Le 19 octobre 2022, Emploi et Développement social Canada (« EDSC ») annonçait l’engagement du gouvernement « à déposer, d’ici la fin de l’année 2023, un projet de loi pour interdire le recours à des travailleurs de remplacement » pendant une grève ou un lock-out. Nous avions publié un article sur le sujet peu après cette annonce.
Quelques jours plus tard, le 27 octobre 2022, le député du Nouveau Parti Démocratique (« NPD ») avait par ailleurs déposé en chambre le projet de loi C-302 - Loi modifiant le Code canadien du travail (travailleurs de remplacement), qui demeura mort au feuilleton.
C’est finalement le 9 novembre 2023 que l’honorable Seamus O’Regan, nouvellement nommé ministre du Travail et des Aînés (le « ministre »), dépose le projet de loi C-58 - Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles. Le projet de loi est passé en deuxième lecture à la Chambre des communes le 22 novembre 2023.
Ce projet de loi a suscité des réactions opposées dans le marché du travail. Comme on pouvait s’y attendre, les syndicats du Canada accueillent très positivement le projet de loi, alors que le Conseil du patronat du Québec y voit « des propositions démesurées qui vont nuire aux entreprises et aux citoyens canadiens ».
Description du projet de loi C-58
Le projet de loi C-58 comporte des mesures robustes pour empêcher le recours aux travailleurs de remplacement par les employeurs de compétence fédérale.
Ainsi, il supprime la nécessité qui existe actuellement dans le Code canadien du travail de démontrer l’intention de miner la capacité de représentation d’un syndicat avant de pouvoir interdire le service des travailleurs de remplacement, pendant une grève ou un lock-out légal.
Plus précisément, lors de grèves ou lock-out légaux, le projet de loi prévoit l’interdiction pour tout employeur (ou quiconque agit pour le compte d’un employeur) d’utiliser, pour la totalité ou une partie des tâches d’un employé d’une unité de négociation, les services des personnes suivantes :
a) tout employé qui a été engagé après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné ou toute personne qui occupe un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail et qui a été engagée après cette date;
b) tout entrepreneur autre qu’un entrepreneur dépendant ou tout employé d’un autre employeur1.
Le projet de loi C-58 interdit également l’utilisation des services des employés de l’unité de négociation en grève ou en lock-out pendant un arrêt de travail légal, que ce soit pour la totalité ou une partie des tâches d’un employé de l’unité de négociation.
Enfin, le projet de loi fédéral se distingue de la loi québécoise en ne limitant pas ses restrictions à la notion d’un « établissement ». Il nous apparaît ainsi que les nouvelles interdictions s’appliquent également aux recours à des travailleurs en télétravail. Au Québec, la question est actuellement devant la Cour d’appel du Québec, suivant la décision de la Cour supérieure en février 2023 qui avait maintenu que la notion d’établissement du Code du travail ne peut être élargie au point d’y inclure les services d’une personne salariée en télétravail.
Les exceptions
Le projet de loi C-58 prévoit tout de même certaines exceptions.
Effectivement, un entrepreneur dont l’employeur a retenu les services avant la transmission de l’avis de négociation pourra continuer d’exécuter le travail pour lequel il a été retenu pendant la grève ou le lock-out, afin d’exécuter les mêmes tâches que celles d’un employé de l’unité de négociation ou des tâches similaires, à condition que ce soit « de la même manière, dans la même mesure et dans les mêmes circonstances2 » que celles qui prévalaient avant la grève ou le lock-out.
Également, le projet de loi prévoit que l’utilisation des services d’une personne précédemment mentionnée (et des employés de l’unité de négociation) est possible si ces services sont nécessaires pour parer à une situation qui présente ou pourrait vraisemblablement présenter :
(i) une menace pour la vie, la santé ou la sécurité de toute personne;
(ii) une menace de destruction ou de détérioration grave des biens ou des locaux de l’employeur;
(iii) une menace de graves dommages environnementaux touchant ces biens ou ces locaux3.
Le projet de loi précise cependant qu’un employeur, ou quiconque agit pour son compte, ne peut se prévaloir de ces exceptions qu’à des fins de conservation « et non pour poursuivre la prestation de services, le fonctionnement des installations ou la production d’articles4 ».
Les sanctions prévues
Le projet de loi C-58 prévoit que le recours à des travailleurs de remplacement constituera une infraction pénale de nature sommaire, avec des amendes importantes s’élevant à un maximum de 100 000 $ « pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se poursuit l’infractio5 ».
De plus, le gouvernement pourra prévoir par règlement un régime de sanctions administratives pécuniaires, pour favoriser le respect des dispositions précédemment mentionnées.
L’entrée en vigueur
Le projet de loi prévoit que l’interdiction relative à l’utilisation des travailleurs de remplacement entrera en vigueur dans un délai de 18 mois suivant sa sanction royale.
Autres modifications associées
Il faut également noter que le projet de loi C-58 comprend des modifications visant à encourager la prise de décisions en temps opportun par le Conseil canadien des relations industrielles (« Conseil ») relativement à des plaintes alléguant une violation des dispositions anti-briseurs de grève. Les délais qui seront imposés au Conseil à cet égard seront prévus par règlement; à défaut de réglementation, le Conseil devra rendre ses décisions aussitôt que possible.
Le projet de loi modifie par ailleurs certaines dispositions relatives au processus de maintien des activités en cas de grève ou lock-out afin d’inciter l’employeur et le syndicat à conclure rapidement une entente à cet égard. Ces mêmes dispositions viennent aussi limiter le pouvoir du ministre du Travail quant aux renvois qu’il pourrait effectuer au Conseil pour faire déterminer les services à maintenir en cas de grève ou lock-out. Ainsi, avec ce projet de loi, le ministre du Travail ne pourra effectuer un renvoi au Conseil que pour faire trancher une question portant sur la capacité d’une entente conclue par les parties de satisfaire aux exigences de la législation en matière de maintien des activités. À cet égard, on se rappellera que les seuls services qui peuvent être maintenus, lors de grèves ou lock-out légaux, sont ceux nécessaires pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public.
Enfin, à titre de mesure additionnelle visant à accélérer le processus décisionnel relatif au maintien des activités en cas de grève ou de lock-out, le projet de loi prévoit que le Conseil pourra nommer un arbitre externe pour trancher toute affaire portant sur leur maintien, ce qui n’est pas le cas sous la législation actuelle.
Ce qu’il faut retenir du projet de loi C-58
Avec le dépôt de ce projet de loi, le gouvernement fédéral marche dans les traces du Québec et de la Colombie-Britannique, les deux seules provinces du Canada avec des dispositions anti-briseurs de grève.
Il ne faut toutefois pas perdre de vue qu’à cette étape-ci, il ne s’agit que d’un projet de loi présenté en première lecture, qui fera l’objet de débats ultérieurs à la Chambre des communes et au Sénat. Également, avec le délai de 18 mois à anticiper avant son entrée en vigueur6, nous sommes encore loin d’une loi applicable en bonne et due forme.
En revanche, le projet de loi dans sa mouture actuelle démontre clairement l’intention du gouvernement de limiter le recours de l’employeur aux travailleurs de remplacement en cas de grève ou de lock-out. Considérant l’alliance avec le NPD, qui fait en sorte que le projet de loi est appuyé par un groupe majoritaire en chambre, les employeurs devront s’attendre à ce que la loi qui sera éventuellement adoptée demeure assez similaire au projet actuel. Une telle loi entraînera certainement un changement majeur dans la dynamique des relations de travail dans le secteur privé fédéral au Canada.
Communiquez avec nous
Pour obtenir de l’aide en matière de négociation collective ou pour toute autre question, n’hésitez pas à communiquer avec le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG, qui continuera de surveiller la progression de ce projet de loi et l’évolution des dynamiques en matière de relations de travail.