une main qui tient une guitare

Perspectives

Déclarations ESG : gestion des risques et des responsabilités pour les entreprises canadiennes

Publication initiale le 11 mars 2022; dernière révision le 21 juin 2024

Les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont devenus une réalité presque omniprésente. Ils renvoient habituellement à des facteurs qui peuvent avoir une incidence sur la valeur d’une entreprise et les décisions des investisseurs. Dans cet article, nous présentons certains dossiers pertinents et quelques considérations importantes pour aider les entreprises canadiennes qui font des déclarations ESG à gérer les risques de litige et réglementaires.

Ce que vous devez savoir

  • De nombreux actionnaires et consommateurs ont à cœur les enjeux ESG; votre comportement à cet égard peut donc vous permettre de vous démarquer. Cependant, la mise en œuvre de mesures ESG comporte des risques.
  • Le défaut de prendre les précautions nécessaires en ce qui concerne ces enjeux peut mener à des courses aux procurations ou nuire aux affaires. Les entreprises doivent comprendre les obligations légales entourant les divulgations ESG, car leur non-respect peut entraîner des sanctions. Toutefois, l’adoption de mesures ESG peut également donner lieu à des poursuites, notamment de la part d’actionnaires mécontents ou de groupes qui estiment qu’une entreprise n’a pas respecté ses politiques ESG annoncées
  • Les entreprises doivent régulièrement examiner et mettre à jour leur cadre ESG et leurs déclarations à ce sujet afin de suivre l’évolution de leurs activités et des pratiques optimales de leur secteur. Elles doivent également choisir un cadre ESG adapté à leur public cible.
  • Pour réduire le risque de faire des déclarations fausses ou incohérentes, les conseils d’administration et les équipes de direction doivent établir un processus proactif afin d’examiner et d’approuver les divulgations ESG avant de les rendre publiques. Une vérification juridique approfondie est également conseillée.
  • Les divulgations ESG doivent être adaptées à l’entité en question, mesurables et fondées sur des données vérifiables.

Aperçu des enjeux ESG

Bien qu’ils soient semblables au concept de responsabilité sociale d’entreprise, les enjeux ESG renvoient à des facteurs qui revêtent une importance financière et touchent un vaste éventail de questions, notamment les changements climatiques, le développement durable, le travail forcé et le travail des enfants (communément appelé « esclavage moderne »), la diversité, l’équité et l’inclusion. Ces dernières années, le marché et les actionnaires ont demandé aux entreprises de prendre des engagements liés aux facteurs ESG et de rendre compte de leur rendement à cet égard.

En réponse à cette demande, les entreprises prennent de plus en plus de mesures pour cerner et mesurer les facteurs ESG sur lesquels reposent leurs activités et divulguer les résultats connexes. Si ces divulgations étaient autrefois en grande partie volontaires, plusieurs ordres de gouvernement ont intégré les facteurs ESG à leurs obligations d’information, ce qui a inévitablement mené à un risque accru de litiges et à d’autres mesures ayant pour but de tenir les entreprises responsables de leurs déclarations. Dans le contexte actuel où les pratiques ESG sont de plus en plus critiquées, les entreprises doivent rester vigilantes, car des parties prenantes mécontentes pourraient intenter des poursuites si elles estiment que des mesures ESG sont excessives.

Facteurs ESG et litiges

Les risques réglementaires et de litiges liés aux facteurs ESG se classent généralement en deux grandes catégories. La première englobe les allégations de déclarations fausses ou trompeuses dans les divulgations ESG. Les présumées déclarations trompeuses exposent les entreprises à des mesures réglementaires et à des actions collectives menées par des consommateurs ou des investisseurs1. La deuxième catégorie comprend les réclamations mettant directement en cause le comportement d’une entreprise en matière d’ESG ou les lacunes perçues dans ses mesures ESG. Au Canada et ailleurs, on observe des tentatives de tenir les entreprises responsables de la conduite de leurs fournisseurs ou de leurs filiales à l’étranger2, et de les poursuivre pour la contribution de leurs émissions de gaz à effet de serre aux changements climatiques3. Toutefois, les entreprises qui adoptent des mesures ESG de manière proactive risquent de se faire accuser d’aller trop loin.

Même si une entreprise a gain de cause sur le fond, le fait d’avoir à se défendre dans une affaire liée aux enjeux ESG peut s’avérer coûteux et nuire à sa réputation. Historiquement, de nombreux programmes et rapports sur les enjeux ESG n’ont fait l’objet que d’examens juridiques limités. Afin de réduire le risque de litiges et de sanctions réglementaires ou administratives, les entreprises doivent faire appel de manière proactive à des conseillers juridiques expérimentés pour examiner la façon dont elles abordent les questions ESG tout en évitant d’exagérer les engagements et mesures qu’elles prennent à cet égard. Pour se prémunir contre des plaintes potentielles alléguant que des mesures ESG ne cadrent pas avec leurs intérêts, les entreprises doivent consulter leur équipe de direction, leurs juristes ainsi que des spécialistes du domaine.

Considérations clés

Le défaut pour une entreprise de prendre des mesures suffisantes en ce qui concerne les enjeux ESG peut entraîner des courses aux procurations et d’autres problèmes, ce qui peut nuire à ses activités.

La récente course aux procurations mettant en cause ExxonMobil et Engine No. 1 témoigne du pouvoir grandissant des enjeux ESG, qui peuvent même avoir une incidence sur les plus grandes sociétés ouvertes4. En mai 2021, Engine No. 1, un fonds spéculatif activiste détenant une participation de 0,02 % dans ExxonMobil, a fait valoir que le conseil d’administration d’ExxonMobil manquait d’expérience dans les secteurs pétrolier et gazier, que sa transition vers une économie à faibles émissions de carbone était lente et que l’entreprise se caractérisait par un rendement inférieur et un surendettement par rapport à ses pairs. Engine No. 1 a proposé la nomination de quatre candidats au conseil d’administration, lequel compte 12 membres. Trois d’entre eux ont été élus et ont remplacé des administrateurs en exercice. Engine No. 1 a reçu le soutien de trois grands actionnaires d’ExxonMobil : Vanguard, BlackRock et State Street.

Si les effets réels de l’activisme d’Engine No. 1 sur ExxonMobil sont controversés5, le fait que l’entreprise ait réussi à faire remanier un conseil d’administration pourrait être un signe avant-coureur pour les sociétés ouvertes canadiennes, surtout dans le secteur des ressources naturelles. Les grands investisseurs institutionnels canadiens s’attendent de plus en plus à ce que les entreprises prennent des mesures à l’égard des enjeux ESG. Le 25 novembre 2020, les chefs de la direction de huit gestionnaires de régimes de retraite canadiens représentant environ 1,6 T$ en actifs sous gestion ont publié un communiqué conjoint demandant aux entreprises de mesurer et de divulguer leurs résultats liés à des facteurs ESG importants et pertinents pour le secteur. Le 28 juin 2023, les chefs de la direction de onze gestionnaires de régimes de retraite canadiens représentant de leur côté quelque 2 T$ en actifs ont aussi appelé les entreprises à adopter le nouveau cadre de divulgation du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB), que nous expliquerons plus en détail ci-dessous.

Deux grandes sociétés de conseil en vote par procuration, Glass Lewis et Institutional Shareholders Services (ISS), ont déclaré publiquement qu’elles pourraient recommander de voter contre certains administrateurs de sociétés ouvertes si leur entreprise ne traitait pas adéquatement les questions ESG ou ne divulguaient pas convenablement leurs résultats connexes. Dans ses lignes directrices pour 2024, Glass Lewis recommande de voter généralement contre la présidence d’un comité de gouvernance d’une société inscrite à l’indice composé S&P/TSX qui ne fournit pas de renseignements adéquats concernant la surveillance exercée par ses administrateurs sur les questions environnementales ou sociales. Par ailleurs, Glass Lewis encourage vivement les entreprises dont les émissions de gaz à effet de serre constituent un risque financier important à publier des rapports exhaustifs conformes aux lignes directrices du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC). Si le membre du conseil d’administration chargé de surveiller les enjeux liés au climat ne parvient pas à garantir le respect des directives de divulgation, Glass Lewis recommande de voter contre cette personne. Dans la même optique, ISS a déclaré qu’elle recommandera, dans des situations exceptionnelles, de voter contre des administrateurs, des membres de comité ou des conseils d’administration, ou de s’abstenir de voter pour eux, lorsque la surveillance des risques liés aux questions environnementales et sociales, y compris les changements climatiques, est manifestement insuffisante. Compte tenu du langage circonspect utilisé (c.-à-d. « recommande généralement » et « situations exceptionnelles »), il existe une vaste zone grise quant à savoir si et quand elles seront invoquées. Néanmoins, ces lignes directrices signifient qu’un changement s’opère chez les conseillers institutionnels et qu’ils prennent davantage en compte les enjeux ESG.

Les entreprises peuvent rencontrer des difficultés lors de l’introduction en bourse de leurs titres ou de la mise en œuvre d’une stratégie ESG. Si les exemples suivants ne sont pas canadiens, les tendances mondiales peuvent souvent servir d’indicateurs pour les entreprises d’ici. En 2022, Ithaca Energy plc, un producteur de pétrole et de gaz, a cherché à faire son entrée à la Bourse de Londres. Au cours de ce processus, elle a soumis avec succès un prospectus à l’approbation de la Financial Conduct Authority. ClientEarth, organisme caritatif spécialisé dans le droit de l’environnement, a demandé l’autorisation d’introduire un recours judiciaire contre cette approbation, au motif que le prospectus ne respectait pas les normes de divulgation des risques liés aux changements climatiques; ce pourvoi a été rejeté6.

En 2023, ClientEarth, actionnaire minoritaire de Shell, a cherché à intenter une action dérivée contre le conseil d’administration de la pétrolière, alléguant que celui-ci avait failli à ses obligations en vertu de la loi britannique sur les sociétés de 2006 en omettant d’adopter et de mettre en œuvre une stratégie de transition énergétique qui soit conforme à l’Accord de Paris. La Cour a estimé que ClientEarth avait démontré que Shell courait des risques importants et prévisibles en raison des changements climatiques. L’action de ClientEarth n’a cependant pas abouti, car les administrateurs de Shell avaient mis en place un plan de lutte contre les changements climatiques et l’intérêt réel de ClientEarth n’était pas de favoriser la réussite de Shell au profit de l’ensemble de ses membres7.

Même si ces actions n’aboutissent pas, elles peuvent être coûteuses, entraîner des retards et nuire à la réputation d’une entreprise. Il apparaît donc prudent de s’engager proactivement dans une démarche ESG. Cependant, toute mesure ESG doit être prise de manière éclairée et dans l’intérêt de l’entreprise.

Récemment, dans le cadre d’une supposée campagne nationale contre les sociétés dites « wokes », un lobby conservateur détenant 56 actions de Starbucks a intenté une action dérivée dans l’État de Washington pour contester les initiatives de la société en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (ÉDI). Le groupe de pression a exigé le retrait de ces initiatives et a intenté l’action dérivée pour obtenir une réparation de nature déclaratoire et une mesure conservatoire pour violation des lois fédérales et étatiques, y compris un manquement à l’obligation fiduciaire.

L’action a été rejetée, car le groupe ne représentait pas de manière équitable et adéquate les intérêts de Starbucks ou de ses actionnaires et ne souhaitait que faire la promotion de ses propres idées politiques. Le tribunal a estimé que la décision de Starbucks de maintenir ses initiatives ÉDI était le fruit d’une réflexion approfondie et que le conseil avait agi en connaissance de cause, de bonne foi et dans l’intérêt de Starbucks8.

Dans le même esprit, Americans for Fair Treatment, organisme financé par des conservateurs, a lancé une poursuite contre la ville de New York, alléguant que trois de ses fonds de retraite ont manqué à leur obligation fiduciaire lorsqu’ils ont décidé de se défaire de leurs actifs en combustibles fossiles. Selon les demandeurs, la décision est inefficace pour lutter contre les changements climatiques et a été prise sans tenir compte du fait que les actifs cédés produiraient un rendement supérieur. Les fonds de retraite ont demandé à ce que la plainte soit rejetée9.

Ces cas illustrent l’importance pour les entreprises de mettre en place un processus rigoureux avant d’adopter des mesures ESG. Si ces initiatives sont excessives et ne peuvent plus être défendues comme étant dans l’intérêt de l’entreprise, elles prêtent le flanc à des contestations de la part d’investisseurs ou de groupes opposés à de telles politiques.

Un large éventail d’entreprises canadiennes sont déjà tenues de divulguer des renseignements sur les facteurs ESG, notamment en vertu de la nouvelle loi sur l’esclavage moderne. Les sociétés doivent connaître et comprendre leurs obligations, car un non-respect peut entraîner des sanctions.

Exigences de déclaration relative à la chaîne d’approvisionnement

Au Canada, il existe de nombreuses obligations de déclaration concernant les chaînes d’approvisionnement des entreprises. Voici les plus importantes :

  • Déclarations prévues par la loi sur l’esclavage moderne : Ottawa a adopté un système de déclaration obligatoire pour les entreprises ayant un lien avec le Canada et qui produisent, vendent, distribuent ou importent des biens. La Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (L.C. 2023, c. 9) (la « loi sur l’esclavage moderne ») est entrée en vigueur le 1er janvier 2024.Elle s’applique aux sociétés ouvertes comme fermées qui atteignent certains seuils de taille, à condition qu’elles produisent, vendent ou distribuent des marchandises au Canada ou ailleurs, ou qu’elles importent des marchandises au Canada. Elle oblige donc ces entités à faire rapport sur les mesures qu’elles prennent pour prévenir et atténuer le risque de travail forcé ou de travail effectué par des enfants à l’une ou l’autre étape de la production de marchandises, entre autres. La loi sur l’esclavage moderne s’apparente à des régimes de déclaration obligatoire en place en Australie10 et au Royaume-Uni11.
  • Politique fédérale sur l’achat éthique de vêtements: Selon cette politique, les entreprises qui fournissent des vêtements au gouvernement doivent attester elles-mêmes qu’elles et leurs fournisseurs directs respectent les normes internationales en matière de droits des travailleurs et de la personne. Ces droits comprennent la protection contre le travail des enfants, le travail forcé, la discrimination et les abus, ainsi que l’accès à un salaire équitable et à des conditions de travail sécuritaires. Par ailleurs, selon les nouvelles dispositions du Code de conduite de Services publics et Approvisionnement Canada, les fournisseurs du gouvernement fédéral ne peuvent enfreindre d’aucune manière les droits de la personne et les droits des travailleurs12.
  • Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif : Les exploitations commerciales de pétrole, de gaz ou de minéraux inscrites à une bourse canadienne ou ayant un lien avec le Canada qui atteignent certains seuils financiers doivent déclarer chaque année les paiements effectués aux gouvernements canadiens et étrangers, conformément à la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif 13.
  • Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) : Les entreprises importatrices et exportatrices doivent connaître les restrictions concernant le travail forcé établies dans l’ACEUM. En vertu de cet accord, l’importation de produits issus en entier ou en partie du travail forcé est interdite. Au Canada, cette interdiction est mise en œuvre sous la forme de tarifs douaniers prohibitifs et par des mesures publiées par Affaires mondiales Canada ciblant les marchandises originaires de la province chinoise du Xinjiang. Selon ces dispositions, les importateurs doivent effectuer un contrôle diligent des marchandises, conformément aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ou aux Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. En ce qui a trait aux marchandises provenant du Xinjiang, les importateurs qui souhaitent profiter des services et du soutien du Service des délégués commerciaux d’Affaires mondiales Canada (SDC) doivent aussi signer une déclaration d’intégrité. Les nouveaux contrôles douaniers pourraient donner lieu à des différends avec l’ASFC et à des litiges avec le Tribunal canadien du commerce extérieur. Bien que les mesures canadiennes soient relativement récentes, des consignes similaires sont en place aux États-Unis depuis 2015. Au 21 juin 2024, on compte 41 WRO (Withhold Release Order ou ordre de refuser la mainlevée de marchandises) en vigueur ou partiellement en vigueur aux États-Unis en ce qui concerne le travail forcé14. Certains d’entre eux ont une grande portée. Par exemple, un des ordres cible l’ensemble des produits faits en tout ou en partie de coton turkmène. Au fil de leur évolution, les pratiques canadiennes pourraient s’inspirer des développements observés au sud de la frontière.

De plus, le non-respect des obligations de déclaration est de plus en plus susceptible d’entraîner la suspension de services gouvernementaux. Les entreprises canadiennes ne peuvent ignorer la stratégie quinquennale du Canada en matière de conduite responsable des entreprises à l’étranger (2022-2027), qui prévoit de mettre en œuvre (sous réserve de l’obtention des fonds appropriés) une attestation numérique de conduite responsable comme condition préalable à l’accès aux services du SDC. Elles devront donc reconnaître l’importance de mener leurs activités de manière responsable15. De plus, une entreprise canadienne qui demande des mesures de soutien commercial à l’étranger devra attester qu’elle mène ses activités de manière à respecter les Principes directeurs des Nations Unies et de l’OCDE (les pratiques de conduite responsable pourront être examinées avant que l’aide ne soit fournie); elle pourrait aussi devoir signer une déclaration d’intégrité16. Dans le même ordre d’idées, les entreprises canadiennes doivent fournir une déclaration concernant leurs chaînes d’approvisionnement pour bénéficier de l’appui du SDC et d’Exportation et développement Canada17.

Renseignements à fournir

Par ailleurs, aux termes de la législation en valeurs mobilières canadienne et des instruments connexes, les émetteurs assujettis doivent communiquer des renseignements importants dans leurs documents d’information continue ainsi que dans d’autres contextes18. Les facteurs ESG pourraient déjà être déterminants pour eux et faire l’objet d’obligations de divulgation (dès maintenant ou dans l’avenir).

Les organismes de réglementation des valeurs mobilières provinciaux et territoriaux ont également adopté des normes et politiques nationales qui définissent les exigences de divulgation par rapport aux pratiques de gouvernance des sociétés ouvertes canadiennes19.

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers a expliqué dans un avis en quoi les obligations actuelles des émetteurs assujettis en matière de divulgation peuvent s’appliquer au travail forcé et au travail des enfants20.

Sur le plan de l’écologie, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié des indications sur la manière dont les émetteurs peuvent cibler les renseignements importants sur l’environnement et les changements climatiques21. À la fin 2021, les ACVM ont également publié le projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (le « projet de règlement ») et une instruction générale connexe pour mener des consultations. Il aurait obligé certains émetteurs assujettis à fournir de l’information conformément aux recommandations du GIFCC, sous réserve de quelques ajustements pour tenir compte du contexte canadien. Le projet de règlement était globalement conforme aux initiatives des organismes de réglementation des marchés d’autres territoires comme les États-Unis, l’Union européenne, Hong Kong, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande22. Il a été mis sur la glace en 2023 lorsque l’ISSB, organisme indépendant du secteur privé créé par la International Financial Reporting Standards (IFRS) Foundation, a publié ses premières normes de divulgation sur le développement durable visant à fournir une base de référence pour les marchés financiers mondiaux. Les ACVM ont indiqué qu’elles mèneraient des consultations publiques supplémentaires avant d’adopter des normes de divulgation inspirées de celles de l’ISSB. Elles solliciteront les commentaires du public lors de la publication d’une version révisée du projet de règlement sur la divulgation d’information liée au climat. Toutefois, au moment d’écrire ces lignes, la révision du texte n’est pas encore terminée.

Chez nos voisins du Sud, la Securities and Exchange Commission (SEC) a adopté en mars 2024 de nouvelles règles visant à améliorer et à uniformiser la divulgation d’information liée au climat. Celles-ci obligent les entreprises à inclure dans leurs déclarations d’inscription et leurs rapports périodiques certaines données relatives au climat. Toutefois, la SEC a annoncé un mois plus tard qu’elle retardait l’application des règles en raison des contestations judiciaires en cours. BLG a publié un article détaillé à ce sujet.

En ce qui concerne les facteurs sociaux et de gouvernance, les sociétés ouvertes constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) doivent fournir à leurs actionnaires des données sur la diversité au sein de leur conseil d’administration et de leur haute direction23. Les prochaines modifications à la LCSA exigeront la divulgation de renseignements sur la rémunération de la haute direction et le bien-être des salariés, retraités et pensionnés24.

Dans le secteur des fonds d’investissement, la question de la divulgation de renseignements sur les facteurs ESG continue de progresser rapidement. En 2024, les ACVM ont publié l’Avis 81-334 révisé (qui remplace la version de 2022) qui suggère des pratiques optimales visant à améliorer la divulgation d’information et les communications publicitaires des fonds en ce qui a trait aux facteurs ESG. BLG et AUM Law ont publié deux articles qui analysent en profondeur ces modifications25. En novembre 2021, le CFA Institute a publié ses Global ESG Disclosure Standards for Investment Products, premières normes mondiales non contraignantes régissant les divulgations sur la façon dont les gestionnaires de placement tiennent compte des enjeux ESG dans les objectifs, le processus de placement et la gérance de leurs produits. En juin 2022, il a publié un manuel qui explique les normes et donne des pistes pour les interpréter. BLG a publié un article offrant une analyse détaillée de ces normes, qui visent à aider les parties prenantes à comprendre, à comparer et à évaluer les produits de placement axés sur les facteurs ESG.

Nous recommandons aux entreprises de consulter des conseillers juridiques expérimentés pour rester au fait des obligations de divulgation nouvelles et à venir.

De nombreux actionnaires et consommateurs ont à cœur les enjeux ESG; votre comportement à cet égard peut donc vous permettre de vous démarquer26.

Il existe de bonnes raisons d’envisager des divulgations ESG qui vont au-delà de ce qu’impose la réglementation. Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, cette approche comporte également des risques, notamment en raison de l’opposition des actionnaires et des consommateurs à l’adoption de mesures ESG volontaires. Les entreprises doivent examiner et mettre à jour leur cadre ESG régulièrement afin de suivre l’évolution de leurs activités et des pratiques optimales de leur secteur.

En d’autres mots, pour atténuer le risque lié aux divulgations ESG volontaires, les entreprises doivent étudier attentivement le cadre qu’elles utilisent pour mesurer les facteurs ESG et en rendre compte. Le fait de suivre les pratiques optimales sectorielles en matière de divulgation ESG peut étayer les affirmations d’une société selon lesquelles elle a exercé un contrôle diligent ou a respecté les normes appropriées, de même que celles selon lesquelles toute déclaration ou initiative ESG a été faite dans son intérêt.

Les entreprises peuvent envisager d’adopter des normes et cadres ESG reconnus. Par exemple, la Global Reporting Initiative établit des normes permettant de mesurer des enjeux ESG. Les Principes directeurs des Nations Unies et ceux de l’OCDE, de même que la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation internationale du travail proposent des cadres de contrôle diligent internationalement reconnus qui abordent les droits de la personne et les questions sociales. Les objectifs de développements durables des Nations Unies sont une autre référence respectée en matière de normes ESG.

Toutefois, il faut savoir qu’un certain nombre de normes ESG ont été intégrées à l’ISSB, qui vise à fournir une norme mondiale pour la divulgation d’information sur le développement durable. En juin 2023, le Conseil a publié ses normes facultatives IFRS S1 et IFRS S2 relatives aux risques et perspectives associés au développement durable et à la divulgation de renseignements sur le climat, qui sont conformes aux normes comptables de l’IFRS; les données sur le développement durable sont censées être liées à celles publiées dans les états financiers. Les nouvelles normes tiennent compte des recommandations du GIFCC et consolident d’autres cadres de divulgation, ce qui permet aux entreprises de se conformer facilement aux deux. En juillet 2023, l’IFRS a publié un comparatif des normes IFRS S2 et des recommandations du GIFCC.

L’ISSB souhaite voir ces normes adoptées dans de nombreux territoires avec l’aide d’un comité qui soutiendra les entreprises dans la transition27. Il est probable qu’elles seront mises en œuvre au Canada d’une manière ou d’une autre étant donné que le fédéral en appuie l’établissement et l’adoption, sans oublier la création du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) par Normes d’information financière et de certification Canada en juin 2023 pour collaborer avec l’ISSB. Du 13 mars au 10 juin 2024, le CCNID a sollicité l’avis de la population sur son projet de normes canadiennes d’information sur la durabilité, qui cadre avec les normes internationales. Par ailleurs, comme mentionné plus haut, les ACVM ont indiqué qu’elles mèneraient des consultations publiques supplémentaires avant d’adopter des normes de divulgation inspirées de celles de l’ISSB, mais adaptées au marché canadien. BLG a analysé ces nouvelles normes en détail dans cet article.

Avoir de choisir une norme, une entreprise doit réfléchir à son auditoire et déterminer le cadre de divulgation approprié. Pour ce faire, elle doit cibler les facteurs ESG qui présentent les occasions et les risques les plus importants pour l’émetteur à court, moyen et long terme et prendre en compte ses activités, sa chaîne d’approvisionnement et les tendances générales du secteur. Toutefois, il convient de noter que les normes de l’ISSB tendent à s’imposer comme le cadre mondial standard de choix.

Les mesures réglementaires et les litiges liés à des déclarations ESG fausses ou trompeuses se multiplient dans le monde entier. Au cours des dernières années, des organismes de réglementation américains et canadiens ont poursuivi des entreprises pour des déclarations fausses et trompeuses présumées.

Par exemple, en vertu de sa réglementation relative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’Alberta a récemment porté plainte contre une entreprise de compensation carbone pour avoir fourni de fausses données et avoir agi en tant que tiers certificateur sans avoir les qualifications requises. C’est la première fois qu’une province canadienne incrimine un vérificateur ou certificateur tiers, ce qui témoigne de l’importance de vérifier soigneusement les compensations carbone et de faire appel à un prestataire de services qualifié. Au total, le ministère de l’Environnement et des aires protégées de l’Alberta a déposé 25 plaintes contre Amberg Corp et Olga Kiiker pour violation de lois environnementales. Olga Kiiker, qui a reconnu sa culpabilité à l’un des chefs d’accusation, a été condamnée à une amende de 10 000 $, à une interdiction de travailler dans ce domaine pendant trois ans et à préparer un article à paraître en 2024 dans le cadre d’une peine créative.

Aux termes de la législation en valeurs mobilières canadienne, les émetteurs qui font de fausses déclarations sur le marché secondaire peuvent être soumis à des poursuites en responsabilité civile. Par exemple, en 2021, les ACVM, notamment la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et celle de la Colombie-Britannique, ont examiné sommairement les pratiques et déclarations ESG de certains gestionnaires de fonds d’investissement, gestionnaires de portefeuille et courtiers sur le marché dispensé qui participent à l’investissement ESG. Cette démarche fait suite à une étude semblable menée par la Securities and Exchange Commission des États-Unis. Dans la foulée de la publication initiale de l’Avis 81-334 du personnel des ACVM et des examens réglementaires connexes sur les facteurs ESG, BLG a préparé un  à adopter.

En vertu de la Loi sur la concurrence28 du Canada et des lois provinciales en matière de protection des consommateurs, les entreprises peuvent faire l’objet de mesures réglementaires ou voir leur responsabilité civile engagée pour des déclarations fausses ou trompeuses liées aux facteurs ESG. Le Bureau de la concurrence a mené des enquêtes et imposé des amendes pour de telles déclarations. En 2022, il est arrivé à un règlement avec Keurig concernant ses allégations fausses ou trompeuses sur la recyclabilité des capsules à usage unique K-Cup. Keurig a accepté de payer une amende de 3 M$, de donner 800 000 $ à un organisme de bienfaisance voué à des causes environnementales, de verser 85 000 $ au Bureau pour ses frais engagés, de modifier ses déclarations et ses emballages, de publier des avis correctifs et d’améliorer son programme de conformité.

Autre exemple, en novembre 2021, Greenpeace Canada a déposé une plainte auprès du Bureau de la concurrence alléguant que les affirmations faites par Shell Canada dans son programme de conduite carboneutre constituaient de l’écoblanchiment. Le Bureau a mis fin à son examen après que la pétrolière ait retiré ces déclarations de son site Web et de son application mobile au Canada. Greenpeace Canada a déposé une plainte similaire contre Pathways Alliance, un syndicat regroupant les plus grands producteurs de sables bitumineux au pays, notamment Canadian Natural Resources Limited, Cenovus Energy, ConocoPhillips Canada, Imperial, MEG Energy et Suncor Energy. L’organisme s’en est pris aux campagnes de marketing « Let’s clear the air » du groupe, alléguant que son plan visant à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 est trompeur, car il ne tient pas compte des émissions produites par l’utilisation de ses combustibles fossiles. En mai 2023, le Bureau de la concurrence a annoncé qu’il enquêterait sur les pratiques de marketing de Pathways Alliance.

Le Bureau de la concurrence a également mis l’Association canadienne du gaz en examen à la suite du dépôt de six plaintes lui reprochant d’avoir véhiculé de façon fausse et trompeuse que le gaz naturel est propre et abordable. Une enquête similaire a été lancée contre RBC concernant ses déclarations sur ses actions climatiques. Les plaignants allèguent que la banque présente sous un faux jour son engagement en faveur des objectifs climatiques de l’Accord de Paris tout en finançant activement des projets liés aux combustibles fossiles. Plus récemment, une plainte a été déposée auprès du Bureau de la concurrence contre Lululemon, alléguant que la campagne « Be Planet », qui vante l’utilisation de tissus recyclés et promet une réduction des émissions de gaz à effet de serre, est une opération d’écoblanchiment. Le Bureau de la concurrence ne s’est pas encore prononcé dans ce dossier.

En novembre 2022, le gouvernement fédéral a lancé un examen de la Loi sur la concurrence29, lequel a mené au projet de loi C-59, déposé le 21 novembre 2023. Il propose de nombreuses modifications à la Loi sur la concurrence, notamment l’augmentation des sanctions pécuniaires et l’élargissement des catégories de personnes pouvant porter des affaires privées devant le Tribunal de la concurrence. Il introduit également une interdiction explicite contre l’écoblanchiment30. Alors que la Loi sur la concurrence désignait déjà les fausses déclarations publiques comme des comportements sujets à examen, les nouvelles dispositions en précisent la nature : des déclarations ou garanties visant les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 20 juin 202431. Son adoption a incité Pathways Alliance à fermer son site Web et à supprimer ses comptes de médias sociaux et d’autres communications, en invoquant l’incertitude quant à l’interprétation et à l’application du projet de loi C-59.

Une modification récente de la loi sur l’esclavage moderne, évoquée plus haut, introduit une responsabilité en cas de déclaration fausse ou trompeuse dans les rapports ou autres communications adressés au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Ainsi, les entités déclarantes, leurs administrateurs et leurs dirigeants pourraient être poursuivis en cas de fausse déclaration ou d’exagération substantielle de l’approche adoptée en matière de contrôle diligent de leur chaîne d’approvisionnement.

Les États-Unis fournissent également quelques exemples de mesures réglementaires liées à des déclarations ESG fausses ou trompeuses. Par exemple, la procureure générale de New York a intenté une poursuite contre ExxonMobil, alléguant que l’entreprise avait publié des données trompeuses sur le coût supplétif du carbone. La poursuite a été rejetée, mais une action semblable intentée par la procureure générale du Massachusetts et des actionnaires est en cours32. En Californie, l’ancienne procureure générale Kamala Harris a y pour de présumées fausses déclarations (écoblanchiment) sur la recyclabilité de leurs produits. Aux États-Unis et ailleurs, des particuliers intentent désormais eux-mêmes des poursuites contre des entreprises qu’ils accusent d’écoblanchiment33.

Récemment, la Cour suprême de l’État d’Hawaï a autorisé une action en responsabilité civile par des entités gouvernementales d’Honolulu à l’encontre de producteurs de pétrole et de gaz au motif que ceux-ci ont lancé une campagne publicitaire trompeuse et induit le public en erreur sur les dangers liés à leurs produits[34]; en d’autres termes, ils auraient utilisé une forme d’écoblanchiment en menant des campagnes de désinformation poussées pour semer le doute sur la science, les causes et les effets du réchauffement de la planète.

En 2023, la Securities and Exchange Commission des États-Unis a pris plusieurs mesures coercitives concernant les questions ESG. Elle a notamment engagé des poursuites contre une filiale de la Deutsche Bank au motif qu’elle aurait fait des déclarations trompeuses sur ses pratiques ESG : la société prétendait être un « leader » en matière d’ESG et avoir mis en place des politiques pour veiller à ce que ses investissements tiennent compte des facteurs ESG, mais aurait omis d’adopter et de mettre en œuvre des procédures qui garantiraient l’exactitude de ces déclarations publiques. L’entreprise a payé une pénalité de 19 M$ à la suite des accusations.

Des déclarations fausses ou trompeuses visant le volet social des programmes et initiatives ESG peuvent également donner lieu à des poursuites. Les entreprises qui ne prennent pas suffisamment en compte ce facteur courent le risque de se livrer à des pratiques d’écoblanchiment ou de socioblanchiment qui peuvent avoir des conséquences juridiques et commerciales inattendues. Par exemple, Oscar Wylee, chaîne australienne de lunetteries, a été condamné à une amende de 3,5 M$ pour avoir faussement annoncé qu’elle ferait don d’une paire de lunettes à un organisme de bienfaisance pour chaque paire vendue. Devant le tribunal, l’entreprise a admis n’avoir remis que 3 181 montures sans lentilles à des œuvres caritatives, alors qu’elle avait vendu 328 101 paires de lunettes. En ne respectant pas sa promesse, Oscar Wylee s’est attiré des poursuites judiciaires, a subi des pertes financières et a terni sa réputation.

Les entreprises canadiennes seraient bien avisées de revoir leurs divulgations ESG à la lumière de ces tendances juridiques.

Outre les mesures réglementaires, les entreprises qui font des déclarations ESG peuvent s’exposer à des litiges en droit privé, y compris des actions collectives et même à des poursuites de la part de concurrents.

À titre d’exemple, des constructeurs automobiles ont fait l’objet d’actions collectives au Canada et ailleurs à la suite de déclarations portant sur les émissions de leurs moteurs diesel. Ces actions sont généralement fondées sur des allégations de manquement à la Loi sur la concurrence ou aux lois sur la protection des consommateurs, de négligence ou d’enrichissement injustifié. Par exemple, une action collective visant à obtenir 1,5 G$ de dommages-intérêts a été autorisée contre la Ford Motor Company en relation avec les étiquettes ÉnerGuide apposées sur ses véhicules 2013 et 2014; la plainte a toutefois été sommairement rejetée à la mi-2022235. Parfois, les entreprises s’exposent à des actions collectives en plus des plaintes liées à la concurrence : par exemple, Keurig, malgré son règlement avec le Bureau de la concurrence, fait l’objet d’actions collectives en Colombie-Britannique, en Ontario et devant la Cour fédérale pour de prétendues pratiques commerciales trompeuses ou mensongères liées aux capsules de café K-Cup36. Récemment, en Colombie-Britannique, un groupe de défense de l’environnement a intenté des poursuites contre FortisBC, estimant que l’entreprise s’était livrée à une opération d’écoblanchiment en trompant le public sur la proportion de gaz naturel renouvelable dans son approvisionnement.

Par ailleurs, dans une décision historique, un tribunal civil italien a accordé à une entreprise une injonction provisoire imposant à son concurrent de cesser de faire des déclarations environnementales vagues, fausses et non vérifiables37. Alcantara, fabricant d’un produit en microfibre utilisé dans le secteur automobile, a poursuivi Miko, l’un de ses principaux concurrents italiens, pour avoir fait des allégations « vertes » trompeuses. Miko affirmait entre autres que ses produits étaient « 100 % recyclables » ou « 100 % recyclables à la fin de leur cycle de vie », ou encore faits de « microfibre respectueuse de l’environnement », « la première et unique microfibre qui garantit la durabilité environnementale tout au long du cycle de production ». La Cour a jugé que ces déclarations étaient vagues, génériques, fausses et invérifiables, et qu’elles devaient être immédiatement retirées de tout matériel promotionnel. La Cour a également enjoint à Miko de publier la décision de la Cour sur son site Web pendant 60 jours. Les ordonnances ont été portées en appel et annulées en mars 2022 au motif qu’Alcantara n’a pas été en mesure de prouver que les déclarations environnementales de Miko avaient entraîné un risque de perte de clientèle. Néanmoins, cette affaire démontre les répercussions juridiques, financières et réputationnelles auxquelles une entreprise peut être confrontée en cas d’écoblanchiment.

Sur le même principe, le tribunal de district d’Amsterdam a récemment statué en faveur du mouvement citoyen Fossielvrij, qui avait intenté une action contre la compagnie aérienne KLM pour écoblanchiment. Le tribunal a estimé que 15 des 19 déclarations environnementales de KLM constituaient de la publicité mensongère, notamment en affirmant que la compagnie aérienne s’orientait vers un avenir « plus durable ». Il n’a toutefois pas imposé de mesures correctives, en partie parce que KLM s’était déjà rétractée38.

Le secteur de la mode n’est pas non plus en reste. Par exemple, dans l’affaire Lizama et al v. H&M Hennes & Mauritz LP, des clients ayant acheté un tricot Conscious Choice de H&M ont allégué que le produit n’était pas réellement respectueux de l’environnement, de sorte que le nom de la collection constituait une fausse déclaration. Les clients ont tenté d’intenter une action collective, mais le tribunal a rejeté la plainte en 2023, estimant que les déclarations n’étaient ni fausses ni trompeuses, car elles avaient été soigneusement rédigées pour ne pas exagérer la mesure dans laquelle les produits respectaient effectivement les principes du développement durable39. De même, le fabricant de chaussures Allbirds a obtenu le rejet d’une action collective intentée par des clients alléguant que ses déclarations environnementales étaient trompeuses. En effet le tribunal a estimé que le site Web d’Allbirds indiquait clairement comment étaient calculés ses paramètres40. Dans les deux cas, les plaintes ont été rejetées puisque les entreprises ont utilisé des formulations prudentes qui n’ont pas été jugées excessives ou trompeuses.

Aux États-Unis, des sociétés ouvertes ont également été confrontées à des litiges intentés par des investisseurs alléguant de fausses déclarations ESG. Par exemple, au Texas, une action collective pour fraude en valeurs mobilières a été lancée contre ExxonMobil, alléguant que la société avait trompé ses investisseurs sur certaines de ses activités pétrolières et gazières et sur les coûts supplétifs du carbone. En août 2023, la demande de certification de l’action collective a été partiellement acceptée, en particulier en ce qui concerne les allégations selon lesquelles ExxonMobil n’aurait pas déclaré ou divulgué de manière adéquate les pertes financières liées à certaines activités liées au bitume et au gaz sec au Canada41. Il est fort probable que des actions collectives fondées sur des allégations de fausses déclarations dans les prospectus ou sur le marché secondaire soient bientôt intentées au Canada.

Lorsqu’elles font des déclarations publiques et divulguent des renseignements sur les facteurs ESG dans leur prospectus, les entreprises doivent s’assurer de ne pas dire de faussetés et de ne pas se contredire. Dans la mesure du possible, les divulgations ESG doivent être adaptées à l’entité en question, mesurables et fondées sur des données vérifiables. Elles doivent aussi comprendre les mises en garde et les avis de non-responsabilité nécessaires. Pour réduire le risque de faire des déclarations fausses ou incohérentes, les conseils d’administration et les équipes de direction doivent établir un processus solide pour examiner et approuver les divulgations ESG avant de les rendre publiques. Une vérification juridique approfondie est également conseillée.

En plus des litiges et des mesures réglementaires fondées sur des déclarations ESG prétendument fausses ou trompeuses, on observe une croissance internationale des litiges portant sur le rendement ESG des entreprises ou les lacunes perçues à cet égard.

Certaines entreprises canadiennes ont fait face à des poursuites alléguant la négligence ou l’inconduite de leurs filiales ou de leurs fournisseurs à l’étranger. À ce jour, la plupart de ces poursuites n’ont pas abouti. Par exemple, dans l’affaire Das v. George Weston Limited, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le rejet d’une action collective concernant l’effondrement d’un immeuble au Bangladesh42. L’une des entreprises qui exerçaient des activités dans le bâtiment produisait à l’époque des vêtements pour un détaillant canadien. En rejetant d’abord l’action collective proposée, le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait affirmé que l’imposition de la responsabilité était injuste puisque les défendeurs n’étaient pas responsables de la vulnérabilité des demandeurs, n’avaient pas créé le milieu de travail dangereux et n’avaient aucun pouvoir sur les circonstances dangereuses ni sur les employeurs, employés ou autres occupants du bâtiment Rana Plaza43.

Les plaintes relatives à des violations présumées des droits de la personne ont connu un succès limité à l’étranger, du moins au stade préliminaire. Par exemple, dans l’arrêt Garcia v. Tahoe Resources Inc., la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a renversé un sursis visant une réclamation déposée contre Tahoe Resources à propos d’actes présumés du personnel de sécurité du secteur privé employé par une mine du Guatemala appartenant à l’une de ses filiales44. Plus tôt, dans l’affaire Choc v. Hudbay Minerals Inc., la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé de rejeter une plainte fondée sur des faits semblables45. Dans le dossier Nevsun Resources Ltd. v. Araya, trois travailleurs érythréens ont intenté une action contre Nevsun Resources en Colombie-Britannique, affirmant qu’ils avaient été conscrits, par l’entremise de leur service militaire, dans un régime de travail forcé pour une mine exploitée par une société érythréenne détenue à 60 % par Nevsun46. À l’instar de l’arrêt Garcia, l’affaire a été réglée avant qu’une décision n’ait été prise sur le fond. La Cour suprême du Canada a toutefois confirmé que les sociétés mères peuvent être tenues responsables des violations du droit international coutumier découlant des actions de leurs filiales à l’étranger.

Dans d’autres territoires, des entreprises ont fait l’objet de litiges visant à les tenir responsables de l’incidence de leurs émissions de gaz à effet de serre sur les changements climatiques. Aux États-Unis, ces efforts se sont avérés infructueux jusqu’à présent, bien que cela n’ait pas empêché certains plaignants de présenter des demandes créatives47. Récemment, dans l’affaire Milieudefensie, le tribunal de première instance de La Haye a ordonné à Royal Dutch Shell plc (Shell) de réduire d’ici 2030 ses émissions de CO2 de 45 % par rapport aux niveaux de 201948. Shell a interjeté appel du jugement, et la cause a été entendue en avril 2024; une décision est attendue dans le courant de l’année. Dans ce dossier, les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme sont décrits comme un instrument juridique non contraignant reconnu mondialement comme faisant autorité, notamment pour ce qui est d’interpréter la norme non écrite de diligence49. Ces principes servant de référence en matière de droits de la personne et de contrôle diligent ESG, il est possible qu’un tribunal de common law adopte un raisonnement similaire pour formuler une norme de diligence en matière de négligence.

Des poursuites relatives aux changements climatiques ont également été intentées contre et par des gouvernements.

La plupart des poursuites relatives aux changements climatiques au Canada ont été intentées contre le gouvernement50. Les revendications présentées dans les affaires Environnement Jeunesse, La Rose et Misdzi Yikh ont été rapidement rejetées (les tribunaux ont refusé l’action collective dans le premier cas et invalidé les poursuites dans les deux autres). Toutefois, dans La Rose et Misdzi Yikh, la Cour d’appel fédérale a statué que les requérants devaient être autorisés à modifier leurs plaintes reposant sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Plus récemment, l’affaire Mathur v. His Majesty the King in Right of Ontario a été tranchée sur le fond51. Dans ce dossier, un groupe de jeunes Ontariens a contesté les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du gouvernement de l’Ontario au motif qu’ils seraient inconstitutionnels et violeraient les droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte aux jeunes de la province et aux générations futures. Leur demande a été rejetée, mais un appel de la décision a été entendu en janvier 2024. La Cour d’appel a mis sa décision en délibéré.

Les procédures judiciaires liées aux changements climatiques intentées contre des gouvernements ont remporté plus de succès à l’étranger. Par exemple, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la Suisse avait violé la Convention européenne des droits de l’homme en n’ayant pas mis en œuvre de mesures suffisantes pour lutter contre les changements climatiques. La Cour a estimé qu’en ne réduisant pas ses émissions de gaz à effet de serre et en ne se conformant pas aux obligations imposées par la Convention en matière de lutte contre les changements climatiques, le gouvernement suisse avait violé l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale), et l’article 6.1 (Droit à un procès équitable)52

De même, dans l’affaire Urgenda Foundation v. State of the Netherlands, une organisation environnementale et un groupe de 900 citoyennes et citoyens des Pays-Bas ont poursuivi avec succès leur gouvernement pour l’obliger à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La Cour de district de La Haye a ordonné au gouvernement de limiter ses émissions de GES à 25 % sous les niveaux de 1990 d’ici 2020, estimant que son engagement fixé à 17 % était insuffisant pour assurer la juste contribution des Pays-Bas à l’objectif des Nations Unies de maintenir l’augmentation de la température mondiale à 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Cette décision a été entérinée par la Cour d’appel de La Haye et la Cour suprême des Pays-Bas en vertu de l’article 2 (Droit à la vie) et de l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme53.

Cependant, ce sont parfois les gouvernements qui montent au créneau pour des causes environnementales. Le 21 juin 2024, la Colombie-Britannique a intenté une action collective nationale contre les fabricants de substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (SPFA), également connues comme les produits chimiques « éternels », afin de recouvrer les coûts de leur détection et élimination dans les systèmes d’eau potable au Canada. La province allègue que les entreprises ont conçu des produits défectueux par négligence, omis d’en signaler les risques, enfreint la Loi sur la concurrence et se sont livrées à un complot civil.

West Coast Environmental Law a également lancé une campagne en vue d’encourager des gouvernements de la Colombie-Britannique à intenter une action collective contre les producteurs de pétrole et de gaz. Au 20 juin 2024, certaines administrations municipales (Gibsons, View Royal, Slocan, Qualicum Beach, Squamish, Burnaby, Port Moody et Sechelt) s’étaient engagées à participer à cette campagne.

On observe aussi une croissance des mesures réglementaires portant sur le rendement ESG des entreprises ou les lacunes perçues à cet égard.

Les entreprises des secteurs vestimentaire, minier, pétrolier et gazier doivent également être conscientes de la possibilité qu’une plainte soit déposée au Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE). L’OCRE a pour mandat d’examiner les allégations d’atteintes aux droits de la personne visant des entreprises canadiennes qui exercent leurs activités à l’étranger, de formuler des conclusions sur leur conduite et d’adresser des recommandations au ministre du Commerce international et aux entreprises concernées. La publication de tels rapports peut entraîner la perte de services d’appui au commerce et nuire à la réputation des entreprises. En avril 2024, il y avait 22 plaintes actives devant l’OCRE. Le premier rapport final de l’OCRE a été publié le 26 mars 2024. Il concluait que des travailleurs ouïghours avaient été soumis au travail forcé dans la mine d’or Hatu en Chine, qui appartient principalement à une société minière canadienne, et recommandait l’application de sanctions commerciales à l’encontre de cette société54.

Récemment, après avoir examiné les répercussions environnementales et humaines des activités à l’étranger de sociétés canadiennes d’exploitation et d’exploration minières, le Comité permanent du commerce international a recommandé au gouvernement du Canada d’explorer les possibilités d’élargir le mandat de l’OCRE. Les témoins entendus par le Comité permanent dans le cadre de ce rapport ont demandé que l’OCRE soit habilité à contraindre la comparution de témoins et à exiger la production de documents55.

Enfin, les dirigeants et les administrateurs de sociétés constituées en vertu de la LCSA pourraient faire face à une pression accrue de la part des investisseurs et d’autres parties prenantes pour qu’ils tiennent compte des facteurs ESG dans l’exercice de leurs pouvoirs et de leurs fonctions au nom de la société. En 2019, le Parlement a adopté le paragraphe 122(1.1) de la LCSA pour permettre aux dirigeants et aux administrateurs de tenir compte de divers intervenants, de l’environnement et des intérêts à long terme de la société lorsqu’ils agissent en faveur de cette dernière. Ces modifications viennent codifier certains principes liés aux responsabilités des administrateurs décrites dans l’arrêt BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 197656. Bien que les facteurs énoncés au paragraphe 122(1.1) ne soient pas contraignants, les administrateurs et les dirigeants pourraient devoir en tenir compte lorsqu’ils exercent leurs obligations fiduciaires, sans quoi ils risqueraient de faire l’objet d’allégations de manquement à ces obligations. En outre, ces facteurs pourraient également être invoqués pour se défendre contre des allégations indiquant que les administrateurs et les dirigeants n’ont pas agi dans l’intérêt de l’entreprise en adoptant des mesures ESG.

Le paragraphe 122(1.1) de la LCSA pourrait mener à une obligation légale de prendre en compte les facteurs ESG, comme c’est déjà le cas pour les administrateurs au Royaume-Uni57. En effet, en vertu de la Companies Act de 2006, ceux-ci sont tenus de prendre en considération divers facteurs, notamment les intérêts du personnel, les répercussions des activités de l’entreprise sur la collectivité et l’environnement, ainsi que la promotion de bonnes pratiques commerciales avec les fournisseurs et les clients58. Ainsi, le Royaume-Uni exige déjà des administrateurs qu’ils se penchent en permanence sur les enjeux ESG.

Au Canada, les entreprises peuvent déjà choisir d’imposer la prise en compte des facteurs ESG dans l’exercice de leurs activités. Celles qui obtiennent la certification « B Corp » sont tenues de modifier leurs statuts et d’y inclure une exigence selon laquelle les administrateurs doivent prendre en compte des facteurs qui reflètent ceux présentés au paragraphe 122(1.1) de la LCSA. Dans la même optique, les sociétés d’intérêt social, aux termes de la Business Corporations Act de la Colombie-Britannique59, doivent inclure dans leurs statuts un engagement à mener leurs activités « d’une manière responsable et durable » (comme défini dans la loi). Bien que la certification B Corp et le statut de société d’intérêt social soient volontaires, elles peuvent susciter des attentes chez les investisseurs.

Cette tendance à la hausse de tenter de tenir les entreprises responsables de leur rendement ESG devrait se poursuivre. Les entreprises canadiennes doivent être prêtes à justifier leurs agissements sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance au pays et à l’étranger.

Même si vos déclarations ESG sont exactes, elles peuvent constituer une preuve dans le cadre d’un litige visant à déterminer si vous avez respecté vos obligations légales ou si vous avez enfreint d’autres exigences.

À titre d’exemple, dans l’arrêt Milieudefensie, susmentionné, le tribunal de première instance de La Haye s’est servi des engagements environnementaux et des déclarations publiques de Shell pour prouver que l’entreprise n’avait pas pris de mesures suffisantes pour respecter la norme de diligence non écrite prévue par le Code civil néerlandais. Dans l’affaire Das v. George Weston Limited, dont il est aussi question ci-dessus, les demandeurs se sont appuyés, sans succès, sur les normes de responsabilité sociale adoptées volontairement par l’entreprise et intégrées à son code de conduite à l’intention des fournisseurs pour faire valoir qu’elle devait être tenue responsable des actions de ses fournisseurs au Bangladesh. Plus récemment, ClientEarth a déposé une plainte contre Cargill auprès du U.S. National Contact Point for the OEDC Guidelines. Selon ClientEarth, l’examen des politiques et procédures de Cargill prouve son manque de contrôle diligent sur le plan environnemental.

Ces poursuites servent d’avertissement quant au fait que les tribunaux peuvent examiner les promesses et les engagements d’une entreprise en matière d’ESG afin de déterminer si elle doit être tenue légalement responsable d’une faute présumée.

Des décisions récentes au Canada et au Royaume-Uni suggèrent que les déclarations ESG publiques peuvent permettre aux plaignants de contourner le « voile de la personne morale » et de poursuivre directement une société mère pour les actes de ses filiales. Les sociétés mères poursuivies pour les actions de leurs filiales à l’étranger doivent connaître le droit matériel du territoire en question, lequel pourrait s’appliquer aux actions en responsabilité civile délictuelle intentées au Canada.

Dans l’affaire Choc v. Hudbay Minerals Inc., les demandeurs alléguaient que le personnel de sécurité des filiales d’une société mère canadienne avait violé des droits de la personne au Guatemala. La société mère avait déclaré publiquement avoir adopté les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de la personne pour son personnel et ses sous-traitants. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a considéré que ces déclarations publiques, entre autres facteurs, témoignaient d’une relation de proximité entre les défendeurs et les demandeurs. L’affaire n’a pas été tranchée sur le fond, mais la Cour a autorisé la poursuite des actions en négligence des demandeurs.

Deux autres décisions de la Cour suprême du Royaume-Uni viennent confirmer la tendance à considérer les déclarations ESG comme une base pour établir la responsabilité des sociétés mères60. Dans les arrêts Vedanta Resources PLC & Anor v. Lungowe & Ors (Vedanta) et Okpabi & Ors v. Royal Dutch Shell plc & Anor (Okpabi), les demandeurs ont poursuivi des sociétés mères établies au Royaume-Uni pour les actions de leurs filiales en Zambie et au Nigeria, respectivement. Dans chaque cas, les plaignants ont invoqué des déclarations et des politiques publiées par les sociétés mères afin d’établir un lien entre les défendeurs et les préjudices allégués à l’étranger.

Dans les arrêts Vedanta et Okpabi, la Cour suprême du Royaume-Uni a autorisé la poursuite du procès. Elle a statué que la responsabilité des sociétés mères à l’égard des tiers engagée par des filiales situées à l’étranger doit être déterminée par les principes ordinaires et généraux de la responsabilité civile. Une société mère peut avoir un devoir de diligence envers des tiers si elle affirme publiquement exercer un contrôle précis sur ses filiales, même si ce n’est pas le cas dans les faits. Bien qu’aucune de ces affaires n’ait été tranchée sur le fond61, Vedanta et Okpabi ont ouvert la voie à l’affirmation de la compétence des tribunaux anglais à l’égard des entreprises britanniques qui font l’objet de poursuites pour des dommages environnementaux causés par leurs filiales opérant à l’étranger. Dans le sillage des arrêts Vedanta et Okpabi, l’affaire Município de Mariana v. BHP Group Pic a été portée devant les tribunaux anglais. Cette action vise à obtenir environ 5 G£ de dommages-intérêts de la part de la société mère, BHP Billiton, à la suite de l’effondrement du barrage Fundão au Brésil en 2015, prétendument causé par sa filiale62. Elle doit être entendue en octobre 202463. Ces dossiers ont suscité l’intérêt des cabinets juridiques et des organismes de financement des litiges et pourraient encourager le dépôt de plaintes similaires devant les tribunaux anglais et d’autres territoires.Au Canada, la Cour d’appel de l’Ontario a déjà cité les arrêts Vedanta et Okpabi dans l’examen de la responsabilité délictuelle potentielle de sociétés mères64.

Toutefois, les déclarations ESG d’une entreprise peuvent être utilisées à d’autres fins que pour dénoncer un manquement à ses engagements ESG. En novembre 2022, le Sénat américain a envoyé à 51 cabinets juridiques une lettre signée par 5 sénateurs et sénatrices pour leur expliquer que la mise en œuvre d’initiatives ESG pouvait entraîner des violations des règles antitrust dans la mesure où elles peuvent nuire à la concurrence, qui relève de la compétence de la Federal Trade Commission (FTC). Les signataires ont annoncé que le Congrès américain sera plus vigilant sur les violations institutionnalisées des lois antitrust commises sous le couvert d’initiatives ESG; en prévision d’éventuelles enquêtes de la FTC et du ministère de la Justice, les cabinets juridiques ont été invités à conserver toute documentation pertinente. Étant donné que le Canada pourrait prendre exemple sur son voisin, les entreprises canadiennes doivent veiller à ce que leurs initiatives ESG soient conformes à la Loi sur la concurrence.

Maintenant que les plaignants s’appuient sur les déclarations et engagements ESG des sociétés pour tenter d’établir une base de responsabilité quant à leurs actions ou leur inaction devant les tribunaux, les entreprises canadiennes doivent examiner soigneusement leurs divulgations ESG et s’assurer qu’elles cadrent avec leurs activités et qu’elles sont conformes à toutes les lois applicables. Tout comme la vérification des programmes de contrôle diligent, un examen juridique précoce des divulgations ESG pourrait s’avérer utile.

Conclusion

Les entreprises doivent porter un regard critique sur l’exactitude et la structure de leurs déclarations liées aux facteurs ESG afin de se protéger contre d’éventuelles contestations judiciaires ou mesures réglementaires. De plus, elles doivent définir clairement la portée de leurs engagements relatifs aux questions ESG tout en s’assurant de respecter leurs obligations légales et de satisfaire les attentes du marché en matière de divulgation. Par ailleurs, il est recommandé de solliciter l’avis de conseillers juridiques et d’autres spécialistes avant de mettre en œuvre de nouvelles initiatives ESG afin de s’assurer de leur pertinence tant sur le plan juridique que commercial. Enfin, les entreprises doivent examiner leurs polices d’assurance afin de déterminer si les réclamations liées aux enjeux ESG sont couvertes.

Accorder toujours plus de place aux facteurs ESG offre de nombreux avantages, mais les sociétés devront composer avec de nouvelles responsabilités juridiques et de nouveaux risques en matière de litige. Des conseillers juridiques aguerris peuvent les aider à y arriver en toute confiance.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur la façon de structurer et de définir les déclarations ESG de votre entreprise ou si vous avez des questions sur l’incidence des facteurs ESG sur la valeur de votre organisation et les décisions des investisseurs, n’hésitez pas à communiquer avec les autrices ou les auteurs du présent article, ou avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.

Principaux Contact