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Perspectives

Le Tribunal administratif du travail confirme le congédiement d’un cadre supérieur pour fautes graves

BLG vient d’obtenir un deuxième jugement favorable pour sa cliente, Kleen-Flo Tumbler Industries Limited. Dans l’affaire Desaulniers c. Kleen-Flo Tumbler Industries Limited, 2025 QCTAT 471, la terminaison d’emploi d’un cadre supérieur mettait en cause des allégations de détournement de cartes-cadeaux et de divulgation d’informations confidentielles et sensibles appartenant à l’employeur.

Notre victoire précédente de 2023, dans Couture c. Kleen Flo Tumbler Industries Limited, 2023 QCCS 2175, avait également mené à la confirmation du bien-fondé du congédiement d’un cadre supérieur, pour des motifs différents.

Contexte

Dans cette nouvelle affaire, le plaignant occupait le poste de vice-président des ventes pour l’Est du Canada et les Maritimes auprès de Kleen-Flo Tumbler Industries Limited, une entreprise de produits chimiques pour véhicules automobiles.

Au moment de sa fin d’emploi, le plaignant cumulait près de 35 années de service, dont les 10 dernières années en tant qu’employé cadre de l’entreprise. Il était la deuxième personne la mieux rémunérée de l’organisation.

Dans le cadre de ses activités, l’employeur disposait d’un programme de récompenses destinées à sa clientèle, lequel incluait notamment des cartes-cadeaux. Essentiellement, lorsque des clients se procuraient certains produits Kleen-Flo en quantité suffisante, les représentants aux ventes de l’employeur pouvaient leur remettre des cartes-cadeaux à des fins promotionnelles.

Au mois de mars 2019, l’employeur déclenche une enquête interne après avoir découvert qu’un montant important en cartes-cadeaux avait été octroyé à un destinataire qui, normalement, n’y aurait pas été admissible. Au terme d’une enquête plus approfondie, l’employeur découvre plusieurs transactions irrégulières indiquant que le plaignant aurait personnellement réquisitionné pour des milliers de dollars de cartes-cadeaux dans le cadre de ventes non-conclues, ou de ventes pour lesquelles des cartes-cadeaux ne pouvaient être octroyées.

Au mois d’avril 2019, dans le cadre d’une rencontre avec l’un des propriétaires de l’entreprise, le plaignant est confronté aux preuves documentaires. Au terme de cet échange, il admet ses agissements et prie l’employeur de mettre fin à l’enquête et de le laisser prendre sa retraite, afin qu’il puisse quitter dignement son emploi à la fin de l’année. L’employeur refuse d’abord cette demande, mais devant l’insistance du plaignant, il accepte plus tard cette proposition.

Cependant, au mois d’octobre 2019, quelques mois avant la date prévue de sa fin d’emploi, le plaignant change son discours et réclame que l’employeur lui verse une indemnité tenant lieu de préavis de fin d’emploi, en raison de l’« abolition » prochaine de son poste. Surpris, l’employeur ignore cette demande.

Au mois de décembre 2019, le plaignant réitère sa demande de compensation et chiffre celle-ci à 250 000 $. L’employeur refuse cette demande et, un peu plus tard, il reçoit copie d’une présentation PowerPoint préparée à la demande du plaignant et destinée au client le plus important de l’entreprise. Dans ce document, le plaignant partage des informations hautement confidentielles au sujet de l’employeur, notamment les coûts de production de certains produits de même que des marges de profits, le tout dans un contexte où le plaignant offre ses services à ce client en tant que « conseiller » ou « chargé de projet ».

À la lumière des agissements du plaignant, l’employeur congédie le plaignant pour motif sérieux le 20 décembre 2019. Dans les semaines suivantes, le plaignant dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante ainsi qu’une plainte pour mise à la retraite forcée auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Résumé et dispositif du jugement

Au terme de 20 jours d’audition (répartis de 2022 à 2024), le Tribunal fait droit à l’objection préliminaire ainsi qu’aux arguments de l’employeur et rejette les plaintes du plaignant. Plus précisément :

  • D’entrée de jeu, le Tribunal partage son appréciation de la crédibilité des parties. Alors que le Tribunal qualifie les versions des faits relatées par les témoins de l’employeur comme étant « plus probantes, cohérentes et pondérées », il accorde peu de crédibilité au témoignage du plaignant, notant son manque de constance, son incohérence et ses nombreuses invraisemblances, notamment lorsque le plaignant persiste à nier l’évidence. Par ailleurs, le Tribunal remarque que la théorie de la cause du plaignant semble se construire au fil de l’audition, à défaut de s’appuyer sur la réalité telle qu’elle existait au moment des faits.
  • Concernant la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, le Tribunal conclut que la preuve révèle bel et bien que le plaignant avait annoncé sa démission, laquelle devenait effective le 31 décembre 2019. Toutefois, puisque l’employeur a rompu le lien d’emploi du plaignant le 20 décembre 2019, un congédiement était aussi survenu. À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut que le plaignant avait le statut de « cadre supérieur » et qu’il n’était donc pas admissible au recours pour congédiement sans cause juste et suffisante. La conclusion du Tribunal sur cette question repose notamment sur l’autonomie décisionnelle dont jouissait le plaignant dans le cadre de ses fonctions, ainsi que sa participation à l’élaboration des décisions de l’entreprise.
  • Concernant la plainte pour mise à la retraite forcée, le Tribunal conclut que le plaignant ne remplissait pas les critères essentiels de ce recours. Il n’y avait, notamment, aucune preuve d’un régime ou d’une pratique chez l’employeur obligeant un employé atteignant un certain âge à prendre sa retraite, ni aucune preuve que l’employeur avait mis fin à l’emploi du plaignant en raison de son âge.
  • Puisque la preuve révélait que le plaignant était un cadre supérieur et que les critères essentiels du recours pour mise à la retraite forcée n’étaient pas satisfaits, le Tribunal aurait pu se limiter à rejeter les plaintes à l’étape préliminaire. Toutefois, vu l’ampleur des procédures et les ressources investies par les parties afin de faire valoir leurs prétentions, le Tribunal conclut qu’il serait « souhaitable et à l’avantage de tous de statuer sur l’ensemble des questions » et de se prononcer sur la validité des motifs du congédiement, soit les allégations de détournement de cartes-cadeaux et de divulgation d’informations confidentielles et sensibles appartenant à l’employeur.
  • À ce sujet, le Tribunal a fait droit aux arguments de l’employeur voulant que les agissements du plaignant, relativement à son utilisation du programme de cartes-cadeaux et à son manque de loyauté, justifiaient son congédiement immédiat et sans progression de sanctions.

Points à retenir

  • Détermination du statut de cadre supérieur

Concernant la notion de « cadre supérieur » et l’inéligibilité du recours pour congédiement sans cause juste et suffisante, le Tribunal fait un important rappel des critères applicables. S’appuyant sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Delgadillo c. Blinds To Go Inc., 2017 QCCA 818, le Tribunal rappelle que l’absence de droit de veto d’un employé n’affecte pas nécessairement la réalité de sa participation à la prise de décision de l’entreprise, et que le fait d’y être associé ou d’y participer de façon significative peut suffire à conclure que cet employé possède le statut de « cadre supérieur ».

  • Intention de départ à la retraite

Même en l’absence d’un écrit confirmant la décision d’un employé de démissionner de son poste ou de prendre sa retraite à compter d’une date précise, il demeure possible de conclure qu’un employé avait cette intention et qu’il avait communiqué cette dernière, en fonction de la preuve testimoniale et matérielle.

  • Mise à la retraite forcée

Dans l’éventualité où un employé ayant atteint ou dépassé l’âge de la retraite est congédié et dépose une plainte pour mise à la retraite forcée en vertu de la Loi sur les normes du travail, l’employé devra notamment faire la preuve de l’existence chez l’employeur d’un âge ou d’un nombre d’années de service menant à la retraite, en vertu d’une pratique, d’un régime de retraite ou d’un autre motif prévu par la loi.

  • Appropriation des biens de l’employeur

Même lorsque la preuve ne permet pas nécessairement de déduire qu’un employé s’approprie les biens de son employeur pour son bénéfice personnel, l’utilisation ou l’appropriation des biens de l’employeur pour des motifs différents ou contraires à ceux prévus par l’employeur peut constituer une cause juste et suffisante de congédiement. Il s’agit également d’une faute grave justifiant de passer outre la gradation des sanctions, notamment lorsque l’employé occupe un poste d’importance qui commande un haut degré de probité et d’intégrité.

  • Manquement à l’obligation de loyauté

Le tribunal rappelle que lorsqu’un employé commet une faute relativement à son obligation de loyauté et que, ce faisant, il se place dans une situation de conflit d’intérêt ou il place son employeur dans une situation de grande vulnérabilité, les intentions et les motivations exprimées par de cet employé ne pourront constituer un facteur atténuant afin de minimiser sa faute et réduire la sanction imposée par l’employeur.

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