Le gouvernement du Québec et de nombreux acteurs de l’industrie de la construction tentent depuis plusieurs années de corriger les difficultés découlant des retards de paiement, particulièrement dans les contrats publics. À l’automne 2013, certaines associations se sont regroupées pour former la Coalition contre les retards de paiement dans la construction (la « Coalition ») afin de promouvoir l’adoption d’une loi sur les paiements rapides des entrepreneurs. Les efforts ainsi déployés ont porté fruit puisque le législateur a finalement adopté, au printemps 2022, la Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics1 (le « Projet de loi n° 12 »). On y retrouve une modification importante à la Loi sur les contrats des organismes publics2 (« LCOP ») où seront ajoutés un mécanisme de paiement obligatoire et un processus rapide de règlement des différends dont les modalités demeurent toutefois à définir par règlement.
Cette modification législative fait suite au Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu’aux sous-contrats qui y sont liés3 (le « Projet pilote ») qui a été déployé du 2 août 2018 au 1er août 2021. Le Projet pilote prévoyait un calendrier de paiement obligatoire à dates fixes et un processus de règlement des différends par un intervenant-expert. La Société québécoise des infrastructures, le ministère des Transports et le Centre de services scolaire de Montréal ont entre autres participé au Projet pilote.
Les principaux constats à la suite du déploiement du Projet pilote
Le Secrétariat du Conseil du Trésor a publié, en mars 2022, le Rapport sur la mise en œuvre d’un projet pilote sur les délais de paiement dans l’industrie de la construction qui expose, au terme d’une consultation auprès de divers participants, les principales observations sur le mécanisme établi par le Projet pilote et propose des solutions aux difficultés rencontrées. Voici certains des constats énumérés dans ce rapport:
- Le calendrier de paiement a été apprécié par les parties prenantes, car il permet une prévisibilité des actions des différents intervenants. Un calendrier à délais plutôt qu’à dates fixes permettrait de mieux répartir les opérations;
- Le calendrier de paiement a incité les sous-traitants à participer davantage aux sous-contrats publics, mais cette hausse d’intérêt est moins importante chez les entrepreneurs généraux;
- L’avancée majeure que permet le calendrier de paiement est la présomption d’approbation par l’organisme public. En l’absence d’un avis de refus de paiement motivé et transmis dans le délai imparti, la demande de paiement est automatiquement approuvée par l’organisme public;
- Il est recommandé que tous les sous-traitants soient visés par le processus facilitant les paiements, incluant les fournisseurs de matériaux et les prestataires de services;
- L’existence d’un mécanisme de règlement des différends favorise les discussions et les ententes à l’amiable entre les parties;
- Afin d’éviter des décisions contradictoires, il est suggéré que les parties au processus de règlement des différends puissent inclure plusieurs différends dans une même demande;
- Les réclamations pour retard, perte de productivité et frais indirects se prêtent mal au processus rapide de règlement des différends.
Bref, le Projet pilote a été concluant tant au niveau du calendrier de paiement obligatoire que pour le recours à un mécanisme de règlement des différends rapide. Il a démontré la pertinence d’établir une solution durable pour s’attaquer à la problématique des délais de paiement.
Le Projet de loi n° 12
Dans la foulée du Projet pilote, et suivant les recommandations de la Coalition lors des consultations publiques, le Projet de loi n° 12 a été amendé afin d’y ajouter un mécanisme de paiement et de règlement des différends en matière de travaux de construction4 qui se résume essentiellement à ce qui suit :
- Les nouvelles dispositions de la loi seront d’ordre public et il sera impossible d’y déroger (art. 21.48.20 LCOP);
- Toute demande de paiement visée devra être effectuée selon les conditions et modalités déterminées par règlement pour être valide (art. 21.48.21 LCOP);
- Un débiteur qui estime ne pas être tenu au paiement devra manifester son refus à l’intérieur du délai qui sera prévu par règlement (art. 21.48.23 LCOP), à défaut de quoi il sera tenu d’honorer la demande de paiement valide, et ce, même s’il n’a pas été payé par son propre débiteur (art. 21.48.24 LCOP);
- Toute partie à un différend déterminé par règlement, tel celui susceptible d’avoir une incidence sur le paiement d’une somme d’argent, pourra exiger que ce différend soit tranché par un tiers décideur (art. 21.48.26 LCOP);
- La décision du tiers décideur sera exécutoire et liera les parties jusqu’à ce que, le cas échéant, un jugement soit rendu par un tribunal de droit commun ou une sentence arbitrale intervienne sur le même objet (art. 21.48.27 LCOP).
Le règlement à venir
Le Projet de loi n° 12 démontre la volonté du législateur d’intervenir pour accélérer les paiements dans les contrats publics de construction. Cela dit, le diable est souvent dans les détails et les modalités du nouveau mécanisme n’ont pas encore été divulguées, à savoir notamment les délais du calendrier de paiement, le contenu d’une demande de paiement valide, les devoirs et obligations du tiers décideur, le fonctionnement du processus de règlement des différends et les types de différends visés.
Il y a fort à parier que le règlement qui sera adopté par le gouvernement du Québec afin de préciser ces conditions et modalités s’inspirera du Projet pilote en raison des conclusions favorables du rapport de mars 2022 du Secrétariat du Conseil du Trésor. Les débats parlementaires du 10 mai 2022 entourant l’adoption du Projet de loi n° 12 laissent toutefois entrevoir la possibilité d’exclure du processus les réclamations pour retard, perte de productivité ou frais indirects, alors qu’elles étaient incluses dans le Projet pilote. Il en va de même pour certains modes de réalisation des projets d’infrastructure.
L’entrée en vigueur
La section du Projet de loi n° 12 sur les paiements et les règlements des différends en matière de travaux de construction entrera en vigueur à la date déterminée par le gouvernement5. À ce jour, cette date n’a toujours pas été fixée, mais tout indique que ce sera au cours de l’année 2023.
1 Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics, LQ 2022, chapitre 18.
2 Loi sur les contrats des organismes publics, chapitre c-65.1.
3 L’arrêté numéro 2018-01 du président du Conseil du Trésor, en date du 3 juillet 2018, a autorisé la mise en œuvre du Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu’aux sous-contrats qui y sont liés(RLRQ, chapitre C-65.1, r. 8.01).
4 Projet de loi n° 12, art. 111 à 115, insérant le chapitre V.2 « Paiements et règlement des différends en matière de travaux de construction » à laLCOP.
5 Projet de loi n° 12, art. 152 (2º).