Le 1er juillet 2023, le Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada (ILWU), qui représente les travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique, a déclenché une grève dans plus de 30 ports de la province, dont celui de Vancouver, le plus important au pays. Cette grève pourrait avoir des conséquences juridiques importantes pour diverses parties prenantes du secteur maritime.
Contexte
Ce conflit de travail s’ajoute aux problèmes d’approvisionnement qui sévissent déjà. Le port de Vancouver s’est récemment classé parmi les cancres mondiaux en termes d’efficacité, et ce, pour une deuxième année consécutive.
Un Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement et un examen ciblé des chaînes d’approvisionnement au Canada ont tous deux cité le manque de main-d’œuvre et la conclusion de conventions collectives à long terme parmi les principales priorités pour accroître l’efficacité.
La grève a forcé des fournisseurs de services à adapter leurs pratiques pour pallier les perturbations. Le Chemin de fer Canadien Pacifique a temporairement cessé la circulation vers le port de Vancouver. L’administration du port a publié un avis aux parties prenantes pour leur signaler une congestion et leur demander d’assurer l’arrivée de leurs navires y faisant escale le plus proche possible de l’heure prévue pour atténuer cette congestion. Elle a également modifié temporairement les protocoles d’assignation des mouillages de manière à donner la priorité aux terminaux qui sont encore opérationnels.
La grève en cours soulève des questions quant à l’application des clauses de force majeure pour diverses parties prenantes du secteur maritime.
Qu’est-ce qu’une clause de force majeure?
Une clause de force majeure est une disposition contractuelle qui sert à libérer une partie de ses obligations lorsqu’une situation indépendante de la volonté des parties au contrat rend l’exécution de celui-ci impossible.
La grève en cours et le manque de main-d’œuvre en découlant pourraient mener ou non à l’application de telles clauses, selon leur libellé. Généralement, les clauses de force majeure mentionnent qu’une partie ou les deux parties n’ont pas à exécuter leurs obligations pendant la durée d’une grève, d’un lockout, d’un arrêt de travail, d’un conflit de travail ou d’une autre mesure prise collectivement par des travailleurs.
Des changements récents aux normes du secteur réaffirment que les parties à un contrat peuvent invoquer une clause de force majeure pour justifier une non-exécution attribuable à une grève. Par exemple, en 2022, le Conseil maritime baltique et international (BIMCO) a proposé une nouvelle clause type qui qualifie les perturbations du travail (boycottages, grève, lockouts, etc.) de cas de force majeure. Les parties qui l’utilisent peuvent donc se soustraire à leurs obligations contractuelles si elles prouvent que la grève rend leur exécution impossible.
De façon générale, il incombe à la partie qui souhaite être libérée du contrat de démontrer que la grève l’empêche d’exécuter ses obligations. Les parties qui utilisent les modalités du BIMCO devront vraisemblablement prouver :
- que la grève existe;
- que la grève est indépendante de la volonté raisonnable de la partie qui invoque la force majeure;
- que la partie touchée n’aurait pas raisonnablement pu prévoir la grève au moment de conclure le contrat;
- que la partie touchée n’aurait pas raisonnablement pu éviter ou neutraliser les conséquences de la grève.
Traditionnellement, pour qu’une clause de force majeure soit appliquée, il ne faut pas que la situation ait été causée par la partie qui s’en prévaut ni qu’elle dépende de sa volonté. Le seuil d’application est par ailleurs élevé : on exige généralement que l’exécution soit impossible, pas seulement difficile. Les effets d’une clause de force majeure applicable dépendront de son libellé.
Certains contrats permettent aux parties de donner la priorité à d’autres obligations, ou libèrent les parties de certaines obligations. Certaines clauses de force majeure prévoient même la résiliation du contrat en entier si la situation répond à des critères précis ou persiste pendant une durée déterminée. Quels que soient les effets de l’application de la clause, la partie qui s’en prévaut est tenue de prendre des mesures possibles et raisonnables sur le plan commercial pour atténuer les répercussions sur l’autre partie.
Contrats sans clause de force majeure
En l’absence de clause de force majeure, les parties pourraient se prévaloir de mesures prévues par la common law ou une loi applicable. Un des principes de common law pouvant trouver application est celui de l’impossibilité d’exécution, qui intervient lorsqu’une situation imprévisible rend le contrat « radicalement différent » de l’entente initiale. Son application dépend des faits de chaque affaire.
Répercussions commerciales sur le secteur maritime
La grève en Colombie-Britannique risque de perturber davantage la chaîne d’approvisionnement du Canada, déjà fragile, et d’entacher sa réputation.
Il reste à voir si le gouvernement fédéral ou provincial interviendra au moyen d’une loi forçant le retour au travail. Ce ne serait pas la première fois : en 2021, le gouvernement fédéral en avait adopté une pour mettre fin au débrayage des débardeurs du port de Montréal.