Cet article est une version mise à jour d'un article paru en avril 2023.
La Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement (« la Loi ») du Canada a reçu la sanction royale en mai 2023, après que le projet de loi S-211 ait récolté suffisamment d’appuis pour franchir toutes ses lectures à la Chambre des communes. À compter de maintenant, les priorités énoncées par la Loi orienteront la gestion des risques relatifs aux droits de la personne au sein des entreprises canadiennes. La Loi entrera en vigueur le 1er janvier 2024.
De nombreux partenaires commerciaux du Canada ont adopté des lois qui tiennent compte des normes éthiques dérivées :
- des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui obligent les entreprises à effectuer une vérification diligente en matière de droits de la personne (la vérification diligente);
- du Guide OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE);
- de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation internationale du Travail (OIT).
Au Canada, à l’instar d’autres pays, la nouvelle Loi exige désormais la déclaration des risques de recours au travail forcé et au travail des enfants.
Les entités visées seront tenues de communiquer un premier rapport officiel au gouvernement fédéral d’ici le 31 mai 2024.
Qui doit faire rapport
Outre les institutions fédérales, la Loi vise toute personne morale, société de personnes, fiducie ou autre organisation non constituée en personne morale qui, selon le cas :
- est établie ou active au Canada et y produit, vend ou distribue des marchandises, quelle que soit leur destination;
- importe des marchandises au Canada;
- contrôle une autre entité qui se livre à une activité décrite ci-dessus.
Pour être soumises au projet de loi, les entités ci-dessus doivent soit être inscrites à une bourse canadienne, soit respecter au moins deux des trois critères suivants :
- 20 M$ d’actifs;
- 40 M$ de revenus;
- au moins 250 employés.
Par souci de transparence, ces entités privées devront faire rapport non seulement sur leurs activités canadiennes, mais sur leur chaîne d’approvisionnement complète, au Canada et ailleurs.
Effet sur les petites et moyennes entreprises (PME)
Bien que les PME canadiennes n’aient pas l’obligation de faire rapport, elles pourraient devoir fournir des renseignements si elles agissent comme fournisseur d’une entité visée. De plus, elles pourront certainement s’inspirer de l’esprit de la Loi pour prendre les devants dans la lutte mondiale contre le travail forcé et le travail des enfants.
Les initiatives volontaires qui vont au-delà des exigences réglementaires sont généralement perçues favorablement, dans un contexte où les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) occupent une place grandissante dans la gestion des risques de litige et d’infraction aux règlements.
En analysant leur propre chaîne d’approvisionnement et en corrigeant le tir, les PME pourraient, par effet d’entraînement, être mieux placées pour répondre aux exigences des entités visées par la Loi. Elles pourraient aussi obtenir plus de financement en atteignant des cibles ESG et nouer une meilleure relation avec Exportation et développement Canada.
Comment faire rapport
La Loi exige la transmission d’un rapport annuel au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre). Ce rapport doit également être rendu public, par exemple sur le site Web de l’entité. Dans leur rapport, les entreprises doivent consigner leurs démarches visant à :
- analyser leur chaîne d’approvisionnement et effectuer une vérification diligente pour déceler les risques de recours au travail forcé et au travail des enfants;
- instaurer des politiques, des formations, des protocoles d’intégration des nouveaux fournisseurs et des mécanismes d’exécution contractuelle, selon les besoins;
- adopter des mesures de conformité, de surveillance et de réparation.
Après avoir détaillé ses mesures de réduction des risques de recours au travail forcé et au travail des enfants « à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises » dans la chaîne d’approvisionnement, l’entreprise communiquera le rapport à son conseil d’administration ou autre corps dirigeant. La responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants est engagée en cas d’infraction, prévoit la Loi.
Quoi déclarer : sept éléments obligatoires
Le rapport doit contenir des renseignements sur sept éléments obligatoires :
- la structure, les activités et les chaînes d’approvisionnement de l’entité;
- ses politiques et ses processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;
- les parties de ses chaînes commerciales/chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour gérer ce risque;
- les mesures qu’elle a prises pour remédier à tout recours au travail forcé ou au travail des enfants;
- les mesures prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par toute mesure visant à éliminer le recours au travail forcé ou au travail des enfants;
- la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;
- la manière dont elle évalue l’efficacité de ses efforts pour éviter le recours au travail forcé ou au travail des enfants dans ses chaînes commerciales et ses chaînes d’approvisionnement.
Risque variable selon le contexte
Dans certains cas, la Loi obligera l’entreprise à remonter jusqu’à la source des matières premières. Diverses formes d’exploitation surviennent dans différents contextes; ainsi, les risques d’esclavage moderne varient d’une région, d’un secteur et d’une activité à l’autre.
Les risques de recours au travail forcé ou au travail des enfants sont bien connus pour certaines ressources clés, dont l’or et le coton. Les entreprises de production ou de distribution alimentaires doivent également se méfier : de nombreuses ressources agricoles sont problématiques. Parmi celles qui préoccupent la communauté internationale, citons le café, le cacao et la canne à sucre, selon le pays d’origine.
Parfois, les matières premières sont obtenues sans exploitation, mais le processus de fabrication implique du travail forcé ou du travail d’enfants.
Le Department of Labor des États-Unis publie une liste de produits et ressources associés au travail forcé ou au travail des enfants. Cette liste a un poids considérable puisque les démarches canadiennes de lutte contre ces problèmes découlent en partie des mesures douanières intégrées à l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) de 2020.
Bien faire les choses du premier coup : commencer tôt, creuser à fond
Les entreprises canadiennes – tant les entités visées par la Loi que les PME qui veulent impressionner divers intervenants par leur approche ESG visionnaire – devront réfléchir attentivement à leurs méthodes d’obtention de renseignements sur les sept éléments obligatoires.
Comprenez la nature fondamentale de la vérification diligente et des normes internationales applicables. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU sont généralement vus comme des pratiques exemplaires de vérification diligente. Adoptant une approche holistique, l’Union européenne intègre actuellement à ses lois la vérification diligente obligatoire en matière de droits de la personne et d’environnement. C’est probablement la voie de l’avenir.
Commencez tôt. Vous aurez besoin de temps pour déceler les risques de recours au travail forcé dans votre chaîne d’approvisionnement, puis trouver des solutions. En commençant tôt, vous serez bien préparé quand viendra le temps de faire rapport, mais aussi en cas de saisie douanière : vous n’aurez pas à reconstituer la chaîne d’approvisionnement en catastrophe pour récupérer vos marchandises.
Adaptez la vérification diligente à votre contexte. L’ampleur de la vérification diligente varie selon le secteur, la région géographique et la taille de l’organisation. Chaque entreprise agira différemment selon les risques qui la guettent et la complexité de sa chaîne d’approvisionnement. Certaines entités visées ne pourront pas implanter immédiatement une solution complète de gestion des risques. On s’attend plutôt à ce qu’elles identifient les risques les plus élevés et s’y attaquent en priorité, puis qu’elles améliorent leur système au fil du temps.
Adaptez vos outils contractuels pour favoriser la transparence. Votre entreprise devra peut-être modifier ses mécanismes contractuels pour assurer la transparence nécessaire dans sa chaîne d’approvisionnement. Vos contrats devraient indiquer notamment les risques présents, les méthodes de signalement, les procédés de surveillance et de conformité, et les mesures préventives et correctives que les parties s’engagent à prendre.
Imposez des normes et recueillez de l’information lorsque vous intégrez de nouveaux fournisseurs. Après la publication de votre premier rapport annuel, vous pourrez choisir vos fournisseurs en fonction de leur profil ESG et les faire adhérer à vos priorités. Vous faciliterez ainsi la suite des choses et préviendrez les risques, notamment le risque de recours au travail forcé. Sur le plan des droits de la personne et des travailleurs, vous pourriez commencer par imposer aux fournisseurs un code de conduite inspiré des lignes directrices de l’OIT sur la lutte contre le travail forcé ou d’un autre outil en usage dans votre secteur.
Assurez-vous d’intégrer vos processus d’approvisionnement, de gestion du risque et de développement durable. Ces processus vous procureront rapidement une tranquillité d’esprit s’ils sont bien intégrés à vos activités. Fixez des objectifs atteignables, visez la constance, formez votre personnel et vos fournisseurs, et révisez régulièrement ces processus. En agissant ainsi, vous pourriez éclipser la concurrence sur l’aspect ESG.
Prévoyez d’avance des mécanismes de règlement des différends et de réparation. Les solutions peuvent devenir des problèmes. Imaginons qu’un fournisseur de votre chaîne d’approvisionnement enfreint les droits des travailleurs. Si vous résiliez son contrat, vous risquez de commettre vous-même une infraction, par exemple en provoquant des pertes d’emplois massives. Aux termes de la Loi, les entreprises doivent instaurer des mécanismes de règlement des différends et de réparation pour les victimes d’une situation d’exploitation.
Sanctions en cas d’infraction
La non-production ou la non-publication du rapport constitue une infraction punissable d’une amende maximale de 250 000 $; elle engage par ailleurs la responsabilité des administrateurs et dirigeants.
Le ministre pourra alors faire enquête, puis ordonner la prise de « mesures qu’il estime nécessaires » pour examiner les activités de l’entreprise en cas de doute, ou pour obliger l’entreprise à faire rapport conformément à la Loi.
Jusqu’à maintenant au Canada, les enquêtes en matière de droits de la personne et de responsabilité des entreprises se rattachaient à diverses procédures quasi judiciaires. Pensons notamment à l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE), qui effectue des enquêtes internationales en matière de droits de la personne dans les secteurs du vêtement, des mines et des hydrocarbures. Un précédent article décrit les pouvoirs de l’OCRE plus en détail. Les différends nationaux et internationaux peuvent également être soumis, aux fins de conciliation ou de médiation, au point de contact national du Canada en vertu des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationale. Enfin, le pouvoir du ministre d’ordonner les « mesures qu’il estime nécessaires » amène de nouvelles possibilités.
Soulignons que le Tarif des douanes interdisait déjà l’importation de marchandises produites par recours au travail forcé. La Loi ajoute à cette interdiction le travail des enfants. Toute entreprise qui importe des biens ou des composants au Canada doit être bien consciente du risque de saisie à la frontière, d’où l’importance de la traçabilité de sa chaîne d’approvisionnement.
Points à retenir
La Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement, désignée autrefois comme le projet de loi S-211, oblige à compter de 2024 beaucoup d’entreprises canadiennes à déclarer les risques de recours au travail forcé et au travail des enfants que présentent leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement. Le contenu du rapport engagera leur réputation. En outre, la Loi prévoit des amendes, le pouvoir ministériel d’ordonner toute mesure nécessaire pour assurer la conformité, et un renforcement de l’interdiction douanière visant les marchandises produites par recours au travail forcé ou au travail des enfants.
Pour faire rapport, ou potentiellement libérer des biens saisis à la frontière, les entreprises devront effectuer une vérification diligente de leurs activités et de leurs chaînes d’approvisionnement, puis instaurer de bons mécanismes de conformité.
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BLG peut aider les entreprises canadiennes à effectuer un examen de leur chaîne d’approvisionnement, puis à revoir leurs politiques de conformité et leurs procédures normalisées. Notre équipe peut aussi les conseiller sur la gestion éthique des chaînes d’approvisionnement et la satisfaction optimale des nouvelles exigences canadiennes. Nous vous invitons à communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous ou avec tout avocat du groupe Activités internationales et droits de la personne pour obtenir des conseils.