en ajoutant des règles en matière de commerce électronique.
Manitoba et Saskatchewan : Ces provinces administrent des régimes de taxe de vente qui se ressemblent et qui ressemblent aux taxes de vente et d’utilisation des États-Unis. Depuis le 1er janvier 2020, la Saskatchewan exige que les marchés en ligne perçoivent une taxe de vente pour le compte de vendeurs non résidents qui utilisent leur plateforme pour réaliser des ventes. Le Manitoba a annoncé qu’une règle similaire entrerait en vigueur le 1er décembre 2021.
Colombie-Britannique : Depuis le 1er avril 2021, il n’est plus nécessaire que les entreprises hors province qui vendent des biens corporels à des personnes situées en Colombie-Britannique sollicitent des ventes pour être tenues à des obligations d’inscription. L’inscription est maintenant obligatoire dès qu’une entreprise dépasse le seuil des 10 000 dollars canadiens de ventes. Une règle similaire s’applique aux ventes des secteurs des logiciels et des télécommunications réalisées par des vendeurs qui ne proviennent pas de la Colombie-Britannique (canadiens ou étrangers), pour lesquelles le critère de la sollicitation a également été remplacé par le seuil de 10 000 dollars. La province oblige également les plateformes de location de logements en ligne à percevoir une taxe de vente pour le compte de ceux qui fournissent les logements. Elle est la seule à ne pas avoir de régime fiscal particulier pour les marchés en ligne.
Mesures fiscales multilatérales
À l’international, les ministres des Finances du G7, dont ceux du Canada, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, ont convenu d’un taux d’imposition minimum plus élevé pour les multinationales dans un accord historique conclu lors du sommet du 5 juin 2021. Ces poids lourds de l’économie ont convenu d’instaurer un taux d’imposition mondial sur les sociétés d’au moins 15 % et de permettre aux pays d’imposer à un taux d’au moins 20 % tous les bénéfices tirés de revenus associés à leur territoire qui dépassent un certain seuil. Cette entente vise à assurer une meilleure répartition des recettes fiscales provenant des multinationales, qui ne pourront plus installer leur siège social et déclarer leurs profits dans un pays où le taux d’imposition est peu élevé. Elle aura également pour effet de réduire l’efficacité des paradis fiscaux, ce qui incitera les sociétés à laisser leurs profits, et payer leurs impôts, dans les pays où elles font affaire.
Le nouveau régime obligera les sociétés à payer de l’impôt sur le revenu là où elles font affaire et créent de la valeur. L’un des piliers de cette approche est la reconnaissance de la singularité de l’économie numérique par rapport aux modèles économiques passés. Le lien entre la création de valeur et la responsabilité fiscale ne peut plus être fondé sur la localisation de magasins physiques, de bureaux de gestion ou d’usines de fabrication. Aujourd’hui, de la valeur est créée dans chaque territoire où des consommateurs interagissent avec des entreprises pour se procurer des biens ou des services. L’accord conclu par le G7 n’est qu’un point de départ. D’importants détails restent encore à régler, comme la taille des entreprises visées et la répartition des recettes fiscales entre les territoires. On précise aussi dans l’accord qu’il faudra concilier les différentes règles fiscales visant l’économie numérique qui sont proposées ou déjà en place au niveau national et les futures ententes multilatérales.
Réponse du Canada
Comme les particularités de l’accord ne sont pas encore confirmées, la ministre canadienne des Finances Chrystia Freeland a annoncé que le Canada irait de l’avant avec sa TSN à compter du 1er janvier 2022. On peut s’attendre à une certaine instabilité de la fiscalité du numérique à l’échelle provinciale, fédérale et internationale au cours des prochaines années, puis à ce qu’elle reflète l’approche multilatérale. Il y a fort à parier que la disparité des régimes fédéral et provinciaux actuels demeurera entre-temps la réalité. Tous les exploitants d’entreprise devront lire attentivement les projets de loi et les lois en vigueur et déterminer si elles ont une incidence sur leurs obligations actuelles. Le tableau ci-dessous présente un résumé des nouvelles règles de chaque territoire de compétence. N’hésitez pas à communiquer avec le groupe Fiscalité de BLG ou avec l’une des personnes-ressources indiquées ci-dessous si vous avez des questions sur les taxes de vente.
Résumé des nouvelles règles |
|||||
Territoire | État | Loi applicable | Dates | Champ d’application | Taux |
Fédéral (taxe sur les services numériques) |
Proposition/ annonce | Proposition seulement | Entrée en vigueur : 1er janvier 2022 |
La TSN s’appliquerait aux recettes perçues de certains services numériques « qui dépendent de la participation, des données et des contributions de contenu d’utilisateurs canadiens ». Les services visés seraient :
La TSN s’appliquerait aux « grandes » entreprises de technologie qui ont un revenu mondial de plus de 750 millions d’euros et un revenu associé aux utilisateurs canadiens de plus de 20 millions de dollars canadiens par année. Elle serait déductible d’impôt dans certaines circonstances, mais ne donnerait pas droit à un crédit applicable à l’impôt sur le revenu à payer au Canada. |
3 % |
Fédéral (taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée) |
Projet de loi déposé | Loi sur la taxe d’accise | Entrée en vigueur : 1er juillet 2021 |
Biens incorporels et services : Les vendeurs non résidents dont les ventes à des consommateurs qui ne sont pas inscrits à la TPS/TVH dépassent le seuil des 30 000 dollars canadiens doivent s’inscrire par l’intermédiaire du régime simplifié. Ventes en ligne : Les exploitants de marchés numériques pourraient devoir percevoir la taxe pour les vendeurs non résidents qui réalisent des ventes à l’aide de leur plateforme. Entrepôts de distribution : Les vendeurs non résidents qui dépassent le seuil des 30 000 dollars canadiens pour la vente de biens situés dans des entrepôts de distribution au Canada pourraient être tenus de s’inscrire à la TPS/TVH. |
|
Québec (taxe de vente du Québec) |
Adoptée | Loi sur la taxe de vente du Québec (LTVQ) |
Applicable aux non-résidents de l’extérieur du Canada depuis le 1er janvier 2019 Applicable aux non-résidents provenant du Canada depuis le 1er janvier 2019 |
Les vendeurs non résidents et non canadiens dont les ventes de biens incorporels ou de services à des acquéreurs individuels au Québec dépassent le seuil de 30 000 dollars canadiens doivent s’inscrire. Les vendeurs canadiens non résidents doivent tenir compte des biens corporels dans le calcul du 30 000 dollars. Québec révisera ces règles pour les harmoniser au nouveau régime fédéral. |
9.975 % |
Saskatchewan (taxe de vente provinciale) |
Adoptée |
Provincial Sales Tax Act (PSTA) The Provincial Sales Tax Amendment Act, 2020 (projet de loi no 211) |
En vigueur depuis le 3 juillet 2020; application rétroactive au 1er janvier 2020 | Les exploitants de marchés en ligne (dont les plateformes numériques de distribution et de location de logements) doivent percevoir la taxe pour le compte des vendeurs non résidents qui utilisent leur plateforme. | 6 % |
British Columbia (taxe de vente provinciale) |
Adoptée |
Provincial Sales Act (PSTA) The Budget Measures Implementation Act (projet de loi no 4) |
En vigueur depuis le 1er avril 2021 |
Les non-résidents de la Colombie-Britannique (canadiens ou étrangers) peuvent être tenus de s’inscrire même s’ils ne sollicitent pas de ventes. Le critère de la sollicitation a été remplacé par un seuil de 10 000 dollars de ventes. |
7 % |
Manitoba (taxe sur les ventes au détail) |
Proposition/ annonce | Loi de la taxe sur les ventes au détail (LTVD) | Entrée en vigueur : 1er décembre 2021 | Les exploitants de marchés en ligne (dont les plateformes numériques de distribution et de location de logements) doivent percevoir la taxe pour le compte des vendeurs non résidents qui utilisent leur plateforme. | 7 % |
1 Au Canada, par exemple, on prévoit qu’elle dépassera le billion de dollars d’ici la fin de 2021.