Le 21 août 2024, la Cour d’appel fédérale (CAF) a rendu une décision remarquée dans l’affaire Banque le Choix du Président c. Canada, 2024 CAF 135, accueillant l’appel interjeté par la Banque le Choix du Président (Banque PC) des avis de nouvelle cotisation établie par l’Agence du revenu du Canada (ARC).
La CAF a infirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), qui avait rejeté la demande de la Banque PC d’obtenir des crédits fictifs de taxe sur les intrants (CTI fictifs) pour la TPS/TVH payée sur des sommes remboursées à Loblaws pour compenser les rabais accordés aux clients de ses magasins utilisant des points de carte de crédit lors de leurs achats (paiements de rachat).
Il faut souligner que la CAF a jugé que les paiements de rachat avaient été effectués par la Banque PC « dans le cadre de ses activités commerciales consistant à accroître les ventes au détail des magasins Loblaws », tout en reconnaissant qu’ils avaient également été effectués dans le cadre de la fourniture exonérée de services financiers.
Traditionnellement, l’expression « dans le cadre de » servait à distinguer clairement les activités commerciales des activités non commerciales (exonérées). Or, cette interprétation est maintenant plus large et ne se limite plus à cette simple distinction binaire. Comme l’expression « dans le cadre de » est mentionnée à de nombreuses reprises dans la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (Loi), cette interprétation peut avoir des ramifications qui vont au-delà de la décision commentée dans le présent article.
Ce que vous devez savoir
- La Loi permet qu’un paiement soit effectué « dans le cadre » à la fois d’une activité commerciale et d’une activité exonérée, même si aucun terme comme « exclusivement » ou « principalement » ne précise la nature du paiement.
- Bien que la caractérisation des fournitures (exonérées ou taxables) reste essentielle pour assurer la conformité aux fins de la TPS/TVH, il peut y avoir un objectif commercial secondaire qui permet à une personne de bénéficier de certains avantages en vertu de la Loi, tels que les CTI fictifs.
Contexte
La Banque PC et Loblaws Inc. (Loblaws) sont des personnes morales liées, filiales de Les Compagnies Loblaw Limitée. Loblaws est le plus grand détaillant alimentaire au Canada, dont la marque maison le Choix du Président est bien connue. D’autre part, la Banque PC offre divers services financiers et constitue une institution financière aux fins de la Loi.
Les fournitures contestées en l’espèce concernent la participation de la Banque PC à un programme de fidélisation (programme de fidélisation), dans le cadre duquel elle émet des cartes de crédit MasterCard de la marque le Choix du Président (MasterCard PC) à ses clients. Les clients qui utilisent la carte MasterCard PC accumulent des points de fidélisation, échangeables uniquement dans les magasins Loblaws, qui permettent d’obtenir des rabais sur leurs achats.
Le programme de fidélisation est administré conformément à trois accords conclus entre la Banque PC, Loblaws et une autre entité apparentée. Dans le cadre du programme de fidélisation, la Banque PC a remboursé Loblaws pour chaque dollar de points de fidélisation échangés par les clients dans un magasin Loblaws (c’est-à-dire les paiements de rachat). En retour, la Banque PC a demandé des CTI fictifs comme moyen de recouvrer la TPS/TVH applicable aux paiements de rachat en vertu de la Loi.
L’ARC a ensuite réexaminé les avis de cotisations de la Banque PC pour les années 2009, 2010, 2011 et 2012, et a refusé sa demande de CTI fictifs. En effet, l’ARC a estimé que les paiements de rachat n’avaient pas été effectués dans le cadre d’activités commerciales (mais plutôt dans le cadre d’activités exonérées) en vertu de la Loi, de sorte que la Banque PC n’avait pas le droit de réclamer de CTI fictifs. Insatisfaite de cette décision, la Banque PC a fait appel devant la CCI.
Cour canadienne de l’impôt
Le principal nœud juridique soumis à la CCI était de déterminer si la Banque PC avait effectué les paiements de rachat dans le cadre d’activités commerciales, comme l’exige le paragraphe 181(5) de la Loi, et si elle avait donc droit à des CTI fictifs.
- Échanger des points de fidélisation revient à utiliser un coupon de réduction pour obtenir un rabais lors d’un achat. Comme stipulé à l’article 181 de la Loi,ces deux situations sont traitées de la même façon aux fins de la TPS/TVH. En d’autres termes, un détaillant (Loblaws) est réputé avoir perçu la TPS/TVH sur le prix d’achat total, même si le client a payé un prix réduit. Loblaws s’attend alors à se faire rembourser le montant de la remise. La Banque PC paie ce montant et, en vertu du paragraphe 181(5), se voit accorder un CTI fictif égal à la « fraction de taxe » de la valeur des points de fidélisation échangés (c’est-à-dire le rabais).
Comme c’est le cas pour la plupart des décisions en matière de TPS/TVH, la CCI a commencé son analyse en caractérisant la fourniture à laquelle les paiements de rachat étaient liés comme étant une fourniture « exonérée » ou « taxable » (effectuée dans le cadre d’une activité commerciale). Elle a conclu que les paiements de rachat avaient été effectués par la Banque PC dans le cadre de ses activités liées à MasterCard, et que ces activités constituaient la prestation de services financiers exonérés en vertu de la Loi.
La CCI a tiré cette conclusion pour les motifs suivants : a) l’activité principale de la Banque PC consiste à fournir des services financiers; b) il est contraire aux pratiques commerciales normales que les commissions d’interchange de la Banque PC dépassent de loin ceux reçus de Loblaws, tout en continuant à fonctionner à perte en ce qui concerne sa participation au programme de fidélisation; c) la Banque PC effectue le paiement de rachat en contrepartie de l’émission des points de fidélisation.
La Banque PC a interjeté appel de la décision auprès de la CAF.
Cour d’appel fédérale
En appel, la CAF a annulé le jugement de la CCI et a renvoyé les nouvelles cotisations à l’ARC pour réexamen, au motif que la Banque PC a droit aux CTI fictifs contestés.
En appliquant une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, la CAF a estimé que le paragraphe 181(5) de la Loi ne recèle pas un test « soit l’une soit l’autre »; il permet plutôt qu’un montant (les paiements de rachat, par exemple) soit payé à la fois dans le cadre d’une activité commerciale et d’une activité exonérée.
La CAF a estimé que l’expression « dans le cadre de » avait un sens large et signifiait « découlant de » ou « relativement à », que ce soit directement ou indirectement. Si le législateur avait voulu limiter la portée de l’expression, il aurait inclus des termes utilisés ailleurs dans la Loi, comme « exclusivement », « principalement », « presque en totalité » ou « dans la mesure où ».
Pour appuyer son analyse contextuelle, la CAF a cité d’autres articles de la Loi qui démontrent qu’un paiement peut être lié à plusieurs activités. Par exemple, le paragraphe 169(1) autorise une personne inscrite à réclamer un CTI pour la TPS/TVH payée sur un intrant, pourvu que celui-ci soit utilisé dans le cadre d’activités commerciales. La CAF a aussi noté que l’article 181 de la Loi, qui porte sur les CTI, a été classé dans une sous-section intitulée « Cas spéciaux », ce qui donne à penser que le législateur avait l’intention de réserver un traitement distinct aux CTI accordés pour le rachat de bons.
Elle a également souligné que le paragraphe 181(5) vise à éviter que le gouvernement ne perçoive trop de TPS/TVH. Imposer une condition d’exclusivité (« soit l’une, soit l’autre ») empêcherait la Banque PC de demander des CTI fictifs, ce qui irait à l’encontre de l’objet de cette disposition. À l’instar d’autres dispositions de la Loi, le législateur aurait expressément empêché les institutions financières (la Banque PC) de demander des CTI fictifs.
La CAF a reconnu que la Banque PC effectuait le paiement de rachat dans le cadre de son activité de prestation de services financiers, mais aussi dans le cadre de son activité commerciale consistant à attirer les clients dans les magasins Loblaws. Cette double finalité était suffisante pour autoriser la réclamation de CTI fictifs en vertu du paragraphe 181(5).
Motifs dissidents
Le juge Webb a rédigé de solides motifs dissidents qui ont été inclus dans le jugement final de la CAF, et il a fini par accepter les conclusions de la CCI. Selon lui, l’intention du législateur au titre du paragraphe 181(5) n’était pas que la totalité d’un paiement unique puisse être considérée comme ayant été effectuée à la fois dans le cadre d’une activité commerciale et dans le cadre d’une activité exonérée. Pour que la Banque PC ait droit à des CTI fictifs, elle doit démontrer que le paiement est lié à une activité commerciale avec une probabilité supérieure à 50 %. Il a simplement précisé qu’il n’y avait pas de test « soit l’une soit l’autre » et qu’il fallait plutôt s’appuyer sur la « prépondérance des probabilités » aux fins du paragraphe 181(5).
Points à retenir
La décision de la CAF dans l’appel de la Banque PC élargit l’interprétation de l’expression « dans le cadre d’une activité commerciale » en vertu de la Loi, précisant qu’un paiement peut être effectué à la fois dans le cadre d’une activité commerciale et d’une activité exonérée en l’absence de terminologie explicite qui indique le contraire.
Toutefois, il est important de noter que pour les personnes travaillant dans le secteur des activités et fournitures exonérées, la notion d’activité « commerciale » ne peut être subjective. En ce qui concerne la Banque PC, la CAF a noté que l’activité consistant à conduire les clients chez Loblaws découlait de la participation de la Banque PC au programme de fidélisation; en d’autres termes, il doit y avoir une base pour qu’une activité commerciale existe en premier lieu avant que des attributs tels que les CTI puissent être valablement réclamés.
Nous joindre
Pour toute question concernant la décision de la CAF et son incidence sur les demandes de CTI fictifs au titre de la Loi sur la taxe d’accise, nous vous invitons à communiquer avec les auteurs de cet article ou avec nos groupes Litiges et règlement de différends en matière de fiscalité et Taxes à la consommation.