La Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment rendu une ordonnance Anton Piller à l’égard du demandeur dans l’affaire Cicada 137 LLC v. Medjedovic, 2021 ONSC 8581 (Cicada 137), qui porte sur le vol présumé de 15 millions de dollars d’actifs dans le portefeuille numérique de ce dernier. Cette décision est importante, car elle témoigne de la volonté de la Cour d’offrir une protection dans le contexte du vol d’actifs numériques comme les cryptomonnaies. Autre fait intéressant, le défendeur a soulevé le principe « Code is Law » (le code fait la loi), populaire théorie du Web encore jamais soumise aux tribunaux selon laquelle il est acceptable qu’un utilisateur exploite une faiblesse dans un code informatique.
Contexte
Le défendeur, Andean Medjedovic, est un jeune homme de 19 ans titulaire d’une maîtrise en mathématiques de l’Université de Waterloo. Il habitait chez ses parents jusqu’à tout récemment.
Le demandeur, Cicada 137 LLC (Cicada), est une personne morale qui détient des cryptojetons au nom d’un petit nombre d’investisseurs utilisant Indexed Finance. Le demandeur affirme que le défendeur a piraté le code source de cette plateforme de manière à ce qu’elle lui vire 15 M$ en jetons dans son compte personnel. Le défendeur a admis avoir transféré les jetons.
En outre, deux autres demandeurs intentent maintenant une action collective au nom de l’ensemble des titulaires des jetons transférés par le défendeur.
Ordonnance Anton Piller
Le demandeur a été en mesure d’établir un lien entre les jetons et le compte du défendeur et a demandé une ordonnance Anton Piller à la Cour supérieure de justice de l’Ontario afin de les préserver. Une ordonnance Anton Piller est un type d’ordonnance de conservation utilisé lorsqu’il existe un risque que le défendeur détruise ou cache des preuves. Si l’ordonnance est accordée, le demandeur peut accéder à la propriété du défendeur afin de saisir les appareils et dossiers pertinents. Les biens saisis sont ensuite confiés à un tiers jusqu’à ce que la question soit tranchée.
Le défendeur n’a pas contesté cette ordonnance. Toutefois, comme il habitait chez ses parents au moment du prétendu vol, ces derniers ont présenté une requête visant à la faire rejeter. En fin de compte, la Cour a accordé ladite ordonnance pour que Cicada soit en mesure de chercher des mots de passe et d’autres preuves pouvant lui permettre de trouver et de préserver les jetons. En vertu de l’ordonnance, Cicada a saisi des appareils électroniques appartenant à M. Medjedovic et à ses parents.
La Cour a formulé les importants commentaires suivants :
Les faits reprochés sont très graves et justifient une ordonnance Anton Piller. Des actifs de très grande valeur ont été dérobés. Qui plus est, l’expert du demandeur a fourni des preuves quant à l’ampleur du vol d’actifs numériques à ce jour. La cryptomonnaie étant un nouveau type d’investissement et de commerce qui ne cesse de croître, il est fondamentalement important pour la stabilité de l’économie et du marché numérique que l’intégrité de ces actifs soit maintenue. Les investisseurs et autres parties à des transactions doivent avoir l’assurance que leurs droits sont protégés par la loi. Malgré ce que certains pensent, la loi s’applique à Internet au même titre qu’aux personnes, aux gouvernements et aux autres entités.
Notons que le demandeur a fouillé le domicile des parents de M. Medjedovic depuis l’octroi de l’ordonnance Anton Piller, mais qu’il semble que le défendeur avait déjà quitté les lieux, muni de ses ordinateurs et de son téléphone. On ignore où il se trouve. Comme M. Medjedovic n’a pas d’avocat et qu’il ne s’est plus jamais présenté en cour, il a été accusé d’outrage au tribunal.
Le code fait la loi
Bien que le procès n’ait pas encore eu lieu, la Cour a indiqué avoir commencé à étudier le principe « Code is Law » évoqué par le défendeur. Cette théorie encore jamais soumise aux tribunaux explique qu’il est acceptable pour un utilisateur d’exploiter une faiblesse dans un code informatique de façon à ce qu’un autre utilisateur réalise une transaction désavantageuse, puisque le code source est public et que les utilisateurs connaissent, ou devraient connaître, le risque auquel ils sont exposés lorsqu’ils placent leurs cryptoactifs dans un dépôt de données.
Le défendeur affirme que ce principe invalide complètement les réclamations du demandeur à son endroit. Si l’argument était retenu, le défendeur, et sans doute d’autres pirates informatiques, serait en droit d’agir comme il l’a fait et d’exploiter le code pour obtenir un gain financier sans conséquences juridiques.
Points à retenir
Alors que la technologie liée aux chaînes de blocs et aux cryptomonnaies continue de s’améliorer et de gagner en popularité, l’arrêt Cicada 137 témoigne de la volonté des tribunaux canadiens de traiter la cryptomonnaie comme du papier-monnaie, notamment en imposant les mêmes restrictions que dans les litiges commerciaux visant des actifs matériels. Il constitue sans conteste la première d’une série de nombreuses décisions qui continueront à faire évoluer la common law et son application en ce qui touche la propriété d’actifs numériques.
Le groupe Litiges de BLG continuera de faire le point sur cette affaire et sur d’autres litiges relatifs à la cryptomonnaie. N’hésitez pas à communiquer avec votre conseiller de BLG ou avec l’une des personnes-ressources ci-dessous pour discuter de l’incidence éventuelle de cette décision sur vos activités.