Le 21 septembre 2016, la Cour supérieure, sous la plume de l’Honorable juge André Prévost, a rendu jugement dans l’affaire Singh c. Société terminaux Montréal Gateway. La Cour a confirmé qu’un opérateur de terminal maritime peut exiger de personnes de religion sikhe qu’elles portent un casque protecteur par-dessus leur turban, malgré leur croyance religieuse leur en interdisant, lorsqu’il y a un risque réel d’accident justifiant cette mesure.
Les demandeurs étaient des camionneurs de religion sikhe effectuant du transport de conteneurs. Lorsqu’ils se rendaient au Port de Montréal, la Société terminaux Montréal Gateway (« MGT »), le plus important opérateur de terminal maritime au Port de Montréal, les obligeait à porter un casque protecteur par-dessus leur turban lorsqu’ils se déplaçaient à l’extérieur de leur véhicule se conformant ainsi à leurs obligations légales prévues au Code criminel et au Code canadien du travail. Les camionneurs se sont alors plaints que cette mesure était discriminatoire et violait par le fait même leur liberté de religion. Ils ont donc requis d’être dispensés de porter un casque. Refusant cette demande, MGT a initialement tenté de les accommoder en élaborant une procédure alternative de chargement des conteneurs. Cette mesure s’est avérée inefficace et contraignante. MGT y a donc mis fin. Pour leur part, les demandeurs n’ont jamais collaboré à l’élaboration d’alternatives accommodantes; ils se sont uniquement limités à exiger l’exemption du port du casque protecteur.
L’Honorable Juge Prévost analyse la question de la discrimination tant sous l’angle de la Loi canadienne sur les droits de la personne que de la Charte des droits et libertés de la personne. Le Juge confirme qu’il y a un risque important de blessure à la tête pour les camionneurs lorsqu’ils doivent se déplacer à l’extérieur de leur véhicule sur le site des terminaux maritime du Port de Montréal et ce, indépendamment du nombre de blessures à la tête recensées chez les camionneurs au fil des années. Il conclut donc à l’absence de discrimination, car le port du casque protecteur est une mesure qui s’applique à l’ensemble des personnes circulant sur les terminaux du Port de Montréal et qu’il s’agit du meilleur moyen pour éliminer les risques liés aux blessures à la tête. Ces risques sont les mêmes pour toute personne circulant sur les lieux des terminaux maritimes, qu’elles soient des camionneurs, des visiteurs ou des employés.
Bien que le Juge Prévost considère que la politique soit discriminatoire prima facie pour les demandeurs, il ajoute par contre que son adoption était amplement justifiée. En effet, la politique a été élaborée pour se conformer à des obligations légales, a été adoptée de bonne foi par MGT et était raisonnablement nécessaire au travail des camionneurs. MGT ayant tenté d’accommoder les demandeurs, aucune autre mesure alternative ne pouvait leur permettre d’exécuter leur travail dans des conditions sécuritaires. Pour ces motifs, la politique était tout à fait justifiée.
Sous l'angle de l'analyse de l'atteinte à la liberté de religion prévue par la Charte des droits et libertés de la personne, l’Honorable juge André Prévost a conclu que les effets bénéfiques de la politique de MGT l’emportaient sur les effets préjudiciables de celle-ci à l’égard de la liberté de religion des demandeurs. Ainsi, bien qu'ils aient démontré que la politique portait effectivement atteinte à leur liberté de religion, cette atteinte était justifiée en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne.
Ce jugement revêt d’une grande importance pour les employeurs. Il y est affirmé que l’obligation de veiller à la santé et la sécurité de tous, et non seulement des employés, est inconciliable avec les exigences d’une religion. Ce jugement ne change toutefois pas l’état du droit existant en matière du devoir d’accommodement. Toutefois, il s’agit d’un rappel intéressant à l’effet que l’obligation d’accommodement raisonnable est une obligation qui nécessite la collaboration de chacune des parties à savoir qu’elles doivent toutes être proactives dans la recherche de solutions alternatives.
Finalement, il s’agit d’un rare cas où le juge a appliqué la Charte des droits et libertés de la personne dans le cadre des relations de travail impliquant une entreprise de juridiction fédérale. Ce jugement laisse présager que celles-ci devront possiblement respecter non seulement les lois fédérales en matière de droits de la personne, mais l’application des chartes provinciales en matière de droit de la personne, selon les circonstances de chaque cas d’espèce.
Près de dix ans se sont écoulés depuis que cette action a été intentée. MGT a été représentée au procès par Justine B. Laurier du groupe de pratique Travail et emploi chez Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. avec l’appui de Philippe C. Vachon (désormais retraité), d’André Royeret de Francesca Taddeo.