BLG vient d’obtenir un jugement favorable en Cour supérieure dans Couture c. Kleen Flo Tumbler Industries Limited, 2023 QCCS 2175, une affaire mettant en cause des allégations de harcèlement psychologique et sexuel à l’encontre d’un haut dirigeant de l’organisation.
Contexte
L’employeur avait mis fin à l’emploi de l’un de ses deux plus hauts dirigeants au Québec, M. Guy Couture, en dépit de ses près de 40 ans de service et de son dossier disciplinaire vierge.
Cette décision avait été prise par l’employeur en raison d’allégations de harcèlement psychologique et sexuel provenant de la grande majorité du personnel, en plus d’allégations voulant que son comportement avec la clientèle ainsi que les employés était inacceptable.
En fait, le comportement de M. Couture était devenu tellement intolérable qu’il avait amené treize employés à déposer une plainte contre lui. Par la suite, tous les employés de bureau et d’entrepôt avaient pris la décision de déserter le milieu de travail pendant plusieurs jours en guise de protestation contre l’attitude de M. Couture.
Dans ce contexte, l’employeur avait mandaté une firme d’enquête externe et impartiale afin de faire la lumière sur la situation. Une enquête approfondie avait été menée selon les règles de l’art. Après avoir rencontré la totalité des employés, l’enquêtrice avait rédigé un rapport d’enquête confirmant la majorité des allégations rapportées par les employés.
À la lumière du rapport d’enquête, l’employeur avait pris la décision de congédier immédiatement M. Couture pour un motif sérieux, sans préavis ni indemnité en tenant lieu. Pour l’employeur, il était évident que M. Couture ne pouvait plus être en contact avec les employés et n’avait plus sa place dans l’organisation. Le comportement du dirigeant au fil des années avait eu un impact néfaste sur les employés et sur le climat de travail, et il fallait protéger les employés et s’assurer qu’ils ne subissent aucun préjudice additionnel.
Lors du procès, M. Couture contestait les motifs de sa fin d’emploi et réclamait 500 000 $ à titre d’indemnité de départ et de dommages-intérêts.
Détails du jugement
Après avoir entendu la preuve, la juge Danielle Turcotte de la Cour supérieure a conclu que l’employeur avait bel et bien fait la démonstration d’un motif sérieux de congédiement, ce qui justifiait le congédiement de M. Couture sans préavis ni indemnité en tenant lieu.
D’abord, la juge Turcotte a noté que les témoignages « sans failles » des onze témoins de l’employeur corroboraient fidèlement le rapport d’enquête de la firme indépendante. À titre d’exemples, la preuve révélait notamment ce qui suit :
- M. Couture était un être autoritaire qui ne laissait place à aucune argumentation;
- Les employés marchaient sur des œufs lorsqu’ils s’adressaient à M. Couture, de peur de se faire rabrouer;
- M. Couture parlait en mal de tout le monde. Il tenait ouvertement un discours irrévérencieux à l’égard des femmes et démontrait peu d’égards aux employés issus de minorités visibles;
- M. Couture utilisait des sacres pour amplifier ses qualificatifs péjoratifs;
- Il s’adressait de façon condescendante aux représentants aux ventes;
- Il passait des remarques déplacées sur les atouts féminins d’une employée;
- M. Couture avait déjà mis sa main sur la cuisse d’une employée, rendant cette employée hautement inconfortable;
- M. Couture avait manqué de loyauté envers son employeur, notamment en dénigrant la direction, en affirmant que les employés du siège social ne connaissaient rien et en commentant leur origine ethnique de façon péjorative;
- La juge Turcotte a aussi noté également que « l’absence de bienveillance de M. Couture » s’était révélée « lors du contre-interrogatoire où il répondait sur un ton insolent à l’avocate de la partie défenderesse ».
Dans ces circonstances, la juge Turcotte a conclu que le congédiement était justifié malgré l’absence de gradation de sanction et les presque 40 années de service de M. Couture.
En effet, la juge Turcotte a rappelé que tout employeur a l’obligation d’agir pour protéger la santé, la sécurité et la dignité des employés. Selon elle, « lorsque la source du harcèlement provient d’une personne en autorité dans l’entreprise, l’employeur se doit de réagir promptement afin de freiner l’effet dévastateur que les gestes sont susceptibles de causer dans le milieu de travail1 ».
La juge Turcotte a retenu qu’en tant que directeur, M. Couture se devait d’être un modèle pour les autres et sa manière d’agir devait refléter les valeurs de l’entreprise. Qui plus est, en raison de son poste, M. Couture était celui à qui il incombait de s’assurer que le milieu de travail soit exempt de toute forme de harcèlement psychologique ou sexuel.
Or, en l’espèce, la juge Turcotte a conclu que M. Couture avait lui-même mis le bien‑être des employés en péril en adoptant un comportement constituant du harcèlement. Non seulement l’attitude de M. Couture violait les valeurs de l’entreprise, mais elle empoisonnait le climat de travail.
La preuve révélait par ailleurs que le comportement inapproprié de M. Couture durait depuis des années. Pour sa part, M. Couture tentait d’invoquer que le délai mis par les employés pour se plaindre de son comportement devait jouer en sa faveur. Toutefois, la juge Turcotte a retenu que les employés craignaient tous les représailles qui auraient pu découler d’une telle dénonciation, et que cela expliquait qu’ils ne s’étaient pas plaints à la première occasion.
En ce qui concerne l’argument de M. Couture selon lequel l’employeur aurait dû appliquer une gradation des sanctions avant de le congédier, la juge Turcotte l’a rejeté en affirmant, à bon droit, que ce principe ne s’appliquait pas à un cadre comme lui, qui se trouvait « au sommet hiérarchique de la compagnie ».
Plus encore, la juge Turcotte a conclu que la façon d’être de M. Couture était ancrée en lui depuis longtemps et qu’il ne s’agissait pas d’une situation qui se corrigeait. D’ailleurs, tout au long de l’enquête et du procès, M. Couture a continué de nier les fautes qui lui étaient reprochées ou d’en minimiser la portée, et il n’a exprimé aucuns remords. Selon la juge Turcotte, en l’absence de remords et de reconnaissance de la part d’un individu, il n’y a aucun espoir de réhabilitation.
À la lumière de tout ce qui précède, la juge Turcotte a conclu que le congédiement de M. Couture était une sanction appropriée. La demande de M. Couture a été rejetée entièrement.
Points à retenir
Cette décision rappelle les principes suivants :
- Le harcèlement en milieu de travail est inacceptable et peut mériter un congédiement immédiat pour un motif sérieux, sans préavis ni indemnité en tenant lieu.
- Tout employeur doit prendre les mesures appropriées pour protéger la santé, la sécurité et la dignité de l’ensemble de ses employés. Cela inclut notamment le fait de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et sexuel, et d’y mettre fin lorsqu’une telle conduite est portée à la connaissance de l’employeur.
- Aussitôt qu’un employeur est informé d’allégations de harcèlement psychologique, sexuel ou discriminatoire, ou de toute autre inconduite en milieu de travail, il est bien avisé de faire appel à un conseiller juridique pour connaître ses obligations et agir sans tarder.
- Bien que le principe de la gradation des sanctions puisse être la norme avant de procéder à un congédiement pour un motif sérieux, il n’est pas toujours opportun de suivre ce principe, dépendamment des circonstances propres à chaque dossier.
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Les autrices remercient Samuel Roy, étudiant en droit, pour sa contribution à cette publication.
1 Paragraphe 91 du jugement.