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Perspectives

Possibles grèves portuaires et interruptions ferroviaires : l’incertitude pane sur la chaîne d’approvisionnement

Contexte

Depuis plusieurs semaines, les entreprises et les intervenants à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement se préparent aux grèves et aux lockouts qui pourraient paralyser les deux principaux chemins de fer du pays – le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) – dès le 22 août 2024, à moins qu’une entente soit conclue. Ces perturbations auraient des conséquences majeures pour tout le réseau ferroviaire canadien, et donc pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Cette situation fait écho à la tendance que l’on observe mondialement. Par exemple, aux États-Unis, une grève pourrait être déclenchée dans les ports de la côte Est et de la côte du golfe du Mexique à défaut de conclure une entente avec les quelque 45 000 débardeurs et débardeuses avant l’expiration de leur convention collective, le 30 septembre 2024. Cette grève pourrait amplifier les contrecoups d’un arrêt des services ferroviaires au Canada.

L’éventualité d’un tel arrêt de travail soulève des questions sur l’application des clauses de force majeure pour divers intervenants de l’industrie maritime.

Qu’est-ce une clause de force majeure?

Il s’agit d’une disposition contractuelle par laquelle une partie se libère de ses obligations lorsqu’une situation hors du contrôle des parties au contrat rend impossible l’exécution de ce dernier.

Les tribunaux canadiens ont invariablement soutenu que le terme « force majeure » n’a pas de sens particulier et que l’effet d’une telle clause dépend de l’interprétation correcte qui en est faite conformément aux principes généraux en la matière1. Dans l’interprétation d’une clause de force majeure, les tribunaux tenteront de donner effet à l’intention des parties et ne « réécriront » pas le contrat.

Dans le cas de perturbations du travail, les chances qu’une grève ou qu’un lockout mène à l’application d’une clause de force majeure dépend du libellé de ladite clause, laquelle stipule généralement qu’une partie ou les deux parties n’ont pas à exécuter leurs obligations pendant la durée d’une grève, d’un lockout, d’un arrêt ou d’un conflit de travail ou d’une autre mesure prise collectivement par des travailleurs et travailleuses.

Par exemple, la plus récente clause type publiée par le Conseil maritime baltique et international (BIMCO) qualifie les perturbations du travail générales (boycottages, grèves, lockouts, etc.) de cas de force majeure. Les parties qui l’utilisent peuvent donc se soustraire à leurs obligations contractuelles si elles prouvent que la grève ou le lockout rend leur exécution impossible.

Normalement, il incombe à la partie qui souhaite être libérée du contrat de démontrer que la grève ou le lockout l’empêche de s’acquitter de ses obligations. Les tribunaux ont défini ce principe comme l’obligation pour la partie qui demande l’allègement de ses obligations en vertu de la clause de force majeure de démontrer que sa situation cadre entièrement avec cette clause.

Cette partie, aux termes des modalités de la clause de BIMCO, devrait donc probablement établir :

  1. que la grève ou le lockout est bel et bien en cours;
  2. que la grève ou le lockout est hors du contrôle raisonnable de la partie qui invoque la force majeure;
  3. que la partie touchée n’aurait pas raisonnablement pu prévoir la grève ou le lockout au moment de conclure le contrat;
  4. que la partie touchée n’aurait pas raisonnablement pu éviter ou neutraliser les conséquences de la grève.

Généralement, pour qu’une clause de force majeure soit appliquée, la situation ne doit pas avoir été causée par la partie qui veut se prévaloir de la clause ni dépendre de sa volonté. Le seuil d’application est par ailleurs élevé : on exige habituellement que l’exécution des obligations contractuelles soit impossible, et non simplement difficile. Si la force majeure est établie, les effets de la clause s’y rapportant dépendront de son libellé.

Certains contrats permettent aux parties de donner la priorité à certaines obligations, ou de s’en libérer. Certaines clauses de force majeure prévoient même la résiliation du contrat en entier si la situation répond à des critères précis ou persiste pendant une durée déterminée.

Atténuer les conséquences d’un cas de force majeure

Quels que soient les effets de l’application de la clause, la partie qui veut se prévaloir de cette dernière est tenue de prendre les mesures possibles et raisonnables sur le plan commercial pour atténuer les répercussions de la force majeure sur l’autre partie, conformément aux autres modalités du contrat. Par conséquent, une telle clause exigera de la partie en question qu’elle déploie des « efforts raisonnables » pour atténuer les conséquences de la force majeure.

Par exemple, lorsqu’elle s’est penchée sur le dossier RTI Ltd v. MUR Shipping BV, la Cour suprême du Royaume-Uni a précisé dans quelle mesure ces efforts devaient être déployés pour que la clause de force majeure puisse s’appliquer. Dans cette affaire, des sanctions des États-Unis contre la Russie retardaient le paiement en dollars américains d’un affréteur à un propriétaire en vertu d’un contrat d’affrètement. Le propriétaire a invoqué la clause de force majeure pour refuser que s’effectuent les expéditions pour lesquelles il ne serait pas payé en dollars américains, tandis que l’affréteur a fait valoir que le propriétaire devait accepter une offre de paiement en euros fondée sur l’exigence de déployer des efforts raisonnables de ladite clause. La Cour suprême du Royaume-Uni a confirmé à l’unanimité que le propriétaire n’était pas tenu d’accepter un paiement en euros, contrairement au contrat, et que l’obligation de déployer des efforts raisonnables ne s’appliquait qu’aux formes d’exécution cadrant avec les modalités expresses du contrat.

Bien que l’interprétation de toute clause de force majeure sera nécessairement fonction des libellés propres au contrat donné, la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni pourrait teinter la compréhension de la notion d’efforts raisonnables ou de concepts apparentés dans des affaires similaires à l’avenir.

Contrats sans clause de force majeure

En l’absence de clause de force majeure, les parties pourraient se prévaloir de mesures prévues par la common law ou une loi applicable. La doctrine de l’impossibilité d’exécution, par exemple, peut servir à annuler un contrat en cas d’événement fortuit.

Récemment, dans le cadre de l’affaire Aldergrove Duty Free Shop Ltd. v. MacCallum, 2024 BCCA 28, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a maintenu que la démonstration qu’un contrat est devenu inexécutable repose sur la confirmation de ces trois critères :

  1. un événement survenant admissible qui n’a pas été envisagé par les parties lorsqu’elles ont conclu le contrat;
  2. l’événement n’est la faute de ni l’une ni l’autre partie;
  3. en raison de l’événement, le résultat de l’exécution du contrat a été radicalement différent de ce qui avait été entrepris2.

La question de savoir si la doctrine de la frustration s’applique à un contrat dépendra des faits précis d’une affaire donnée.

Nous joindre

Nous continuerons à suivre de près les menaces d’interruptions ferroviaires et de grèves portuaires aux États-Unis et vous informerons de l’évolution de la situation. Pour toute question au sujet des conséquences de ces perturbations sur votre entreprise ou de la portée des clauses de force majeure de vos contrats, veuillez contacter l’une des personnes-ressources ci-dessous ou le groupe national Transport maritime de BLG.

Les auteurs du présent article tiennent à remercier Tim Falco, stagiaire chez BLG, pour son importante contribution à cet article.

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