Premier d’une série de deux articles
Faillite des locataires commerciaux et COVID-19
Nombreux sont les locataires commerciaux qui subissent les contrecoups des fermetures ordonnées par le gouvernement et de la tourmente économique découlant de la pandémie de COVID-19. Face à un manque ou à une absence de revenus, ils ont du mal à payer leur loyer et certains songent à déclarer faillite. Les locateurs devraient examiner les garanties que leur ont consenties leurs locataires et déterminer s’ils pourraient les revendiquer et faire valoir leurs droits aux termes des baux dans l’éventualité où ces locataires déclaraient faillite.
Cet article traite des locataires solvables, insolvables et faillis au Canada. Un locataire insolvable (c’est-à-dire qui éprouve des difficultés financières et est incapable de payer ses dettes à temps) pourrait choisir de déclarer faillite (le processus juridique par lequel un débiteur insolvable se défait d’actifs en échange d’un allègement de sa dette régi par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité [LFI]). D’autres options s’offrent à lui, comme le dépôt d’une proposition de consommateur et la consolidation de sa dette.
Les grandes entreprises optent souvent pour le mécanisme de protection contre les créanciers prévu dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Dans cet article, nous analysons la capacité d’un locateur de réclamer des dépôts de garantie et des loyers prépayés et d’exercer son droit de saisie-gagerie dans le contexte où son locataire fait faillite.
Dépôts de garantie
La plupart des baux exigent que le locataire fasse un dépôt à titre de loyer prépayé ou de garantie de l’exécution de ses obligations. La distinction est importante pour savoir si le locateur peut conserver le dépôt d’un locataire en situation de faillite. La finalité du dépôt est déterminée par les faits et elle dépend du libellé du bail et de l’intention des parties1.
Si le dépôt est considéré comme une garantie de l’exécution des obligations du locataire aux termes du bail et qu’il demeure la propriété du locataire (et, à plus forte raison, lorsque le bail indique qu’il sera restitué au locataire), il fera vraisemblablement partie de l’actif du failli devant être remis à son syndic. Dans un tel cas, le locateur ne peut pas le conserver.
Quelles sont mes options?
Utiliser le dépôt dès maintenant
Si le bail le lui permet, le locateur aurait avantage à utiliser le dépôt pour acquitter un loyer impayé ou remédier à un manquement du locataire toujours solvable, surtout si la situation financière de ce dernier est précaire.
Enregistrement
Certains locateurs préféreront enregistrer leur garantie en vertu de la législation sur les sûretés mobilières de leur province malgré le coût et le fardeau administratif que cela implique. Ils doivent toutefois se rappeler que l’enregistrement ne garantit pas le recouvrement total ou partiel d’un dépôt de garantie.
Loyers prépayés
Les locateurs sont généralement autorisés à retenir une somme à titre de loyer prépayé au cas où le locateur ferait faillite, pour autant qu’elle soit bien qualifiée ainsi. Les tribunaux ont établi que le loyer prépayé versé au locateur n’est pas remboursable, qu’il vise à couvrir le loyer pour des périodes précises du bail et que, en ce sens, le syndic de faillite du locataire ne peut le récupérer2. Tout dépend, comme nous l’avons mentionné plus haut, d’une analyse multifacette de la nature du dépôt, laquelle comprend une lecture attentive du bail.
Droits de saisie-gagerie
En temps normal, le droit de saisie-gagerie permet au locateur de saisir les biens d’un locataire en défaut qui se trouvent sur les lieux loués et de les vendre pour payer les arriérés de loyer. Ce droit en common law est une clause type des baux commerciaux au Canada. Cependant, lorsqu’un locataire déclare faillite, ce droit est suspendu de plein droit; le locateur ne peut donc plus l’exercer.
Comme dans le cas des dépôts de garantie, le locateur qui veut procéder à une saisie-gagerie devrait agir rapidement lorsqu’un locataire est en défaut de paiement, surtout si sa santé financière est mal en point. La saisie-gagerie réalisée peu avant que locataire déclare faillite pourrait être considérée comme une « préférence frauduleuse » par les tribunaux, et son produit appartiendrait alors au syndic de faillite3.
Ce que vous devriez faire
- Examinez vos baux dès maintenant. Savoir qui aura droit à un dépôt peut être un facteur déterminant pour le locateur qui se demande s’il devrait se prévaloir des droits qui lui sont accordés dans un bail et à quel moment le faire. Rappelez-vous que les tribunaux détermineront la finalité d’un dépôt (garantie ou loyer prépayé) en fonction des circonstances factuelles, du libellé du bail et de l’intention des parties.
- Agissez sans tarder. Le locateur a tout intérêt à agir rapidement lorsqu’un locataire éprouve des difficultés financières. Le locateur qui utilise un dépôt de garantie pour couvrir des loyers impayés ou qui exerce son droit de saisie-gagerie tout juste avant la déclaration de faillite d’un locataire risque de voir sa mesure contestée ou annulée par les tribunaux. Si votre bail le permet, pensez à utiliser les dépôts pour couvrir les paiements en retard dès maintenant plutôt que d’attendre que la situation financière de votre locataire se détériore au point qu’il soit au bord de la faillite.
- Faites appel à un avocat. Si vos locataires sont en défaut, si vous êtes en train de négocier des ententes de réduction ou de reports de loyer, si vous vous questionnez sur les programmes d’aide du gouvernement (comme l’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial) ou si un de vos locataires déclare faillite, nous vous encourageons à solliciter les conseils d’un avocat le plus tôt possible.
Points à retenir
Comme la pandémie continue de nuire à l’économie et que la pression financière sur les entreprises s’accentue, nous conseillons aux locateurs d’être proactifs plutôt que de compter sur leurs garanties et sur les droits qui leur sont accordés dans leurs baux en cas de défaut. Si les dépôts de garantie, les loyers prépayés et les droits de saisie-gagerie procuraient une certaine tranquillité d’esprit aux locateurs avant la COVID-19, ils doivent être réexaminés à la lumière du contexte actuel et du risque accru de faillite des locataires.
Compte tenu des conséquences fâcheuses de la crise, les locateurs auraient peut-être avantage à obtenir des garanties auprès de tiers plutôt que de compter sur les dépôts de leurs locataires. Parmi les solutions possibles, mentionnons les lettres de crédit, dont les avantages et inconvénients feront l’objet du deuxième article de cette série.
Le Centre national d’aide en matière de location et l’équipe Insolvabilité et restructuration de BLG sont là pour accompagner les locateurs et les locataires en ces temps difficiles. Si vous avez des questions, communiquez avec les personnes-ressources ci-dessous ou écrivez à l’adresse [email protected], que nous utilisons pour aider les entreprises à s’y retrouver parmi plus d’une centaine de mesures de financement fédérales et provinciales. Nous répondrons gratuitement à vos questions et nous vous offrirons des renseignements et des ressources pour vous aider à résoudre les problèmes plus complexes.
1 La question est abordée dans la décision Alignvest Private Debt Ltd v. Surefire Industries Ltd, 2015 ABQB 148, qui a été confirmée par la Cour d’appel de l’Alberta.
2 Champion Machine & Tool Co, Re, 1971 CarswellOnt 59 (Cour suprême de l’Ontario).
3 Ce fut le cas dans Canadian Imperial Bank of Commerce v. Canotek Development Corp, 1997 CarswellOnt 3216 (Cour d’appel de l’Ontario).