La maladie causée par le nouveau coronavirus (la « COVID-19 ») crée beaucoup d’incertitude sur le plan social et économique. Parmi ses effets sur le commerce, mentionnons les restrictions sur les voyages, les perturbations en milieu de travail et les défis pour les chaînes d’approvisionnement. Les événements imprévus, comme l’épidémie de COVID-19, soulèvent des questions quant à l’application des clauses dites de « force majeure ». Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada1, la clause de force majeure qui dispense une partie de l’exécution de ses obligations contractuelles lorsque survient un événement, parfois surnaturel, sur lequel les parties n’ont aucun contrôle et qui rend l’exécution du contrat impossible, s’applique généralement lorsque cet événement est inattendu et humainement imprévisible et incontrôlable.
La mesure dans laquelle des événements précis liés à la COVID-19 déclenchent l’application d’une clause de force majeure donnée dépend du libellé de la clause et des circonstances factuelles. Le présent article donne un aperçu du droit applicable aux clauses de force majeure et de leur rôle dans la répartition des risques liés aux imprévus.
Les clauses de force majeure et les événements déclencheurs
Normalement, une clause de force majeure comprend une liste d’événements déclencheurs précis, qui sont habituellement de nature exceptionnelle (par exemple, un tremblement de terre, une inondation ou la guerre). Elle peut également contenir un énoncé au sens très large visant à couvrir des événements qui ne sont pas expressément énumérés dans la clause. L’énumération des événements déclencheurs s’inspire généralement de formulations standards, mais les parties sont libres de modifier ou de compléter les libellés standards pour tenir compte des besoins particuliers de leurs entreprises.
Invoquer un cas de force majeure
Pour qu’une clause de force majeure puisse produire ses effets, l’événement déclencheur doit tomber dans son champ d’application. D’autres facteurs entrent souvent en jeu. Par exemple, il incombe généralement à la partie cherchant à se prévaloir de la clause de démontrer que l’événement a considérablement porté atteinte à sa capacité de remplir ses obligations contractuelles. Par ailleurs, les clauses de force majeure présupposent et exigent généralement que l’événement déclencheur n’ait pas été causé par la partie cherchant à être déchargée de son obligation d’exécution.
Une partie aura plus de difficulté à invoquer un cas de force majeure si le problème en cause constitue un inconvénient typique dans le cours normal des activités, comme une hausse des coûts d’exploitation ou un marché en récession. La question de savoir si un événement donné qui a porté atteinte à la capacité de la partie de remplir une de ses obligations contractuelles est un cas de force majeure nécessite une analyse factuelle tenant compte (entre autres) de la nature du contrat et de la mesure dans laquelle l’événement déclencheur a touché la localité dans laquelle la partie invoquant la clause exerce ses activités. Cette partie doit d’ailleurs suivre rigoureusement la procédure établie à cet égard dans la clause pertinente.
Effet de la clause
À la survenance d’un événement déclencheur, la clause de force majeure s’applique conformément à ses modalités. Ainsi, les parties pourraient être temporairement ou définitivement libérées d’une partie ou de la totalité des obligations contractuelles qu’elles seraient autrement tenues de remplir. Dans d’autres cas, les parties peuvent invoquer cette clause afin de donner la priorité à certaines obligations plutôt qu’à d’autres. Les parties qui invoquent une telle clause ont le devoir d’atténuer les coûts découlant de la suspension des obligations (en suivant ici aussi le libellé précis de la clause), ou de faire ce qui est commercialement raisonnable et praticable pour limiter les pertes subies par l’autre partie au contrat.
En l’absence de clause de force majeure
Lorsqu’un contrat ne contient pas de clause de force majeure, les parties concernées peuvent quand même demander un redressement en vertu de règles de common law ou des lois applicables. Par exemple, le principe juridique de l’impossibilité d’exécution pourrait servir de solution en l’absence de clause de force majeure applicable. Ce principe exige notamment la survenance d’un événement imprévisible qui rend le contrat « radicalement différent » de ce qui avait été prévu à l’origine. Les concepts et conséquences de ce principe sont parfois intégrés à certaines lois, comme la Loi sur les contrats inexécutables (Ontario). Encore une fois, la question de savoir si l’impossibilité d’exécution s’applique dans un cas précis dépend des faits en cause.
Conclusion
L’épidémie de COVID-19 est source de défis sanitaires, sociaux et économiques pour un grand nombre de pays. De nombreuses parties contractantes se demandent probablement si les situations auxquelles elles font face constituent des cas de force majeure aux termes de leurs contrats. Même si la réponse à cette question dépend de leur situation individuelle, les entreprises devraient évaluer leur profil de risque de façon proactive et, du même coup, évaluer dans quelle mesure les contrats futurs devraient traiter des cas de force majeure, définir ceux-ci et déterminer quelle partie devrait en assumer le risque.
1 Atlantic Paper Stock Ltd. c. St. Anne-Nackawic Pulp and Paper Company Limited [1976] 1 RCS 580.