Contrats publics : La Loi sur les cités et villes impose désormais l’obligation à toute municipalité d’adopter un règlement sur la gestion contractuelle afin d’assurer l’intégrité et la transparence du processus d’appel d’offres de même que l’égalité entre soumissionnaires.
Une décision rendue le 17 juillet 2019 par la Cour supérieure confirme qu’une communication adressée à une autre personne que celle désignée dans l’appel d’offres peut mener à l’inscription du soumissionnaire au registre des personnes inadmissibles.
Lors de trois appels d’offres publics lancés par la Ville de Montréal (la « Ville ») en date 4 juin 2018, Construction Bau-Val inc. (« Bauval ») apprend que les contrats seront octroyés à EBC inc. (« EBC »). Selon Bauval, EBC ne rencontre pas les exigences du Cahier des charges en ce qui a trait à l’expérience minimale requise pour le chargé de projet. Le 13 septembre 2018, Bauval dépose une demande introductive d’instance en injonction interlocutoire provisoire, en injonction interlocutoire et en injonction permanente dans le but de se faire déclarer la plus basse soumissionnaire conforme pour les trois projets (dossier no 500-17-104801-181). La demande est entendue et rejetée par la Cour supérieure le lendemain.
Le 17 septembre 2018, par l’entremise de son avocate interne, Bauval adresse une lettre (la « Lettre ») au conseil municipal de la Ville dénonçant que l’octroi imminent des contrats à EBC contreviendrait à une condition essentielle des appels d’offres et que ceux-ci ne devraient par conséquent pas être accordés à cette dernière. Le même jour, les contrats sont néanmoins octroyés à EBC.
Le 26 septembre 2018, le comité exécutif de la Ville adopte une résolution qui prend acte de la communication d’influence de Bauval et incidemment de son inscription automatique au registre des personnes inadmissibles pour une période d’une année. La Ville est d’avis que la Lettre constitue une communication d’influence au sens des articles 6 et 9 du Règlement du Conseil de la Ville sur la gestion contractuelle (le « Règlement »). En vertu de l’article 23 de ce même Règlement, devient automatiquement inadmissible le soumissionnaire qui contrevient à l’article 9, c’est-à-dire qui produit une communication d’influence pendant la période de soumission.
Le 1er octobre 2018, Bauval décide de contester et introduit une demande de pourvoi en contrôle judiciaire dans laquelle elle demande au tribunal d’annuler la décision rendue par la Ville quant à son inadmissibilité. Bauval allègue que la Lettre consiste en une mise en demeure et non pas en une communication d’influence.
L’honorable Hélène Langlois, j.c.s souligne qu’en vertu de l’article 573.3.1.2 de la Loi sur les cités et villes, toute municipalité doit, au moyen d’un règlement sur la gestion contractuelle, s’assurer que le processus d’attribution d’un contrat respecte les lois applicables dans la lutte contre le truquage des offres ainsi que la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme. Elle indique également que toute municipalité a désormais l’obligation de s’assurer que le processus n’a pas fait l’objet de trafic d’influence et qu’il n’a pas été affecté par une situation de conflit d’intérêts susceptible de compromettre son impartialité et son objectivité.
Il en découle, selon le tribunal, que l’article 6 du Règlement est un pouvoir lié qui ne donne aucune marge de manœuvre à la Ville : toute communication durant la période de soumission suivant un appel d’offres avec une personne autre que la personne responsable de l’appel d’offres est une communication interdite. Il convient de mentionner qu’en vertu de l’article 3 du Règlement, celui-ci s’applique à tous les contrats de la Ville et à toutes les démarches en lien avec ceux-ci.
La juge Langlois conclut que la Lettre ne constituait pas une mise en demeure. Elle rappelle que selon la jurisprudence et la doctrine, la mise en demeure est une invitation impérative adressée au débiteur de régulariser sa situation dans un délai suffisant. En l’espèce, la Lettre ne faisait pas mention de la prestation attendue par la Ville ni d’un délai pour l’exécuter. Selon le tribunal, la Lettre ne pouvait avoir pour but que d’influencer la mairesse et le conseil municipal à l’aube de la décision qu’ils s’apprêtaient à rendre pour l’octroi des trois contrats à EBC.
Le tribunal mentionne que Bauval aurait pu dénoncer le vice allégué dans la procédure d’octroi des contrats au Bureau de l’inspecteur général. Il s’agit du fonctionnaire ayant pour mandat d’intervenir afin d’assurer le respect de la procédure d’appel d’offres, et ce, conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la Charte de la Ville de Montréal. En outre, la décision de la Cour supérieure souligne que rien n’empêchait Bauval d’avoir accès aux tribunaux pour faire valoir ses prétentions et note que c’est d’ailleurs ce que cette dernière a fait en déposant une demande d’injonction interlocutoire provisoire qui a toutefois échoué.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de pourvoi en contrôle judiciaire est rejetée. Bauval fait toutefois appel de cette décision et le débat se poursuivra devant la plus haute instance de la province. Dans l’intervalle, suivant une entente intervenue avec la Ville pour valoir jusqu’à jugement au fond sur la demande de pourvoi en contrôle judiciaire, Bauval n’est pas inscrite au registre des personnes inadmissibles.
Ce récent cas de figure nous rappelle qu’en matière de contrats publics, il faut strictement respecter les règles afférentes au processus d’attribution des contrats. À défaut de quoi, le soumissionnaire s’expose à de lourdes conséquences.