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La Cour fédérale applique le principe de compétence-compétence dans General Entertainment and Music Inc. c. Gold Line Telemanagement Inc., 2022 CF 418
Introduction
Dans General Entertainment and Music Inc. c. Gold Line Telemanagement Inc., 2022 CF 418, la Cour fédérale a fourni des directives quant au critère juridique à appliquer lorsqu’une partie cherche à faire exécuter une clause d’arbitrage. Cette décision est particulièrement notable d’une part parce que la Cour fédérale voit beaucoup moins de dossiers d’arbitrage que les tribunaux provinciaux et de l’autre parce qu’elle précise le cadre à appliquer lorsque des parties demandent de surseoir à des poursuites.
Ce que vous devez savoir
- Gold Line Telemanagement Inc. (« Gold Line ») a interjeté appel de la décision d’une juge puînée de rejeter une requête visant la suspension des procédures en faveur d’un arbitrage dans le cadre de l’action intentée par General Entertainment and Music Inc. (« GEM ») pour violation de droit d’auteur.
- L’enjeu principal présenté à la Cour consistait à déterminer s’il était envisageable de suspendre les procédures en faveur d’un arbitrage aux Bermudes.
- La Cour fédérale a accueilli l’appel, le refus de la juge responsable de la gestion de l’instance étant basé sur une erreur de droit.
Contexte
GEM, société constituée au Canada en 2015, offrait à ses abonnés des services par satellite leur donnant accès à divers programmes télévisés en persan; GEM détenait les droits d’auteur sur ces émissions. Jusqu’en 2017, le groupe d’entreprises GEM exerçait principalement ses activités par l’intermédiaire de l’entité GEMCO, propriétaire antérieure de certains actifs de GEM. GEM a soutenu qu’elle n’avait pas succédé à GEMCO et qu’elle n’avait pas assumé ses obligations contractuelles.
En vertu d’une entente d’acquisition de contenu et d’octroi de licences (l’« entente »), GEM, le concédant, a donné à la société bermudienne Ava, l’entité contractante qui fournit du contenu à Gold Line, sa société mère, le droit d’offrir son contenu. Gold Line offrait des services de média par contournement par l’entremise de GLWiZ, plateforme IP mondiale détenue et exploitée par GLWiZ Inc., filiale de Gold Line. L’entente contenait une clause d’arbitrage qui mentionnait « General Entertainment Media », mais sans préciser s’il était question de GEMCO, du groupe d’entreprises GEM en général ou d’une autre entité.
Critère juridique pour déterminer s’il y a lieu de suspendre des procédures en faveur d’un arbitrage
La principale question posée à la Cour était celle de savoir s’il était possible de suspendre les procédures en faveur d’un arbitrage aux Bermudes. Il existe certes une Loi sur l’arbitrage commercial (la « LAC ») fédérale, mais elle a une portée plus limitée que la compétence d’attribution de la Cour fédérale.
La LAC ne s’applique qu’aux procédures de la Couronne fédérale et aux dossiers de droit maritime et de droit de l’amirauté; elle ne convient pas à d’autres réclamations devant la Cour fédérale, comme celles qui se rapportent aux lois en matière de propriété intellectuelle.
Sans faire directement référence au champ d’application de la LAC, la Cour s’est reportée à la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, L.R.C. 1985, ch. 16 (la « LCNUSAE »), laquelle intègre dans la législation canadienne les principes de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (la « Convention de New York »). La Cour a confirmé que l’article II.3 de la Convention de New York l’obligeait à renvoyer le dossier en arbitrage, à moins qu’elle juge l’entente d’arbitrage « caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée ».
Elle a aussi ajouté que « [d]ans la mesure où le différend pourrait être visé par la clause d’arbitrage, il doit être renvoyé à l’arbitrage ». Cette décision cadre avec le principe de compétence-compétence et de grands arrêts de la Cour suprême du Canada ayant fait jurisprudence, notamment Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, 2007 CSC 34 qui sert régulièrement à confirmer la compétence juridictionnelle des arbitres.
La Cour fédérale a affirmé que lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord lui être renvoyée. On déroge toutefois à cette règle dans deux situations :
- lorsque la contestation comporte une question de droit seulement;
- pour les questions mixtes de droit et de fait, lorsque les questions de droit n’appellent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier et lorsque le tribunal est convaincu que la contestation n’est pas une tactique dilatoire et qu’elle ne compromettra pas le recours à l’arbitrage.
La Cour fédérale a également clarifié que la juge responsable de la gestion de l’instance avait commis une erreur en se fiant à la décision de la Cour suprême du Canada dans Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27 pour statuer sur l’exécution de la clause d’arbitrage en cause. En effet, cet arrêt établit que les tribunaux se doivent d’exécuter les clauses d’élection de for, à moins que la partie demanderesse présente des « motifs sérieux » soutenant qu’il ne serait pas raisonnable ou juste dans les circonstances de lui demander d’adhérer aux modalités de la clause en question. Cependant, lorsqu’il existe une entente d’arbitrage valide, les tribunaux n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de décider de ne pas suspendre les procédures.
La résiliation d’un contrat ne peut servir d’argument pour se sauver d’un arbitrage
La Cour fédérale a également confirmé qu’une partie ne peut éviter un arbitrage sous prétexte que le contrat qui comprend la clause d’arbitrage a été résilié. Selon la doctrine de la séparabilité, une clause d’arbitrage est « autonome et juridiquement indépendante du contrat principal dans lequel elle figure ». Ainsi, la Cour a soutenu que même dans le cas où une entente était résiliée de manière légitime, elle avait tout de même un devoir systématique de renvoyer à l’arbitrage.
Points à retenir
Cette décision établit clairement que la Cour fédérale a l’obligation de suspendre des procédures en faveur d’un arbitrage, même lorsque la LAC ne s’applique pas. De plus, elle confirme qu’une partie ne peut échapper à un arbitrage en invoquant la résiliation du contrat qui contient la clause d’arbitrage. À la date de la publication de cet article, la décision fait l’objet d’un appel, mais aucune audience n’a encore été prévue.