Introduction
La Cour du Banc du Roi du Manitoba a récemment rendu sa décision dans l’affaire Sterling Parkway Residences Inc. v. Boretta Construction 2002 Ltd. et al., rejetant une requête de Sterling Parkway Residences (« Sterling ») visant le paiement extrajudiciaire d’un montant déjà versé au tribunal comme garantie de privilège en vertu de la Loi sur le privilège du constructeur, c. B91 de la C.P.L.M. (la « LPC »). Elle confirme que l’objectif de la LPC est de créer des recours et non de déterminer le droit au paiement.
Contexte
Sterling est propriétaire et promoteur d’un complexe résidentiel à Winnipeg, au Manitoba, connu sous le nom de The Link (le « projet »). Sterling a retenu les services de Boretta Construction 2002 Ltd. (« Boretta ») pour agir en tant qu’entrepreneur général du projet conformément à deux contrats à forfait CCDC-2 (les « contrats Boretta »). Comme c’est généralement le cas de tels contrats, Boretta a engagé plusieurs sous-traitants pour réaliser les travaux, qui ont commencé en juin 2019.
Sterling a résilié les contrats Boretta le 17 août 2021, invoquant des problèmes d’exécution et des retards et fait appel à un autre entrepreneur pour terminer la construction.
Boretta avait enregistré deux privilèges de constructeur sur la propriété. Sterling a alors introduit une demande en vertu du paragraphe 55(2) de la LPC pour les faire annuler. Une ordonnance a été rendue, permettant la radiation des privilèges de Boretta en échange du dépôt d’une garantie de 2 343 371,01 $ en espèces au tribunal (la « garantie du privilège »). Sterling a versé cette somme au tribunal et les privilèges de Boretta ont été annulés. Il est important de noter qu’au lieu de déposer une caution ou une garantie en espèces auprès du tribunal, Sterling a déposé la retenue en garantie du privilège qu’elle avait l’obligation de maintenir en vertu de l’article 24 de la LPC en ce qui concerne les contrats Boretta.
En juillet 2022, Sterling a intenté une poursuite contre Boretta et sa caution, Liberty Mutual Insurance Company (« Liberty »), réclamant un montant non défini de dommages-intérêts pour des problèmes allégués d’exécution, des malfaçons et des retards dans les travaux réalisés dans le cadre des contrats Boretta (l’« action relative au cautionnement d’exécution »). Liberty et Boretta ont introduit une demande reconventionnelle à l’encontre de Sterling.
Requête
Après que le projet a atteint l’achèvement substantiel de l’ouvrage le 14 juin 2023, Sterling a voulu utiliser une partie de la garantie de privilège pour payer les sous-traitants de Boretta, malgré les allégations de malfaçons formulées contre eux dans l’action relative au cautionnement d’exécution. Sterling, ainsi que plusieurs des sous-traitants de Boretta, ont fait valoir que la garantie du privilège était une retenue et qu’elle était donc automatiquement payable en vertu du paragraphe 27(6) de la LPC, indépendamment de la qualité des travaux ou de leur exécution.
Le tribunal a tranché en faveur de Liberty. Liberty a soutenu que les fonds déposés par Sterling auprès du tribunal constituent désormais une garantie de privilège, qu’il s’agisse ou non d’une retenue de garantie, de sorte que tout paiement extrajudiciaire requérait une détermination du privilège sur le fond et ne pouvait être effectué à la seule discrétion de Sterling. Liberty a en outre fait valoir que, compte tenu de la réclamation de Sterling alléguant qu’elle avait subi des dommages en raison de malfaçons dans le cadre des contrats Boretta, les fonds ne pouvaient être versés aux sous-traitants, car ce sont ces derniers qui avaient exécuté les travaux en question pour Boretta. À cet égard, Liberty a ajouté que les sous-traitants n’avaient droit à aucun paiement si les allégations de Sterling étaient prouvées, car Boretta pourrait alors demander une compensation et déposer des réclamations à l’encontre de ces sous-traitants.
Fait intéressant, Sterling et les sous-traitants ont maintenu leur position selon laquelle la retenue de garantie accumulée était payable sans condition après l’expiration du délai applicable en vertu de la LPC, indépendamment de la mauvaise exécution des travaux ou des malfaçons.
Décision
Le tribunal a débouté Sterling et statué que la garantie de privilège resterait en sa possession jusqu’à ce que toutes les questions litigieuses soient tranchées sur le fond, comme le prévoit le paragraphe 65(1) de la LPC. Son raisonnement était double : Premièrement, la garantie de privilège ne pouvait être payée à la discrétion de Sterling. Pour que la garantie de privilège soit payée hors cour, il faut que toutes les parties y consentent ou qu’une décision sur le fond soit rendue en ce sens. Deuxièmement, la Cour a confirmé qu’il n’y avait pas de droit automatique et inconditionnel de retenue de garantie au titre de la LPC. Compte tenu des allégations de Sterling et des dommages-intérêts réclamés dans l’action relative au cautionnement d’exécution, la retenue de garantie n’était pas payable sans l’accord des deux parties ou sans décision sur le fond, y compris en ce qui concerne les demandes de compensation et les réclamations à l’encontre des sous-traitants dont la qualité du travail est remise en cause par Sterling.
Cette décision clarifie ce qui semblait être une idée fausse dans le secteur de la construction concernant les droits des parties aux fonds de retenue de garantie :
- La retenue de garantie (ou toute autre garantie de privilège) versée au tribunal pour faire annuler des privilèges doit y rester jusqu’à ce que les privilèges sous-jacents soient levés ou tranchés sur le fond.
- Il n’existe aucun droit automatique ou inconditionnel à la retenue de garantie accumulée. Lorsqu’il est allégué qu’un sous-traitant a causé des préjudices en raison de l’exécution insatisfaisante des travaux ou de malfaçons, celui-ci n’a pas droit aux fonds de retenue de garantie et doit prouver son droit au paiement.
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