Le 9 mai 2024, le projet de loi n° 62, soit la Loi visant principalement à diversifier les stratégies d’acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d’agilité dans la réalisation de leurs projets d’infrastructure (le « projet de loi 62 »), a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec afin qu’elle en amorce l’étude1.
Contexte du projet de loi n° 62
Le secteur des projets majeurs d’infrastructures publiques au Québec a subi plusieurs pressions, ces dernières années. Notamment, la baisse d’intérêt des intervenants de l’industrie pour les méthodes traditionnelles d’adjudication des contrats, en raison des risques qui y sont associés, mais aussi les perturbations récentes du marché au niveau de la chaîne d’approvisionnement et de l’inflation, ont rendu difficile, voire impossible, la présentation d’une soumission compétitive.
C’est dans ce contexte que le gouvernement du Québec présente le projet de loi 62, afin de répondre à l’intérêt grandissant du secteur pour une approche dite collaborative comme méthode alternative d’exécution des projets. Sans cette réforme du cadre législatif et réglementaire, ce mode de réalisation était irréalisable au Québec, sauf exception.
Ce projet de loi s’inscrit ainsi dans le cadre de la volonté du gouvernement du Québec2 de se doter d’outils compétitifs pour la réalisation des projets majeurs d’infrastructures publiques. Le projet de loi 62 vise donc à rendre plus efficaces et attrayants ces projets et propose certains changements au cadre législatif et réglementaire actuel. C’est dans cette optique que le projet de loi 62 introduit dans la Loi sur les contrats des organismes publics (« LCOP ») un nouveau type de contrat, soit le contrat de partenariat. Cet article présente les principaux changements proposés par le projet de loi 62 et leurs implications.
Retrait de la notion de PPP et introduction de la notion de contrat de partenariat
Contrat de partenariat
Le projet de loi 62 retire définitivement la notion de partenariats publics-privés (« PPP ») traditionnels, lesquels requièrent présentement la conception, la réalisation et l’exploitation d’une infrastructure publique3, et la remplace par celle de contrat de partenariat. Selon le projet de loi 62, le contrat de partenariat est un contrat conclu dans le cadre d’un projet d’infrastructure à l’égard duquel un organisme public associe un contractant à la conception et à la réalisation de l’infrastructure, ainsi qu’à l’exercice « d’autres responsabilités » liées à l’infrastructure. Il implique une approche collaborative pendant ou après le processus d’adjudication. Est également assimilé à un contrat de partenariat un contrat mixte de travaux de construction et de services professionnels, ainsi que les autres contrats pouvant être inclus par le Conseil du trésor par règlement, aux termes desquels un organisme public retient un contractant pour la conception ou pour la réalisation d’une infrastructure lorsque celles-ci impliquent une approche collaborative4.
Un contrat de partenariat pourra être conclu par le ministre des Transports, par la Société québécoise des infrastructures ou par tout autre organisme public, dans la mesure où le ministre responsable de ce dernier l’y autorise. Il est entendu que l’autorisation ministérielle exigée n’a pas pour effet de soustraire l’organisme public à l’obligation d’obtenir toute autre autorisation en lien avec le contrat de partenariat visé qui serait autrement requise en vertu des dispositions d’une loi, d’un règlement ou d’une directive5. Compte tenu de l’institution de Mobilité Infra Québec suivant le projet de loi n° 61, la Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif (le « projet de loi 61 ») et du rôle qu’entend donner le gouvernement à cette société, nous ne pouvons que présumer que celle-ci sera autorisée à conclure de tels contrats de partenariat ou à s’y associer.
Qu’est-ce une approche collaborative?
Selon le projet de loi 62, l’approche collaborative peut notamment comprendre la tenue d’ateliers bilatéraux, une mise en commun des ressources et des informations liées au projet d’infrastructure, un partage consensuel des risques et, selon le cas, les économies générées, les gains réalisés ou les pertes subies pendant la durée du contrat6. Il est important de souligner qu’il s’agit d’une définition non exhaustive et sujette à interprétation, donnant ainsi ouverture à ce que plusieurs projets puissent se qualifier de partenariats au sens de cette loi, et ce, peu importe leur ampleur.
Cette définition, ou plutôt cette description de l’approche dite collaborative, demeure silencieuse quant aux principales dispositions que pourraient contenir ces contrats de partenariat telles que, par exemple, une approche à livre ouvert, ou encore une renonciation partielle ou complète aux recours entres les parties. Le choix du gouvernement de définir largement la notion de partenariat permet de croire qu’un éventail de solutions contractuelles pourra être considéré et que celles-ci seront appelées à changer suivant les tendances de marché.
Implications pratiques
La LCOP actuelle comporte un chapitre dédié exclusivement aux contrats de PPP, soit le Chapitre V7. Suivant les changements proposés par le projet de loi 62, ce chapitre serait maintenant applicable aux contrats de partenariat. Compte tenu de ce qui précède, il semble que davantage de projets pourront se prévaloir du régime de contrat de partenariat tel que modifié aux termes du projet de loi 62, et leur processus d’approvisionnement sera donc régi par le Chapitre V de la LCOP.
À titre de rappel, ce chapitre prévoit que la nature des projets conclus selon cette formule nécessitera des discussions entre le donneur d’ouvrage et les potentiels partenaires privés pour préciser le projet et conclure le contrat. D’ailleurs, afin de sélectionner le partenaire et de conclure un contrat de partenariat, la LCOP permet expressément des pratiques qui dérogent aux règles généralement applicables en matière d’adjudication de contrats suivant des appels d’offres publics.
Plus encore, le projet de loi 62 augmente la latitude dont bénéficient les organismes publics dans le cadre d’un contrat de partenariat. Plus particulièrement, le Chapitre V autoriserait expressément :
- la tenue de discussions par un organisme public avec, selon le cas, le ou chacun des concurrents retenus après la première étape du processus de sélection, afin de préciser le projet sur le plan technique, financier ou contractuel, et pour permettre à chacun des concurrents retenus de soumettre une proposition (présentement, la LCOP ne permet de tenir de telles discussions qu’avec chacun des concurrents retenus);
- la négociation par un organisme public avec le ou les concurrents retenus, au cours du processus de sélection de même qu’au terme de ce processus, de toute disposition requise pour en arriver à conclure le contrat, tout en préservant les éléments fondamentaux des documents d’appel d’offres et de la proposition (présentement, la LCOP ne permet de tenir de telles négociations qu’au terme du processus de sélection et qu’avec le concurrent retenu).
Le projet de loi 62 donne donc davantage de souplesse aux organismes publics à l’égard du déroulement des appels d’offres pour les projets réalisés en mode partenariat. Ces changements semblent suggérer que les organismes publics pourraient collaborer plus étroitement avec les concurrents à toutes les étapes du processus de sélection, ainsi qu’au terme de celui-ci.
Retrait de la nécessité de publier un avis d’intention pour les projets n’ayant reçu aucune soumission conforme
Le projet de loi 62 propose un assouplissement des mesures en place afin d’accélérer les processus d’appels d’offres en permettant à un organisme public de conclure, à la suite d’un appel d’offres infructueux, un contrat de gré à gré sans qu’il soit nécessaire de publier un avis d’intention au système électronique d’appel d’offres, selon certaines conditions8.
Le projet de loi 62 prévoit notamment une exigence voulant que les conditions du contrat accordé de gré à gré soient les mêmes que celles énoncées dans les documents de l’appel d’offres public pour lequel aucune soumission conforme n’a été présentée, à l’exception du délai de réalisation, lequel peut être reporté d’une période ne dépassant pas celle écoulée entre la date limite pour la réception des soumissions et celle de la conclusion du contrat.
Certaines embûches nous semblent limiter l’utilité recherchée de cette disposition, par exemple :
- si aucune soumission conforme n’est reçue au terme de l’appel d’offres, il semble incertain qu’un tiers puisse satisfaire aux exigences du contrat projeté. Il aurait pu être envisagé de prévoir que l’organisme public et l’attributaire puissent négocier toute disposition requise pour en arriver à conclure le contrat, tout en préservant les éléments fondamentaux des documents d’appel d’offres;
- la période de report actuellement prévue ne tient pas compte des enjeux de saisonnalité des travaux, ni de la disponibilité de l’éventuel adjudicataire.
Il n’est également pas prévu que les organismes publics recourant à cette approche pourront conclure des conventions relatives aux travaux préalables, lesquelles sont régulièrement utilisées afin de sécuriser l’échéancier du projet en réalisant de manière anticipée certaines activités sur le chemin critique.
Pouvoir de vérification de l’Autorité des marchés publics
Le projet de loi 62 élargit également les pouvoirs d’enquête de l’Autorité des marchés publics à toute personne ayant déjà été administrateur, associé, dirigeant ou actionnaire d’une entreprise assujettie à la surveillance de l’Autorité des marchés publics et à toute autre personne ou entité liée ou ayant été liée, directement ou indirectement, par contrat à cette entreprise9.
Le projet de loi prévoit par ailleurs certaines immunités pour les personnes qui collaborent avec l’Autorité des marchés publics dans le cadre d’enquêtes visant à valider si une personne répond aux critères d’intégrité. Il prévoit aussi des dispositions empêchant de soulever toute forme d’obligation de confidentialité ou de loyauté afin de refuser de divulguer certains documents ou renseignements requis dans le cadre de telles enquêtes10. Seul le secret professionnel liant l’avocat ou le notaire à son client n’est pas visé par cette exception au secret professionnel.
De plus, le projet de loi 62 prévoit que toute personne qui communique un renseignement ou un document en application des dispositions de la loi n’encourt aucune responsabilité civile de ce fait11.
Expropriation et réserve foncière
Suivant le projet de loi 62 et pour les fins du développement, du maintien et de la gestion du parc immobilier des organismes publics, la Société québécoise des infrastructures peut maintenant acquérir par expropriation, pour son compte ou celui d’un organisme public, tout immeuble, partie d’immeuble ou droit réel12. Ce pouvoir d’expropriation est beaucoup plus important que celui prévu dans la loi actuelle, qui limite ce droit à des acquisitions de gré à gré. Un pouvoir similaire est par ailleurs consenti en faveur de Mobilité Infra Québec dans le projet de loi 61 et celle-ci devra, sur demande du gouvernement du Québec, s’associer à la Société québécoise des infrastructures pour réaliser un projet majeur d’infrastructure de transport.
Enfin, le projet de loi 62 prévoit que la Société québécoise des infrastructures peut, aux conditions déterminées par le gouvernement, constituer une réserve foncière pour la réalisation d’éventuels projets d’infrastructure publique13.
Conclusion
Le projet de loi 62 constitue une évolution majeure de la législation québécoise en matière de projets majeurs d’infrastructures publiques. Maintenant déposé, ce projet de loi doit maintenant faire l’objet d’études avant d’être adopté. Nous vous tiendrons informés de tout développement à ce sujet au cours des prochains mois.
Entre-temps, nous vous invitons à lire notre article complémentaire au sujet du projet de loi 61.
Nous vous invitons également à communiquer avec les membres des groupes Infrastructures et Construction de BLG pour toute question sur ce qui précède.