Les membres du groupe Litige commercial de BLG suivent de près l’évolution du droit commercial canadien concernant les actionnaires, les administrateurs et dirigeants, et la gouvernance d’entreprise. Voici cinq décisions rendues dans le domaine des litiges commerciaux en 2023 qui joueront sur les décisions d’affaires futures.
1. Mise en garde sur l’exécution de fusions
Pour déterminer s’il est justifié d’accorder une ordonnance définitive visant un plan d’arrangement, le tribunal doit être convaincu que a) la procédure légale a été respecté, b) l’arrangement est proposé de bonne foi, c) l’arrangement est juste et raisonnable. La détermination du caractère juste et raisonnable de l’arrangement se fonde sur l’examen de son objet et de sa nécessité ainsi que des objections soulevées par les intéressés. En l’espèce, le tribunal a conclu que l’arrangement n’était pas juste et raisonnable, et a énuméré plusieurs facteurs dont les tribunaux peuvent tenir compte dans la détermination du caractère juste et raisonnable d’un arrangement.
Résumé
Dans l’affaire HEAL Global Holdings Corp (Re), 2023 ABKB 451, HEAL Global Holdings Corp, Pathway Health Corp et The Newly Institute Inc ont demandé une ordonnance définitive autorisant un arrangement. Le tribunal a rejeté l’arrangement et déterminé qu’il n’était pas juste et raisonnable.
Résumé complet (en anglais seulement)
Points à retenir
- Bien que le potentiel d’insolvabilité soit un élément en faveur de l’autorisation d’un arrangement, il n’est pas déterminant, car le tribunal examine tous les tenants et aboutissants de l’arrangement pour déterminer s’il est juste et raisonnable.
- Les tribunaux vérifieront s’il existe un avis quant au caractère équitable et un comité spécial, si l’arrangement a fait l’objet d’un vote des actionnaires qui n’y sont pas assujettis, si l’arrangement traite différemment les actionnaires d’une même catégorie, si l’arrangement peut entraîner la perte du droit à la dissidence, et si les actionnaires disposaient de suffisamment d’information.
2. Commentaires sur l’objet et l’esprit des actions obliques
Une action oblique permet à un actionnaire d’intenter une action pour le compte d’une société, à condition qu’elle serve l’intérêt de la société. En l’espèce, le tribunal a confirmé que pour déterminer si une action oblique est bien dans l’intérêt de la société, il faut s’en remettre aux décisions des administrateurs (c.-à-d. appliquer la règle de l’appréciation commerciale), ce qui veut dire qu’un tribunal ne doit pas autoriser une action oblique se rapportant à une décision des administrateurs qui fait partie des possibilités raisonnables.
Résumé
Dans 1719349 Alberta Ltd v 1824766 Alberta Ltd, 2023 ABKB 207 (171 v 182), il y avait différend entre les actionnaires et les administrateurs de 1824766 Alberta Ltd (182) concernant un projet d’aménagement immobilier dont les coûts ont dépassé le budget. 182 a par conséquent liquidé les logements pour rembourser les prêts hypothécaires, les privilèges de construction et les sous-traitants. 171 a présenté une demande d’autorisation d’intenter une action oblique pour obtenir, entre autres choses, une déclaration selon laquelle 182 et 171 ont droit à une fiducie constructoire à l’égard des terrains du projet, à un compte rendu complet du produit net de la vente des logements et à un jugement contre les intimés pour l’achat des logements visés. Le tribunal a rejeté la demande d’autorisation, statuant que l’action oblique n’était pas dans l’intérêt de 182.
Résumé complet (en anglais seulement)
Points à retenir
- L’affaire 171 v 182 démontre qu’une action oblique est dans l’intérêt de la société si c’est cette dernière qui subit des dommages, non un actionnaire (ou prêteur) lésé.
- Les tribunaux doivent jouer de prudence avant d’autoriser une action oblique contre les administrateurs d’une société, surtout si leurs décisions restent dans le royaume des possibilités raisonnables.
- Cette décision réaffirme l’importance d’appliquer la règle de l’appréciation commerciale pour déterminer si une action oblique sert les intérêts de la société.
3. Annulation impossible : bien qu’une erreur ait été relevée, la Cour d’appel de l’Alberta ne peut annuler un plan d’arrangement
Les arrangements en Alberta sont soumis à un cadre législatif rigoureux. Malgré ces exigences, il peut être impossible d’annuler un arrangement qui a été autorisé. En l’espèce, la Cour d’appel de l’Alberta a rejeté une demande d’annulation d’un plan d’arrangement, même si le tribunal de première instance a fait une erreur en autorisant l’arrangement, car la partie n’a pas demandé la suspension de l’ordonnance d’autorisation. Ce dossier fait ressortir l’importance, pour toute partie qui entend contester un arrangement, de présenter une demande de suspension de l’ordonnance d’autorisation en attendant l’appel pour préserver un recours utile à l’appel.
Résumé
Dans Taiga Gold Corp v Munday, 2023 ABCA 12, la Cour d’appel a examiné une décision de la Cour du Banc du Roi autorisant un arrangement même si celui-ci ne prévoyait pas d’assemblée extraordinaire des porteurs de bons de souscription comme l’exige le paragraphe 193(4) de la Business Corporations Act (BCA) de l’Alberta. Selon la Cour, une assemblée extraordinaire des porteurs de bons de souscription n’aurait pas changé le résultat du vote étant donné l’écrasante majorité des actionnaires qui ont voté pour l’arrangement, le non-respect du paragraphe 193(4) de la BCA n’entravant pas l’autorisation.
Résumé complet (en anglais seulement)
Points à retenir
- Pour obtenir une ordonnance définitive autorisant un arrangement, il faut démontrer que les exigences procédurales de la BCA ont été suivies à la lettre.
- Les parties qui entendent appeler de l’autorisation définitive d’un arrangement doivent agir sur-le-champ pour faire suspendre l’instance en attendant l’appel, probablement par le juge qui autorise l’ordonnance définitive, étant donné que beaucoup d’arrangements sont autorisés le jour même de la présentation de la demande d’ordonnance définitive.
- Dans le cas contraire, les parties risquent de perdre leurs recours en raison de l’incapacité de la Cour d’appel d’annuler une opération terminée ou de son refus de modifier rétroactivement les dispositions de l’arrangement.
4. Liberté contractuelle : retrait des droits à la dissidence des actionnaires de gré à gré
La majorité des lois provinciales sur les sociétés prévoient des droits à la dissidence pour les actionnaires. Au titre de ces droits, les actionnaires peuvent s’opposer à certaines modifications de structure d’une société et obtenir le rachat de leurs actions à leur juste valeur marchande. Si un actionnaire exerce ses droits à la dissidence, la société et lui sont assujettis à la procédure légale applicable, et la valeur des actions peut être déterminée de gré à gré ou, si nécessaire, par une ordonnance du tribunal. En l’espèce, le tribunal a souligné que les actionnaires peuvent renoncer par contrat à leurs droits à la dissidence et que, le cas échéant, ce contrat est exécutoire.
Contexte
Dans l’affaire Husack v Husack et al, 2023 ONSC 949 (Husack), les actionnaires de Frank Husack Holdings Inc. (FHH), société de portefeuille familiale, ont signé une convention unanime des actionnaires. La convention donnait à la succession le droit de vendre l’ensemble de ses biens et stipulait qu’en cas de conflit entre les dispositions de la convention et celles de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario (LSAO), les parties renonçaient à leurs droits en vertu de la LSAO. Les biens de FHH ont été vendus, et la partie requérante a voulu faire appliquer ses droits à la dissidence en vertu du paragraphe 184(3) de la LSAO.
Résumé complet (en anglais seulement)
Points à retenir
- L’affaire a démontré que les actionnaires peuvent conclure une convention emportant renonciation valide à leurs droits à la dissidence, même si ces droits ne sont pas expressément mentionnés dans la convention.
- Les instances supérieures n’ont toujours pas examiné le dossier, mais les actionnaires assujettis à une convention unanime des actionnaires auraient tout intérêt à prendre connaissance de ces conclusions sur la renonciation aux protections législatives des actionnaires.
5. Pas de fumée sans feu : pas de perte présumée en cas de contravention à l’obligation d’exécution honnête
L’obligation contractuelle d’exécution honnête signifie que les parties à un contrat ne doivent pas se mentir ou s’induire délibérément en erreur. Si une partie contrevient à son obligation, la partie lésée peut réclamer des dommages-intérêts fondés sur ce à quoi elle aurait pu s’attendre si la partie contrevenante avait agi honnêtement. En l’espèce, le tribunal a déterminé que la contravention à l’obligation d’exécution honnête n’entraîne pas nécessairement une perte présumée pour la partie lésée. De fait, celle-ci doit prouver qu’elle a bel et bien subi une perte.
Résumé
Dans l’affaire Bhatnagar v Cresco Labs Inc., 2023 ONCA 401, les actionnaires requérants d’une société de vapotage ont vendu leurs actions aux termes d’une convention d’achat d’actions avec une date de clôture prévue à la fin de 2019. En plus du prix d’achat, la convention établissait des paiements de jalon supplémentaires si certains jalons de produits étaient atteints et stipulait qu’en cas de changement de contrôle, les actionnaires recevraient les paiements de jalon non acquis.
Résumé complet (en anglais seulement).
Points à retenir
- C’est à la partie requérante qu’il revient de prouver qu’elle a subi une perte étant donné que la contravention à l’obligation d’exécution honnête n’entraîne pas automatiquement l’octroi de dommages-intérêts.
- Il y a seulement perte présumée si l’exécution malhonnête de la partie contrevenante empêche la partie lésée de prouver irréfutablement ses pertes.
Pour en savoir plus sur les litiges visant les actionnaires, administrateurs et dirigeants et la gouvernance d’entreprise en Alberta, communiquez avec les principales personnes-ressources ci-dessous.