Système bancaire ouvert au Canada : discussion sur un enjeu d’avenir
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Le secteur canadien des services financiers est au seuil d’une ère de changement. Tous ses membres, des banques jusqu’aux jeunes entreprises de fintech, subiront les effets de la réforme réglementaire, de l’omniprésence des services en ligne ainsi que de l’innovation et des bouleversements technologiques.
L’ouverture du système bancaire amènera des possibilités et des modèles d’affaires inédits pour le secteur des services financiers, sans compter qu’elle fera évoluer l’offre de services des nouveaux venus de la fintech. Mais ces possibilités viennent avec des exigences opérationnelles et des risques sans précédent pour un système bancaire qui s’enorgueillit de sa stabilité. Comme le Canada dispose d’un système financier et d’une structure constitutionnelle uniques, le système bancaire ouvert (SBO) n’y sera pas mis en œuvre comme au Royaume-Uni, dans l’Union européenne ou en Australie, où son déploiement est déjà en cours.
Afin de nous faire comprendre les enjeux actuels et émergents du SBO, divers dirigeants du secteur canadien des services financiers ont répondu aux questions suivantes : Selon vous, à quels changements assisterons-nous? Quelle sera la place de votre organisation dans le nouvel environnement? À quoi pourrait ressembler, pour les consommateurs et les entreprises, un modèle de SBO purement canadien?
Participants à la table ronde
« Si la sécurité et l’intégrité du système ne suscitent pas la confiance, en particulier chez les consommateurs, le SBO sera un échec. »
« Le SBO existe sous une forme ou une autre depuis le début du siècle, et à présent, la technologie et les autres changements accentuent le caractère public du débat. »
« Il est insensé de prétendre qu’une entité est mieux outillée du simple fait qu’elle est une banque bien connue qui existe depuis des siècles. Ce qui compte, c’est le contenu des politiques de risque des institutions, leur conformité à ces politiques et l’importance qu’elles accordent à la cybersécurité. »
« Ce n’est pas seulement une question de sécurité de la technologie, mais aussi de structure de gouvernance, d’accréditation et de contrôles appropriés, pour que l’accès au système soit limité aux personnes concernées. »
« Nous espérons que le SBO aura pour effet d’assujettir les entreprises de fintech aux mêmes règles que les autres institutions financières, de manière à niveler les conditions de concurrence et à protéger l’intégrité du système. »
Lisa Ford est avocate principale, Services juridiques, Méthodes de paiement pour entreprises et système bancaire ouvert pour RBC.
Le « système bancaire ouvert », c’est-à-dire dans lequel les clients permettent à des tiers d’accéder aux données concernant leurs opérations financières, n’est pas une nouveauté au Canada. Ce concept existe depuis plusieurs décennies. Prenons l’exemple des entreprises clientes. Au cours de mes 15 années à RBC, nos entreprises clientes ont toujours dû permettre à des tiers de confiance (comme des comptables et des conseillers professionnels) d’accéder à leurs comptes pour obtenir une vue d’ensemble sur leurs besoins de planification des affaires. Or, la nouveauté se trouve du côté des technologies que nous explorons pour ces situations, comme les interfaces de programmation d’applications (API).
Certains commentateurs prétendent qu’en matière de SBO, le Canada a pris du retard par rapport à d’autres territoires. À mon avis, c’est un mythe : le secteur canadien des services financiers, auquel les consommateurs vouent systématiquement un degré de confiance élevé, est en fait un chef de file. Qui plus est, ce mythe peut mener à des revendications déraisonnables en matière de réglementation. Les critiques du système canadien citent souvent en exemple des territoires comme l’Union européenne et le Royaume-Uni, où les autorités réglementaires ont senti le besoin de forcer le déploiement du SBO en raison de la méfiance du public envers les banques après la crise financière et dans le but de favoriser la concurrence et l’innovation.
Au Canada, la situation est tout autre. Le SBO existe sous une forme ou une autre depuis le début du siècle, et à présent, la technologie et les autres changements accentuent le caractère public du débat. Dans ces domaines à évolution rapide, les difficultés des décideurs politiques ont deux origines : le désir de « protéger sans nuire » et la fragmentation du cadre réglementaire canadien, qui tient compte du type d’entité concernée et non de la nature de ses activités commerciales. Les autorités réglementaires ont donc du mal à instaurer une surveillance complète des activités du SBO, qui touchent différents types d’entités.
Le SBO du Canada a besoin d’un effort collectif et collaboratif de la part des institutions financières, des gouvernements, des consommateurs et des tiers. Heureusement, notre secteur bancaire est rompu à la collaboration, à laquelle notre contexte réglementaire se prête bien. Ce fut le cas lorsque les banques ont lancé les cartes à puces avec NIP. Elles ont alors coopéré entre elles et avec le gouvernement pour instaurer des normes que tous ont convenu de suivre. Le SBO se prête tout aussi bien à ce type d’approche, puisque toutes les parties ont directement intérêt à le déployer tout en assurant la sécurité du système financier. En fait, elles ont toutes des intérêts en jeu et de bonnes raisons de collaborer à l’amélioration de notre système financier qui, comme le reste du monde, est en constante mutation.
Anne Butler est chef des affaires juridiques, des politiques et de la recherche à Paiements Canada, l’organisation responsable de l’infrastructure de compensation et de règlement du pays et des processus et règles essentiels aux transactions qu’elle permet.
Organisation chargée du système national de paiements, Paiements Canada traite en moyenne trois millions de dollars par seconde en paiements et occupe une position unique au centre de l’écosystème financier du Canada. Nos systèmes doivent être sécuritaires et fiables en tout temps pour assurer la bonne marche de l’économie du pays. Nous sommes donc une partie intégrante du système financier du Canada et, aux yeux des institutions, nous incarnons la règle et la norme en matière de paiements. Comme nous sommes au centre de cet écosystème, nous avons un point de vue unique sur le SBO, d’autant que nous sommes actuellement en train d’opérer une mise à niveau et une modernisation importantes de nos propres systèmes. Pour nous, la discussion sur le SBO tombe à point nommé, soit au moment même où l’ensemble du secteur s’efforce de moderniser les méthodes de paiement au Canada.
À Paiements Canada, les efforts à cet égard suivent deux axes : la modernisation du système de paiements de grande valeur et l’augmentation de la vitesse et de l’efficacité des paiements par la création d’un système de paiement en temps réel. En quoi ces axes se rattachent-ils au SBO? Pour l’instant, répondons à la question le plus simplement possible : ils aident les particuliers à contrôler leurs renseignements bancaires et à les communiquer, ce qui permet aux entreprises de fournir des services financiers plus robustes et personnalisés dans diverses sphères d’activités. Tout nouveau système de paiement doit être développé en gardant ces préoccupations à l’avant-plan, de sorte qu’il réponde à tous les cas d’usage potentiels du SBO de même qu’aux avancées et technologies encore à venir. Il doit être bâti de manière à favoriser – plutôt qu’à entraver – l’innovation.
Nous sommes à un moment opportun où, grâce à la collaboration entre les autorités réglementaires fédérales et provinciales et le secteur des services financiers, nous pouvons générer un résultat favorable pour le Canada. Chaque pays a ses propres défis à relever sur le plan de la réglementation. Au Canada, il faudra trouver le moyen de coordonner l’action des multiples ordres de gouvernement qui ont le pouvoir constitutionnel d’établir des règles dans ce domaine. Et bien que les contextes diffèrent, nous avons la chance d’observer comment les autres pays gèrent la mise en œuvre de leur SBO. Avec la DSP2, l’approche en vigueur au Royaume-Uni et en Europe priorise l’obligation faite à toutes les parties de protéger les renseignements des individus, pour que le consommateur soit en mesure de déterminer qui peut accéder à ses données et à quelle fin. Si d’autres territoires passent au SBO plus lentement, c’est parce qu’ils s’efforcent d’incorporer au système le droit du consommateur d’exercer un contrôle sur ses propres données et sur l’utilisation qu’en font les parties.
De concert avec le gouvernement, il est important de définir des objectifs politiques clairs, de sorte que le secteur privé puisse articuler une stratégie à long terme axée sur l’ajout de valeur dans l’économie. Pour ce qui est de gérer les risques associés au SBO, une organisation centralisée comme le nôtre, qui s’occupe des normes, en plus des exigences relatives à la conduite des participants, peut jouer un rôle clé dans l’instauration d’un climat de confiance à l’échelle du système – aussi bien pour le consommateur et ses données que pour l’ensemble des participants.
Si la sécurité et l’intégrité du système ne suscitent pas la confiance, en particulier chez les consommateurs, le SBO sera un échec. Cela signifie notamment qu’il faut aider les consommateurs à mieux saisir la nature du SBO et les normes qui s’y rapportent. Dans un récent sondage réalisé auprès de Canadiens, seulement 7 % des répondants avaient déjà entendu parler du SBO. Un chiffre qui pourrait laisser croire qu’il n’y a pas de grand appel à l’action. En revanche, 77 % des personnes sondées aimeraient que toutes leurs données financières soient regroupées en un même endroit, d’une façon pratique qui leur permettrait de mieux suivre leurs dépenses ou de faire de la planification financière. Lorsque ces avantages leur sont présentés d’une manière limpide, les consommateurs souhaitent en profiter. Heureusement, les Canadiens ont un degré de confiance élevé en ce qui concerne la stabilité et la sécurité de leurs fournisseurs de services financiers. Désormais, à l’heure où nous ouvrons leurs données à d’autres parties, il faut tirer profit de cette confiance généralisée pour créer un système doté de règles et de normes universelles et uniformes.
Nous nous réjouissons du point de vue exprimé dans le récent rapport du Sénat sur le SBO, selon lequel il existe déjà des entités réglementaires mandatées et outillées pour surveiller ces nouveaux domaines de l’activité financière, que ce soit sur le plan de la protection des consommateurs, de la concurrence ou de la protection des renseignements personnels. Il n’est donc pas nécessaire de créer un nouvel organisme pour réglementer le SBO. Adaptons plutôt nos outils actuels. Les outils diffèrent par leur puissance. La réglementation est un outil puissant, mais il faut l’employer avec autant de parcimonie que possible pour obtenir les résultats souhaités. Paiements Canada, avec ses règlements, ses règles et ses normes, peut également servir d’outil. Lorsque la réglementation présente des lacunes, il convient de trouver dans l’écosystème d’autres moyens à exploiter. Mais parfois, il faut aussi reculer et laisser les normes et les processus évoluer, sans aucune intervention forte.
Voilà qui est bien plus facile à dire qu’à faire. Il est toutefois essentiel que la réglementation s’adapte à l’évolution du secteur et des technologies connexes.
Andrew Boyajian est chef des services bancaires, Amérique du Nord, pour TransferWise, un service international de transfert d’argent dont le siège social est au Royaume-Uni.
Pour qu’une entreprise de fintech comme TransferWise puisse croître dans le marché canadien, nous devions régler certaines difficultés opérationnelles et réglementaires. D’après notre expérience dans d’autres marchés, nous pensons que l’infrastructure canadienne des paiements est un peu surprotégée. Et cela amène son lot de difficultés, pas seulement pour nous, mais pour tout l’écosystème de la fintech. Par exemple, au Canada, seules quelques institutions financières peuvent participer aux systèmes de paiement. Mais il y a plus. Pour être membre adhérent aux termes des règles actuelles, une institution financière doit traiter un certain pourcentage du volume de paiement brut au Canada. Bien que cette règle est appelée à changer, elle est susceptible de limiter le système à quelques banques et institutions financières d’envergure. Pour une entreprise dont le rôle principal est de fournir des services de paiement, cela représente un défi. D’abord, il nous faut trouver une banque qui nous accepte en tant que client. Ensuite, nous devons pouvoir compter sur cette relation bancaire, car elle est un rouage essentiel de notre continuité opérationnelle.
Heureusement, nous avons constaté des progrès dans d’autres pays, où les banques centrales sont de plus en plus enclines à inclure des institutions financières non traditionnelles aux systèmes de paiement. TransferWise a été l’une des premières non-banques au Royaume-Uni à détenir un compte de règlement auprès de la Banque d’Angleterre, ce qui a facilité notre participation directe au service Faster Payments. Et dernièrement, nous avons appris que la Banque d’Angleterre envisageait d’élargir encore davantage les droits d’accès des non-banques pour ce qui est des dépôts. Nous constatons également certaines avancées au Canada, où Paiements Canada envisage la création de rôles comme celui de membre associé dans les mécanismes de paiement, dont l’éventuel RTR. Tous ces projets ont du sens, mais d’ici à ce qu’ils se concrétisent, les entreprises de fintech et leurs clients vont demeurer dans un état de dépendance excessive face aux institutions financières.
Côté réglementaire, certaines lois et certains règlements sont désuets. En général, les cadres réglementaires supposent que les entreprises ont une présence physique, avec un établissement où elles peuvent rencontrer leurs clients. Malheureusement, les décideurs politiques omettent parfois de se pencher sur la manière de moderniser ces régimes pour tenir compte des entreprises numériques. Cela dit, lorsqu’ils le font, il est important qu’ils demeurent agnostiques sur le plan technologique. Ainsi, au lieu de mentionner des types de fichiers en particulier, comme « .pdf », nous encourageons les décideurs et les autorités réglementaires à envisager des principes qui transcendent la technologie actuelle, afin d’en assurer le plus possible la pérennité.
Certains aspects de la réglementation évoluent dans le bon sens, comme les mesures visant à protéger les fonds qu’un client confie à un fournisseur de services de paiement. À l’heure actuelle, les consommateurs canadiens ne profitent pas de cette protection. Aucun cadre réglementaire n’est en vigueur pour protéger, mettre de côté et garantir les soldes déposés par les consommateurs auprès d’entreprises de fintech. Heureusement, le ministère des Finances, dans le cadre de sa révision du système de paiement au détail, a décelé cette lacune et s’affaire actuellement à mettre en place un mécanisme de protection pour les consommateurs canadiens, semblable à la SADC ou aux régimes provinciaux qui protègent les sommes déposées auprès d’institutions financières. Le consommateur profitera ainsi d’une protection et d’une transparence accrues, et saura que le niveau de service offert par les fournisseurs de fintech est égal à celui des banques.
Les banques et les autorités réglementaires ont souvent l’impression que les sociétés de transfert d’argent, les fournisseurs de services de paiement et les entreprises de fintech posent un risque élevé de blanchiment d’argent. Or, des activités comme le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme peuvent emprunter n’importe quel véhicule, aussi bien une entreprise de fintech qu’une banque. Nous ne pensons donc pas que l’argument d’un risque plus élevé à cet égard soit une raison de priver les entreprises de fintech d’un accès direct aux systèmes de paiement. Les défis de la lutte contre le blanchiment d’argent sont les mêmes pour les entreprises de fintech et pour les banques; les lois ne font pas de distinction quant au type de fournisseur.
Un autre argument nous paraît plus valide : en limitant l’accès à la compensation à un petit nombre d’entités, on favoriserait une certaine stabilité. En général, les autorités réglementaires devraient s’intéresser à la solidité de la capitalisation ou des modèles d’affaires des entités, puis à leurs politiques sur les risques opérationnels. Ces concepts sont généraux et universellement applicables. Si une institution ou une entité est en mesure de s’y conformer de la même manière qu’une institution financière de dépôts définie, nous ne voyons vraiment pas la différence ni la nécessité de créer une division des droits d’accès entre les deux.
Au Royaume-Uni, bien que nous ayons conseillé les décideurs politiques concernant la mise en œuvre du SBO à la suite de la DSP2, nous avons plutôt mis l’accent sur la transparence des frais. Cela dit, nous pouvons certainement constater certains avantages. Par exemple, avec toute méthode de paiement autre que les cartes de paiement (comme le prélèvement automatique), un commerçant peut obtenir passablement de renseignements sur un client pour savoir si la transaction sera effectivement réglée, en plus du profil de risque global de l’individu avec qui il fait affaire. L’un des avantages du SBO, à mon sens, est la possibilité pour les consommateurs de communiquer cette information d’une façon normalisée.
Il existe une technologie recourant à un service de capture de données d’écran, par laquelle un consommateur peut fournir à une application tierce ses données de connexion bancaires. Cette application se connecte au compte bancaire en ligne du client, puis capture les données affichées à l’écran pour les transmettre à une plateforme. Cette technologie est toutefois fragile. Si, par exemple, une banque décide de modifier son interface ou de mettre en place une authentification à deux facteurs, le service pourrait facilement être compromis. De plus, pour certaines banques, le fait de donner un accès ou une autorisation à un tiers pourrait contrevenir aux modalités d’utilisation du compte bancaire. Le SBO peut être un moyen de simplifier ces protocoles et de permettre une application universelle du même ensemble de données. Et, surtout, il laisse au consommateur le soin de décider à qui et comment il veut communiquer ces données.
Dans un monde où l’information est de plus en plus transmise numériquement, la cybersécurité doit être une priorité. C’est ce que le secteur des paiements a constaté avec les cartes de paiement : à mesure qu’augmentait la proportion d’achat à distance, la notion de sécurité gagnait en importance, tout comme les méthodes d’authentification et de validation des instruments de paiement. Il faut que le marché s’adapte pour comprendre comment les données sont stockées et transmises et qu’il détermine les facteurs de vulnérabilité. Il doit en outre accepter que la responsabilité n’incombe pas à un fournisseur ou à une fonction en particulier dans la chaîne de paiement, mais qu’elle est universelle.
Qu’une entreprise ait recours à des services d’infonuagique ou à sa propre infrastructure, elle demeure susceptible d’être attaquée par n’importe quel type de malfaiteur. Ce risque n’est pas exclusif aux entreprises de fintech. Par conséquent, toutes les entités ont besoin de plans robustes en matière de fraude, de cybersécurité et de protection des données. Entre-temps, les autorités réglementaires auraient intérêt à comprendre que le niveau de risque auquel s’expose une entité dépend bien souvent de son degré de préparation, et non de son type. Il est insensé de prétendre qu’une entité est mieux outillée du simple fait qu’elle est une banque bien connue qui existe depuis des siècles. Ce qui compte, c’est le contenu des politiques de risque des institutions, leur conformité à ces politiques et l’importance qu’elles accordent à la cybersécurité.
Oscar Roque est vice-président adjoint, Innovation, recherche et solutions en émergence pour Interac Corp.
Voilà 35 ans qu’Interac parvient à réunir tous les acteurs et intervenants clés de l’écosystème, à la fois grâce à ses plateformes technologiques et à sa structure de gouvernance.
Naturellement, la discussion entourant le SBO est axée sur sa pertinence, à savoir qu’il procure au consommateur des mécanismes lui offrant un meilleur contrôle sur ses données, sans parler d’avantages considérables en matière d’indépendance financière, de gestion et d’accès. En contrepartie, une attention doit être portée aux questions de la gestion des risques, des modèles de responsabilité et de la protection des consommateurs. Tant que ces questions demeureront en suspens, le SBO ne pourra pas réellement prendre son essor.
À l’heure où des systèmes et des modèles sont construits en appui au SBO, l’expérience d’Interac peut offrir certaines balises. Interac a toujours exercé ses activités au centre de l’écosystème canadien des services financiers, ce qui signifie que nous sommes liés non seulement aux institutions financières d’un océan à l’autre, mais aussi aux acquéreurs, aux commerçants, aux gouvernements et aux consommateurs. La future structure du SBO doit atteindre l’équilibre entre toutes ces entités, de manière à offrir une excellente expérience utilisateur de même qu’un modèle de gouvernance et un processus d’intégration efficaces pour les entreprises.
L’identité numérique représente une occasion unique, et bien que cette innovation se distingue du SBO, elle évolue en parallèle. Vu l’importance capitale de la protection des renseignements personnels et de la sécurité pour l’intégrité de tout SBO, lorsqu’il est clair que le consentement du consommateur ne porte que sur certaines données précises, l’identité numérique devrait jouer un rôle de premier plan. Si ces évolutions peuvent être réunies en un système d’identité numérique ayant directement accès à une forme de SBO, nous aurons une équation où un et un font trois, en ce que les avantages de chacun aideront à bâtir une économique numérique beaucoup plus forte pour le Canada.
Quelle que soit la structure mise en place, elle devra protéger adéquatement le consommateur, en plus de concrétiser tous les avantages potentiels du SBO. Ce n’est pas seulement une question de sécurité de la technologie, mais aussi de structure de gouvernance, d’accréditation et de contrôles appropriés, pour que l’accès au système soit limité aux personnes concernées.
Le gouvernement a un rôle important à jouer pour ce qui est d’orienter les politiques, d’établir les règles et les règlements et de réunir les parties intéressées. Parmi les modèles possibles, nous sommes portés à favoriser celui d’un écosystème hybride, dans lequel le gouvernement et les organismes de réglementation fixeraient la structure, tandis que le secteur privé – des institutions financières traditionnelles aux entreprises de fintech – coopérerait pour trouver des solutions exemptes de spécifications lourdes et de contraintes excessives, de manière à laisser libre cours à la fluidité et à l’innovation. Forte de son histoire, Interac peut être l’un des interlocuteurs centraux de cette discussion.
Tanya Postlewaite est vice-présidente, Conformité et gouvernance, secrétaire générale, chef de la conformité et agente principale de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité pour Concentra, une banque et société de fiducie canadienne.
Face aux pressions exercées sur le secteur (compression des marges, modification des règlements hypothécaires, nouveaux venus sur le marché, évolution des attentes des consommateurs et des plafonds réglementaires, etc.), les organisations de services financiers du Canada accélèrent le pas en innovation. De nouvelles avenues, des technologies émergentes et des modèles de service réinventés créent de la valeur au sein du secteur et pour Concentra.
Une bonne partie de nos activités financières est déjà exécutée par des tiers, notamment des entreprises de fintech. La plupart du temps, le client qui communique avec nos partenaires – que ce soit pour un prêt personnel de 5 000 $ en ligne auprès d’une entreprise de fintech ou pour un prêt hypothécaire de 500 000 $ auprès d’un courtier – ignore que c’est Concentra qui finance ces prêts et détient la propriété véritable des créances. Le client final n’a pas de lien avec Concentra et n’a même pas connaissance de sa présence, parce que jusqu’ici, nous étions en arrière-plan.
Voici en quoi le SBO recèle une foule de possibilités pour nous. Le SBO est une structure dans laquelle les consommateurs et les entreprises peuvent, au moyen de canaux en ligne sécurisés, permettre à des tiers fournisseurs de services financiers d’accéder aux données sur leurs opérations financières. Puisqu’une grande partie de nos activités s’articule autour de partenariats, le SBO cadre parfaitement avec notre modèle. Nous pouvons ajouter à notre écosystème les capacités des entreprises de fintech grâce à des API ouverts qui se connectent directement à notre système bancaire.
Comme les grandes institutions financières ont déjà un modèle de services directs au client, il se peut que leur stratégie se prête moins bien aux partenariats avec des entreprises de fintech. Avec l’avènement du SBO, les clients des grandes institutions pourront élargir leurs relations financières sans grand obstacle ni coût en argent ou en temps. Les grandes banques risquent donc de perdre l’avantage concurrentiel dû à l’inertie de leur clientèle. Étant plus petits, nous sommes plus agiles et, en comparaison avec bon nombre d’institutions financières, nous ne sommes pas liés par des relations de longue date.
Si les grandes banques cherchent à réduire leurs dépenses en délaissant certains produits traditionnels, les entreprises de fintech pourront réaliser des gains en les offrant avec un partenaire comme Concentra. Les petites institutions financières comme la nôtre peuvent tirer profit des données des clients pour mieux segmenter leur offre afin de stimuler leur chiffre d’affaires, sans les coûts associés à l’offre d’une gamme de services complète. Et les entreprises de fintech peuvent mieux faire connaître leurs produits et avoir un meilleur accès aux clients par l’entremise des institutions financières.
Cela dit, les entreprises de fintech ont un grand besoin de soutien et de compréhension pour élaborer de meilleures plateformes de conformité et de protection des données et des renseignements personnels des clients. Toute entreprise de fintech qui fait affaire avec le public cherche à offrir une expérience simple et fluide; c’est là son avantage concurrentiel à l’heure actuelle. Pour consentir un prêt, les institutions financières sont tenues de poser plus de questions et d’obtenir beaucoup plus de données que les entreprises de fintech. Évidemment, celles-ci ne veulent pas nuire à l’expérience client, dans la mesure où la convivialité du service est un argument de vente.
Lorsque Concentra envisage de collaborer avec une entreprise de fintech, la conformité peut devenir un enjeu. Si notre partenaire éventuel ne collabore pas déjà avec une institution financière sous réglementation fédérale, il aura souvent beaucoup de tâches à accomplir pour se conformer aux normes fédérales avant que nous puissions travailler avec lui. Certaines entreprises de fintech préfèrent éviter de travailler avec des institutions financières, car elles ne veulent pas adapter leur modèle d’affaires aux exigences réglementaires. Elles peuvent alors tenter d’obtenir du financement auprès d’une source qui n’a pas à tenir compte du BSIF, de CANAFE et des règlements de lutte contre le blanchiment d’argent.
Nous espérons que le SBO aura pour effet d’assujettir les entreprises de fintech aux mêmes règles que les autres institutions financières, de manière à niveler les conditions de concurrence et à protéger l’intégrité du système. Ces dernières années, nous avons constaté une hausse des fraudes liées aux petits prêts personnels. Dès l’instant où des fonds circulent dans un système, certaines personnes vont chercher des façons de l’exploiter ou de le manipuler pour acquérir de l’argent frauduleusement. C’est un problème auquel le gouvernement s’attaquera tôt ou tard.
Nous pensons qu’il faudra encore quelques années avant qu’une plateforme de SBO soit en activité au Canada, et nous espérons pouvoir participer aux discussions concernant sa création. Pour Concentra, l’avènement du SBO est une occasion formidable de façonner l’avenir des services bancaires d’une façon profitable pour nous, nos coopératives de crédit partenaires et tous les Canadiens.