Les investisseurs individuels qui utilisent des plateformes d’investissement autonome ont peu de recours pour rejeter la responsabilité de leurs mauvaises décisions de placement sur leur courtier à escompte. En effet, la Cour a manifesté sa volonté d’appliquer strictement les modalités de convention de compte qui exonèrent la société de courtage de toute responsabilité dans ce genre de situations.
Aperçu
Dans l’affaire Baan v. Scotia Capital Inc. 2023 BCSC 565, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a estimé que la société de courtage n’était pas responsable de la décision d’un investisseur de vendre, sans les posséder, des actions d’une jeune société minière qui venait de réaliser un regroupement d’actions à raison de 10 pour 1. La Cour a également statué que la société de courtage avait le droit, en vertu de la convention de compte, de liquider les autres titres détenus dans le compte en question afin de compenser partiellement le déficit subi. Elle a aussi rendu un jugement en faveur de la société de courtage concernant la dette restante sur le compte de l’investisseur, plus les intérêts et les frais.
La Cour a conclu que la convention de compte excluait « expressément et sans ambiguïté » la possibilité pour l’investisseur de prétendre que la société de courtage avait été négligente en l’autorisant à vendre des actions qu’il ne possédait pas. Essentiellement, la Cour a jugé qu’en signant la convention de compte, l’investisseur acceptait les risques inhérents à la négociation de titres en ligne et le fait que les renseignements disponibles sur la plateforme de négociation n’étaient pas toujours à jour ou fiables; il reconnaissait aussi que la société de courtage ne pouvait être tenue responsable des problèmes techniques sur la plateforme.
Points à retenir
- La Cour a fait part de sa volonté d’appliquer strictement les modalités des conventions de comptes d’investissement autonome.
- La décision dans l’affaire Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4 continue de faire autorité pour ce qui est de l’applicabilité et de la force exécutoire des conventions de comptes d’investissement et de comptes bancaires – il n’existe pas d’interprétation distincte ou particulière pour les conventions bancaires.
- Les investisseurs autonomes sont responsables des conséquences de leurs propres décisions de placement, même lorsqu’une transaction repose sur des renseignements inexacts ou incomplets accessibles sur la plateforme de négociation.
- Les utilisateurs de plateformes de négociation autonome en ligne assument le risque que les renseignements mis à leur disposition ne soient pas toujours à jour ou fiables.
- Tout investisseur qui décide d’être « propriétaire véritable non opposé » des titres détenus sur son compte est réputé avoir pris connaissance des résolutions importantes adoptées par les entreprises concernées, y compris les regroupements et fractionnements d’actions.
Contexte
En 2017, le demandeur détenait sur la plateforme de négociation autonome du défendeur 752 270 actions d’une jeune société minière cotée à la Bourse de croissance TSX (TSXV), New Carolin Gold Corporation (New Carolin). Le demandeur a choisi d’être un « propriétaire véritable non opposé » des actions, ce qui signifie que la correspondance de New Carolin à ses actionnaires était envoyée directement au demandeur.
En décembre 2017, les actionnaires de New Carolin ont adopté une résolution visant à consolider son capital-actions selon un ratio de 10 actions pour 1, avec prise d’effet à une date ultérieure. Par la suite, New Carolin a publié un communiqué de presse à cet effet. Dans la foulée de la résolution, le demandeur a passé un ordre de vente visant la totalité de ses actions de New Carolin sur la TSXV portant le symbole boursier « LAD ».
Le 15 janvier 2018, New Carolin a publié un communiqué de presse annonçant que le regroupement d’actions de New Carolin prendrait effet à l’ouverture du marché le 16 janvier 2018. Avant l’ouverture le 16 janvier, la TSXV a annulé l’ordre de vente du demandeur et le défendeur a restreint la négociation des titres LAD sur sa plateforme.
Le 16 janvier, alors que son compte indiquait toujours qu’il détenait 752 270 actions de New Carolin, le demandeur a tenté à plusieurs reprises d’en vendre la totalité sous le symbole LAD sur la plateforme de négociation du défendeur. Chacune de ces tentatives s’est soldée par un message d’erreur indiquant qu’il ne détenait pas suffisamment d’actions pour effectuer la transaction.
Le défendeur a alors changé la devise de son ordre de vente pour le dollar américain; le symbole boursier est donc passé à « LADFF » sur le marché de gré à gré (il ne s’agissait donc plus de titres LAD sur la TSXV). Étant donné qu’il n’y avait aucune restriction de négociation pour LADFF sur le marché de gré à gré, le demandeur est parvenu à passer un ordre de vente de 752 270 actions de New Carolin et a par la même occasion vendu 677 073 actions de New Carolin qu’il ne possédait pas.
À la suite de cette vente, le défendeur a acheté des actions de New Carolin aux cours alors en vigueur sur le marché afin d’exécuter l’ordre, ce qui a entraîné un solde négatif sur le compte du demandeur. Le défendeur a ensuite liquidé les autres titres détenus dans le compte du demandeur pour couvrir une partie des pertes, mais cela n’a pas suffi : il restait toujours un déficit de 151 601,56 $.
Le demandeur a poursuivi la société de courtage pour détournement, à savoir la liquidation du reste de ses titres, et pour négligence, lui ayant permis de vendre des actions qu’il ne possédait pas. Le défendeur a introduit une demande reconventionnelle pour compenser entièrement le déficit du compte de négociation, majoré des intérêts et des frais.
Décision de la Cour
Dans son avis de poursuite civile, le demandeur a argué qu’il n’était pas au courant du regroupement d’actions lorsqu’il a passé l’ordre de vendre des titres LADFF sur le marché de gré à gré. Toutefois, il n’a indiqué dans aucune de ses trois déclarations sous serment s’il en avait eu connaissance. Le tribunal a estimé que, sur la base des preuves circonstancielles présentées, notamment la date des ordres de vente et le jour de la publication de la circulaire d’information et du communiqué de presse par New Carolin, le demandeur était au courant du regroupement d’actions ou aurait dû l’être lorsqu’il a passé son ordre de vente sur le marché de gré à gré.
Par ailleurs, le tribunal a jugé que les modalités de la convention de compte autorisaient le défendeur à liquider le reste des titres détenus dans le compte de négociation du demandeur pour couvrir une partie du déficit, ce qui rendait irrecevable la plainte pour détournement du demandeur.
La convention de compte comportait une clause d’acceptation des risques et d’exonération de la responsabilité pour toute perte causée par des erreurs techniques ou des renseignements inexacts sur la plateforme de négociation. La Cour s’est appuyée sur la décision rendue dans l’affaire Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie) 2010 CSC 4 et a jugé que la clause exonératoire excluait expressément et sans ambiguïté l’action en négligence du demandeur et que ce dernier avait accepté le risque d’erreurs techniques sur la plateforme de négociation.
La Cour a donc rejeté la demande du demandeur et rendu un jugement concernant la demande reconventionnelle du défendeur, condamnant le demandeur à payer au défendeur le déficit sur le compte de négociation, les intérêts au taux préférentiel majoré de 1,55 % et les honoraires juridiques du défendeur conformément aux modalités de la convention de compte.
Conclusion
Cette décision constitue une mise en garde pour les investisseurs autonomes. Un investisseur qui subit une perte et un préjudice à la suite d’une mauvaise décision de sa part aura peu de recours pour rejeter la responsabilité sur la société de courtage.
C’est une bonne nouvelle pour les courtiers en valeurs mobilières qui administrent des plateformes de courtage à escompte. La Cour a confirmé que plusieurs dispositions courantes dans les conventions de compte de placement étaient exécutoires et permettaient de rejeter les plaintes pour négligence ou détournement présentées par des utilisateurs de plateformes de négociation.
Cette affaire illustre également l’importance des clauses applicables à l’utilisation des plateformes de négociation autonome qui non seulement exonèrent la société de courtage de toute responsabilité, mais lui permettent aussi de faire valoir ses droits lorsque les actions d’un utilisateur lui causent des pertes.
BLG a une très vaste expérience dans le domaine financier, conseillant et défendant régulièrement des sociétés canadiennes de courtage et de gestion de fonds, notamment dans le cadre de poursuites réglementaires et civiles intentées par des investisseurs. Si vous avez des questions sur les sujets abordés dans cet article ou sur d’autres litiges relatifs aux courtiers en valeurs mobilières ou à la négociation de titres, n’hésitez pas à contacter l’une des personnes-ressources ci-dessous.