Le 23 février 2024, le gouvernement du Canada a publié un projet de règlement visant à réduire les rejets de composés organiques volatils (COV) provenant d’installations pétrolières ainsi qu’un avis d’intention portant sur la réduction des émissions de benzène des stations-service (l’« avis d’intention »).
Affirmant que ces initiatives s’appuient sur des mesures antérieures de lutte contre les COV et d’autres polluants atmosphériques, il a ainsi démontré sa volonté de garantir à la population canadienne un environnement sain, comme l’illustrent les récentes modifications apportées à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999 (LCPE). Cependant, comme nous l’expliquons plus loin, le projet de règlement pourrait marquer le début d’un conflit entre les gouvernements fédéral et provinciaux sur la compétence de légiférer sur les questions environnementales.
Projet de règlement sur les COV au Canada
En vertu du projet de règlement, les réservoirs de stockage de liquides pétroliers et les rampes de chargement devraient être dotés d’un dispositif de contrôle des émissions. Les installations qui y seraient assujetties comprennent les terminaux routiers, ferroviaires, maritimes et de pipelines, les raffineries de pétrole, les usines de valorisation, les installations pétrochimiques et les grandes installations de stockage de carburant en vrac. Leurs exploitants seraient tenus d’installer, d’inspecter, d’entretenir et de réparer ces dispositifs, en plus de devoir se conformer à des exigences de tenue de registres et de production de rapports. Les dispositifs de contrôle des émissions dépendront du type de réservoirs de stockage et de rampes de chargement; il pourrait s’agir de toits flottants internes et externes, de systèmes de contrôle des vapeurs, d’évents à pression-dépression ou d’un système de retour en boucle des vapeurs. Les installations concernées devront se conformer au règlement applicable aux réservoirs et aux rampes de chargement existants et à l’équipement en fonction des niveaux d’émission détectés. Selon les éléments à mettre en conformité, la date butoir variera entre 2025 et 2031.
En plus du projet de règlement sur les COV, le gouvernement a annoncé son intention de réduire les émissions de benzène des stations-service. Santé Canada et Environnement et Changement climatique Canada se lanceront dans l’élaboration d’une stratégie de gestion des risques qui comprendra éventuellement l’adoption de règlements en vertu de la LCPE pour réduire les émissions de benzène des stations-service. Les consultations sur une stratégie de gestion des risques visant à gérer les émissions de vapeurs d’essence provenant des stations-service débuteront en 2024.
Efforts de réglementation des émissions
Le projet de règlement sur les COV intervient dans le sillage d’une série de mesures prises par le gouvernement fédéral pour réglementer les émissions, notamment les modifications proposées pour réduire d’au moins 75 % par rapport aux niveaux de 2012 d’ici 2030 les émissions de méthane dans le secteur pétrolier et gazier en amont et l’introduction d’un plafond pour les émissions provenant du pétrole et du gaz.
Le document d’information technique sur les modifications proposées au règlement fédéral sur les émissions de méthane explique que la réduction de ces émissions fera baisser aussi les émissions de COV, étant donné que ces composés sont souvent issus des mêmes sources que le méthane, soit l’évacuation et les émissions fugitives. Le lien entre la réduction des émissions de méthane et de COV est également souligné dans le projet de règlement sur les COV, car la réglementation des émissions de méthane et celle des émissions de COV vont de pair. Les modifications proposées concernant les émissions de méthane ont suscité de vives critiques, notamment de la part de la Saskatchewan et de l’Alberta, qui ont affirmé que le gouvernement fédéral empiétait sur leurs droits constitutionnels et que les changements pourraient nuire à leur économie.
L’affrontement entre les gouvernements provinciaux et fédéral pour déterminer qui a le pouvoir de légiférer sur les questions environnementales ne date pas d’hier. En 2021, la Cour suprême du Canada avait statué dans sa décision Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, que le gouvernement fédéral avait le pouvoir d’imposer des normes nationales minimales de tarification des émissions de gaz à effet de serre en tant que matière d’intérêt national. Toutefois, cette décision se limitait à la tarification des émissions de GES – un mécanisme de réglementation précis et restreint. En effet, elle ne donnait pas carte blanche au gouvernement fédéral pour réglementer les émissions de GES en général.
La Cour s’est attardée davantage sur les limites des compétences fédérales en matière d’environnement dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23. Dans ce cas, elle a estimé que le régime applicable au projet désigné dans la loi fédérale sur l’évaluation d’impact était extra vires, car il ne faisait pas partie des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale. Récemment, la Cour fédérale a conclu que le pouvoir du gouvernement du Canada de légiférer en matière de droit criminel ne lui permettait pas d’interdire les plastiques à usage unique en vertu de la LCPE; cette décision a toutefois été suspendue dans l’attente d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale.
Compte tenu de la récente décision dans le Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, des analystes ont mis en doute le fait que les modifications proposées pour réduire les émissions de méthane cadrent suffisamment avec les domaines de compétence fédérale. Le projet de règlement sur les COV pourrait soulever des questions du même ordre, car il tend à réglementer toutes sortes d’installations qui relèveraient autrement de la compétence provinciale. En outre, le gouvernement fédéral a reconnu dans son Résumé de l’étude d’impact de la réglementation que certaines installations sont déjà soumises à des mesures provinciales ou municipales obligatoires, ce qui pourrait entraîner un chevauchement législatif. Reste à déterminer si ce chevauchement est problématique ou s’il relève de la doctrine du double aspect qui, dans certains cas, permet aux gouvernements fédéral et provinciaux d’adopter des lois sur les mêmes enjeux.
Le projet de règlement sur les COV s’inscrit vraisemblablement dans la volonté du gouvernement fédéral de protéger la santé publique. Un rapport de Santé Canada publié en 2023 révèle que les Canadiens et Canadiennes vivant à proximité d’une station-service risquent une exposition à des niveaux élevés d’agents cancérigènes dans l’air, notamment du benzène, ce qui explique la décision du fédéral de publier un avis d’intention visant cette substance.
Selon le gouvernement fédéral, les efforts déployés pour protéger l’environnement et la santé publique vont dans le sens de son engagement à assurer à la population un environnement sain. La publication du projet de règlement sur les COV et de l’avis d’intention fait suite à l’annonce par le gouvernement fédéral, le 8 février 2024, du lancement d’une consultation publique sur l’élaboration d’un cadre de mise en œuvre du droit à un environnement sain.
Prochaines étapes
BLG peut vous aider à commenter le projet de règlement sur les COV et l’avis d’intention, à suivre l’évolution de la situation et à mieux comprendre en quoi les mesures prises peuvent avoir une incidence sur vos affaires.
Vous avez jusqu’au 24 avril 2024 pour soumettre vos commentaires sur le projet de règlement sur les COV; la version définitive du règlement devrait être publiée à l’hiver 2024-2025. Vous pouvez aussi envoyer vos commentaires sur l’avis d’intention à l’adresse [email protected].
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à communiquer avec l’un·e des auteur·rices du présent article ou avec le groupe Environnement ou Énergie de BLG.