Les sociétés canadiennes se tournent de plus en plus vers les accords d’achat d’énergie renouvelable virtuels pour s’approvisionner en électricité puisqu’ils leur offrent un mécanisme de protection contre les fluctuations des prix sur le marché, en plus de leur permettre de soutenir leurs objectifs de durabilité et d’assurer la prévisibilité de leurs coûts énergétiques. Il faut toutefois garder en tête que l’efficacité de ces accords dépend souvent des marchés de l’électricité artificiels.
Cet article examine de récents changements aux règles du marché un peu partout au Canada et analyse leur incidence sur les accords d’achat d’énergie virtuels.
Qu’est-ce qu’un accord d’achat d’énergie virtuel?
Il s’agit d’un contrat entre un promoteur et un acheteur, typiquement un service public, visant la fourniture et la réception d’énergie issue d’actifs; cela diffère des accords standards en la matière de deux façons :
- Les accords d’achat d’énergie virtuels sont essentiellement des ententes financières (généralement des contrats sur différence) : Contrairement aux accords conventionnels, ils protègent contre l’instabilité des prix sur le marché. Les consommateurs peuvent s’en servir pour éviter des hausses soudaines – comme celle de février 2021 sur le réseau électrique de l’ERCOT aux États-Unis, lors de laquelle le prix moyen est passé de 50 $/MWh à 9 000 $/MWh – et les producteurs d’électricité, pour se prémunir contre les baisses subites, notamment les prix négatifs découlant des surplus de charge de base.
- Les accords d’achat d’énergie virtuels ne requièrent pas l’interconnexion physique de réseaux de transport de l’électricité : L’accessibilité est un autre élément distinctif de ces accords. Puisque la transmission d’électricité du producteur à l’acheteur n’a pas à se faire au moyen d’une infrastructure matérielle, des entreprises de toutes les tailles et de tous les niveaux de maturité peuvent participer au marché.
Dans un contexte où les services publics, les opérateurs de systèmes, les clients et les entités de service de charge sont de plus en plus nombreux à diversifier leurs sources d’énergie traditionnelles et renouvelables, on voit la distinction entre les accords d’achat d’énergie conventionnels et virtuels s’atténuer. Des clauses portant sur des aspects physiques et sur l’interconnexion de réseaux de transport de l’électricité se retrouvent parfois dans des accords virtuels, et des considérations d’ordre financier se glissent dans des accords conventionnels. On observe donc une tendance vers les accords d’achat d’énergie « hybrides », dont il existe plusieurs variantes qui sont la plupart du temps basées sur des cadres réglementaires précis et sur les objectifs commerciaux et stratégiques des parties contractantes.
Qu’est-ce qu’un accord d’achat d’énergie renouvelable virtuel?
C’est un accord se rapportant à la production d’une centrale d’énergie renouvelable en particulier; habituellement axé sur les volets financiers, il établit par exemple le prix de l’électricité produite. Dans un territoire au marché énergétique concurrentiel, cet accord peut comprendre un mécanisme de contrat sur différence pouvant recourir au prix flottant déterminé par le gestionnaire de réseau du marché.
Ce type d’accord peut aussi, dans certains cas, tenir compte d’attributs environnementaux et des dérivés enregistrés ou ayant obtenu un « certificat vert » associés à la centrale de production d’électricité renouvelable. Les certificats verts étant des actifs distincts, ils peuvent être vendus séparément.
I. Changements régionaux en matière d’énergie renouvelable
Ontario
Augmentation des projets d’énergie propre
En réponse à la demande grandissante des citoyens et citoyennes, le gouvernement ontarien a lancé le plus important approvisionnement concurrentiel en énergie de son histoire et annoncé son plan d’acheter jusqu’à 5 000 MW d’énergie renouvelable par l’entremise d’une série de projets mis en œuvre selon un échéancier accéléré arrivant à terme en février 2026. Chaque projet sollicitera un appui municipal et une évaluation des répercussions sur l’agriculture. La Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité devrait soumettre au gouvernement provincial un cadre de conception de l’approvisionnement d’ici la fin septembre 2024.
Modifications au Règlement de l’Ontario 429/04
En mai 2024, le gouvernement de l’Ontario a clos une consultation sur le projet de modification du Règlement de l’Ontario 429/04, qui établit des frais d’ajustement globaux que les acheteurs doivent payer aux termes d’un accord d’achat d’énergie virtuel. Cet ajustement global, contrairement au prix du marché de gros, ne peut actuellement pas être couvert, mais les changements proposent que ce soit envisageable dans des circonstances limitées afin de permettre à certains joueurs dans le marché de compenser la demande de leur centrale dans les cinq heures de pointe d’une période de base aux fins de règlement en concluant un accord d’achat d’énergie virtuel avec d’autres centrales non émettrices qui ne sont pas connectées à leur compteur. Les modifications proposées visent les énergies éoliennes, solaires et hydroélectriques ainsi que les biocarburants.
Alberta
Réforme du marché de l’électricité
En mars 2024, le gouvernement de l’Alberta a proposé une vaste réforme de son secteur énergétique pour contrer certaines lacunes en matière d’approvisionnement. Ce projet propose l’établissement d’un marché du lendemain similaire à celui qui est en cours de mise en œuvre en Ontario. Il prévoit aussi l’instauration d’un encadrement tarifaire pour gérer les événements extrêmes, les prix de pénurie, les plafonnements élevés et prix planchers négatifs, les produits et services auxiliaires, les réserves de pointe, les réserves stratégiques, les exigences techniques accrues, l’optimisation de la distribution de l’énergie et des services auxiliaires, les intervalles de règlement raccourcis et la distribution d’énergie économique sous contraintes de sécurité.
L’Alberta a en outre annoncé un échéancier assez ambitieux, visant l’entrée en vigueur des nouvelles règles du marché et des nouveaux processus dès 2026. La réforme proposée est complexe; de plus, sa conception et sa mise en œuvre créeront probablement des obstacles pour les intervenants sur le marché énergétique.
Conséquences de la pause sur les projets d’énergie renouvelable et réforme législative
En mars 2024, le moratoire sur les projets d’énergie renouvelable du gouvernement de l’Alberta a été levé, contrastant fortement avec le Generation Approvals Pause Regulation provincial édicté en août 2023 qui avait mis en pause l’approbation des projets de production d’énergie renouvelable par l’Alberta Utilities Commission (AUC) jusqu’au début 2024. En parallèle, le gouvernement a ordonné à l’AUC de mener une enquête générale sur la production d’électricité en Alberta, notamment en ce qui concerne les aspects économiques, les méthodes employées et l’efficacité. Le moratoire et le lancement de l’enquête ont semé le doute quant à l’avenir des projets d’énergie renouvelable dans la province, y compris ceux qui étaient déjà en cours de développement.
L’AUC a séparé l’enquête en un module A axé sur l’incidence sur les terres et un module B axé sur l’incidence sur le portefeuille énergétique et la fiabilité du réseau. Un premier rapport issu du module A a été soumis au gouvernement en janvier 2024. Il contenait d’importantes recommandations de lois et de principes, entre autres au sujet de l’octroi automatique de droits de participation au gouvernement, de la restriction de l’utilisation des terres agricoles et environnementales, de l’élaboration d’une politique sur l’utilisation des terres de la Couronne et de la révision des règles visant à protéger les paysages naturels.
En réponse à ce document, le gouvernement de l’Alberta a publié, en février 2024, un résumé des changements politiques qui en découleraient et indiqué que d’autres mesures législatives et politiques suivraient. L’AUC devra entre autres adopter une approche accordant la priorité à l’agriculture lors de l’évaluation de l’utilisation des terres agricoles et à valeur écologique. Il lui sera par ailleurs interdit d’approuver des projets d’énergie renouvelable sur certaines terres agricoles; les projets sur les terres de la Couronne seront évalués au cas par cas et les zones protégées et paysages naturels seront entourés d’une zone tampon de 35 km. L’AUC a rapidement diffusé publiquement son rapport sur le module et commencé à accepter de nouveau des demandes concernant des projets d’énergie renouvelable.
Consultation sur les politiques de transport d’énergie
En octobre 2023, le gouvernement albertain a publié un document de réflexion analysant ses politiques de transport d’énergie, notamment son régime de tarification de la contribution du propriétaire du groupe turbine-alternateur, qui fixe des taux minimaux et maximaux faisant en sorte que la majorité des coûts de transport de nouvelle électricité est payée par les centres de distribution et non par les producteurs. Le gouvernement de l’Alberta a suggéré l’abolition des taux minimaux et maximaux afin que les producteurs soient ceux qui assument ces coûts de transport afin d’alléger la facture pour les consommateurs. Une consultation sur le document de réflexion est en cours.
Nouvelle-Écosse
Programme Green Choice
En décembre 2023, la Nouvelle-Écosse a annoncé le lancement du programme Green Choice, qui permet aux grands consommateurs d’électricité participants d’accéder à de l’énergie 100 % renouvelable provenant de sources locales.
Dans le cadre de cette initiative, le gouvernement provincial a lancé un processus d’approvisionnement visant à mettre sur pied entre cinq et sept nouveaux projets qui produiront de l’énergie renouvelable dès 2027. Les promoteurs sélectionnés devraient être annoncés en février 2025.Les participants intéressés sont déjà invités à soumettre leur candidature. En juin 2024, le Nova Scotia Utility and Review Board a ouvert une consultation sur le modèle d’accord d’achat d’énergie qui serait utilisé; la version finale sera publiée lorsque l’organisation aura terminé de recueillir des commentaires. Il est attendu des participants au programme qu’ils signent l’accord en janvier 2025.
II. Discussion
Incidence sur les projets
La grande variabilité du paysage canadien de l’énergie renouvelable continue d’avoir des répercussions inégales sur le développement de nouveaux projets.
Du côté de l’Alberta, une incertitude persiste malgré la levée du moratoire; les changements législatifs à l’horizon et le manque de clarté quant à leur teneur refroidissent les promoteurs, tout comme les positions de principe du gouvernement de l’Alberta imposant diverses restrictions aux projets d’énergie renouvelable et à leur emplacement.
Les acteurs du marché s’attendent à ce que la route vers la réforme soit cahoteuse. Certains projets, comme le parc solaire Saamis approuvé par l’AUC en juillet 2024, iront de l’avant en dépit des conditions du gouvernement.
En Ontario, le gouvernement provincial a présenté son projet d’approvisionnement et de changements législatifs comme des contributions significatives vers la transition vers l’énergie propre. La voie vers la carboneutralité demeure toutefois nébuleuse. Dans leur mouture actuelle, les modifications législatives proposées portent seulement sur la consommation énergétique pendant les heures de pointe; elles soutiennent donc disproportionnellement l’énergie solaire comparativement à l’énergie éolienne.
En Nouvelle-Écosse, on s’attend à ce que le programme Green Choice soit hautement bénéfique.
Gestion du changement à l’aide des accords d’achat d’énergie virtuels
Les accords d’achat d’énergie virtuels peuvent apporter une sorte de certitude aux parties contractantes dans un contexte en constante évolution, particulièrement lorsqu’elles n’ont pas beaucoup d’expérience dans le domaine. Il est important de porter une attention particulière aux clauses des types suivants :
- Clause sur les règles du marché – Consiste en une série de règles énonçant ce qui adviendra de l’accord d’achat d’énergie virtuel en cas de changement des règles du marché pendant la durée du contrat. Par exemple : qui du vendeur ou de l’acheteur assumera les risques? Une clause de ce type peut être rédigée de diverses manières, de façon à protéger le producteur, l’acheteur, ou les deux, et peut être axée sur un élément déclencheur en particulier, comme un seuil financier ou le changement d’une règle précise.
- Clause sur le risque de réduction de la livraison d’énergie – Traite des risques que l’opérateur de marché impose une réduction de la livraison d’électricité – c’est-à-dire qu’il exige la mise en pause de la production – pendant une période donnée en raison d’un surplus sur le marché. Si un marché ne prévoit pas de droits relatifs à la réduction de la production, ses règles doivent être modifiées pour en inclure.
- Clause sur les changements législatifs – Porte sur le risque qu’une loi pertinente soit modifiée pendant la durée de l’accord. Une telle clause énonce les circonstances dans lesquelles les parties peuvent revoir leur accord pour tenir compte d’un changement législatif de même que le processus qui doit être suivi le cas échéant.
Conclusion
Les accords d’achat d’énergie renouvelable virtuels placent les organisations de toutes les tailles sur un pied d’égalité pour ce qui est de l’atteinte de leurs objectifs en matière d’émissions de carbone. Au cours des quinze dernières années, le marché a connu une expansion très rapide, doublée de changements et de perturbations continuels. Comment les acheteurs et les vendeurs peuvent-ils en venir à se partager les risques et les avantages des projets énergétiques?
Les acteurs sur le marché qui concluent des accords d’achat d’énergie renouvelable virtuels efficaces ont ces éléments en commun :
- Ils tiennent compte du contexte. Existe-t-il un projet de réforme de la réglementation ou du marché à l’endroit où l’entente aura cours? Envisagez d’adapter la clause de réouverture pour rédiger des règles, si possible.
- Ils définissent les différents scénarios possibles. Dans quelles circonstances les modalités du contrat pourraient-elles être revues? Quels changements aux règles du marché pourraient vous rendre l’accord défavorable? Rédigez votre document en pensant aux pires éventualités.
- Ils font appel à des spécialistes. Les juristes chevronnés peuvent guider les négociations de façon à atténuer le déséquilibre des pouvoirs dans le cadre de telles ententes.
L’équipe de BLG spécialisée dans l’énergie, les ressources et les énergies renouvelables possède une grande expérience pour ce qui est d’épauler des acheteurs et des promoteurs partout au Canada, et conseille régulièrement des clients sur les enjeux et les tendances à considérer lors de négociations de ce genre d’accord. Pour de plus amples renseignements, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes ci-dessous.