L’Agence du revenu du Canada (ARC) a annoncé d’importantes modifications à sa politique sur le remboursement d’honoraires de sous-traitance versés à un non-résident pour des services rendus au Canada.
En effet, les honoraires versés à un fournisseur de services non résident peuvent comprendre un remboursement pour des coûts engagés par un sous-traitant canadien. Ces montants remboursés ne faisaient auparavant pas l’objet d’une retenue d’impôt. L’ARC a cependant revu sa position sur le sujet, ce qui pourrait entraîner des obligations et répercussions fiscales pour le client (la personne qui reçoit les services) comme pour le fournisseur de services non résident du Canada.
La politique actualisée de l’ARC s’appliquera aux paiements effectués après le 30 septembre 2024.
Contexte de la position de l’ARC
En vertu de l’alinéa 153(1)g) de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale et de l’article 105 du Règlement de l’impôt sur le revenu, les paiements effectués directement par un client à un sous-traitant non résident pour des services rendus au Canada sont assujettis à une retenue d’impôt de 15 %. Cette retenue prévue par l’article 105 du Règlement est admissible à un remboursement au fournisseur de services non résident si ce dernier peut démontrer qu’il n’exerce pas d’autres activités à partir d’un établissement situé de manière permanente au Canada (advenant qu’une convention fiscale existe) ou qu’il n’exerce pas d’autres activités au Canada (advenant que le fournisseur de services ne soit pas résident fiscal d’un pays ayant conclu une convention fiscale avec le Canada). À l’opposé, l’article 105 du Règlement ne prévoit pas de retenue d’impôt pour le paiement d’honoraires à un fournisseur de services résidant au Canada.
Une décision de la Cour canadienne de l’impôt concernant la Weyerhaueser Company a offert des éclaircissements sur la question de savoir si la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement s’applique au remboursement de débours engagés par un fournisseur de services non résident1. La Cour est arrivée aux conclusions suivantes :
- L’article 105 du Règlement s’applique seulement aux paiements de la nature d’un revenu gagné au Canada par le bénéficiaire non résident.
- Les honoraires payés pour des services rendus au Canada représentent un revenu gagné au Canada.
- Les montants payés à titre de remboursement des débours des entrepreneurs ne représentent pas un revenu gagné au Canada.
- Les montants payés à titre de remboursement pour le temps passé à venir au Canada ne représentent pas un revenu gagné au Canada. Les montants payés à titre de remboursement pour le temps passé à voyager au Canada ne représentent pas un revenu gagné au Canada.
- Sous réserve de toute incohérence interne ou d’éléments de preuve contradictoires, les factures sont adéquates lorsqu’il s’agit pour le client de s’acquitter de l’obligation d’établir la nature des paiements qu’il a effectués aux entrepreneurs non résidents, et la mesure dans laquelle les honoraires qu’il a payés se rapportaient à du travail exécuté au Canada.
À la suite de la décision judiciaire dans l’arrêt Weyerhaueser, l’ARC a publié sa nouvelle politique relative aux cotisations visant à clarifier l’application de la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement au remboursement de débours d’entrepreneurs non résidents2. Dans le cas où une facture envoyée par un entrepreneur non résident détaille les honoraires payés à un sous-traitant canadien pour des services rendus au Canada comme des débours, l’ARC prend la position que l’article 105 du Règlement ne s’applique pas aux montants remboursés par le client canadien à l’entrepreneur non résident si les remboursements se rapportent aux services fournis par le sous-traitant canadien. Le raisonnement est que les remboursements ne représentent pas un revenu gagné par l’entrepreneur non résident mais plutôt une compensation pour des débours effectifs.
La politique de l’ARC allège considérablement le fardeau administratif pour les clients canadiens comme pour les entrepreneurs non résidents. Si un entrepreneur non résident n’a pas fourni de services au Canada et n’a fait que coordonner la consignation des frais enregistrés comme des débours de sous-traitants canadiens :
- Le client canadien n’a pas à se préoccuper de la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement.
- L’entrepreneur non résident n’est pas soumis aux limites de montants inhérentes à l’article 105 du Règlement. Plus particulièrement, il ne doit pas déduire ou retrancher 15 % du montant total des honoraires et n’a pas à réclamer le remboursement de ce montant.
Nouvelle politique relative aux cotisations de l’ARC
Dans la mise à jour de sa politique relative aux cotisations3, l’ARC adopte la position que tous les montants versés à des entrepreneurs non résidents à titre de remboursement d’honoraires de sous-traitance pour des services rendus au Canada seront assujettis à la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement dès le 30 septembre 2024.
Commentaire de BLG
De notre point de vue, la nouvelle position de l’ARC ne semble pas refléter adéquatement la décision prise dans l’affaire Weyerhaueser, selon laquelle les honoraires payés au fournisseur de services non résident doivent avoir la nature d’un revenu gagné au Canada pour être assujettis à la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement. La nouvelle position de l’ARC semble indiquer que tous les remboursements d’honoraires de sous-traitance pour des services rendus au Canada comptent comme un revenu gagné au Canada par le bénéficiaire non résident – mais ce n’est pas nécessairement le cas.
Lorsque des débours consignés sur une facture reflètent les frais réellement engagés par un sous-traitant canadien et que l’entrepreneur non résident n’y ajoute pas de marge de profit ou de majoration, la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement ne devrait pas s’appliquer pour l’entrepreneur non résident. En effet, les débours engagés par l’entrepreneur non résident ne devraient pas être catégorisés comme ayant la nature de revenu gagné au Canada par un non-résident. L’obligation de retenue d’impôt ne devrait donc pas être imposée au fournisseur de services non résident qui ne fait que consigner les frais engagés par le sous-traitant résident et les facturer comme débours effectifs. Puisque l’ARC n’est pas du même avis, toute omission quant au recouvrement et au versement des montants retenus pourrait mener à une vérification et entraîner des paiements supplémentaires au titre de l’impôt et des pénalités.
Que cela signifie-t-il pour les consommateurs canadiens?
Si vous avez déjà fait appel à un entrepreneur non résident en tant que client canadien, et que la portion des services rendus au Canada devait être confiée à un sous-traitant résident, vous pourriez vous prévaloir des solutions suivantes :
- Retenir et remettre 15 % de tous les paiements – La retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement s’applique alors, même si des services sont rendus au Canada par un sous-traitant canadien et facturés comme des dépenses remboursables ou des débours. En gros, cela signifie que le montant total des frais payables à l’entrepreneur non résident est sujet à la retenue, même si une portion de ces frais concerne des services rendus à l’extérieur du Canada. Cette situation crée deux fardeaux administratifs. Premièrement, le client doit faire une demande pour obtenir un numéro d’identification auprès de l’ARC s’il n’en a pas déjà un. Deuxièmement, le fournisseur de services non résident doit planifier son flux de trésorerie en fonction de la retenue versée à l’ARC. Il ne devient admissible à un remboursement d’impôt qu’après la fin de son exercice financier, et le traitement du remboursement par l’ARC peut prendre beaucoup de temps.
- Restructurer le contrat de service comme un accord tripartite – Pour conclure un accord tripartite, l’entrepreneur non résident et le sous-traitant résident doivent tous les deux signer le contrat de service du client comme partie principale. Cela leur donne légalement le droit de recevoir des honoraires du client en échange de services. L’entente doit mentionner explicitement que l’entrepreneur non résident ne fournira des services qu’à partir de l’extérieur du Canada, et que cette portion des honoraires n’aura pas à faire l’objet d’une retenue en vertu de l’article 105 du Règlement. De même, l’accord tripartite doit préciser que seul le sous-traitant canadien fournira des services au Canada. Puisque le client est considéré dans ce cas comme faisant directement affaire avec un sous-traitant canadien, la retenue d’impôt ne doit pas s’appliquer aux honoraires payés à ce dernier.
- Demander à l’entrepreneur non résident de tenter d’obtenir une exonération – Actuellement, les fournisseurs de services non résidents qui n’auraient normalement pas d’impôts à payer sur leurs bénéfices déclarés au Canada peuvent demander une dispense de l’application de l’article 105 du Règlement. La retenue d’impôt de 15 % sur les honoraires cesse de s’appliquer lorsque la demande est traitée par l’ARC, mais dans l’intervalle, le client canadien doit continuer de la verser. Par conséquent, les entrepreneurs non résidents doivent déposer leur demande bien avant que des factures commencent à être envoyées au client.
- Conclure un contrat prévoyant la facturation séparée des honoraires payés pour des services rendus au Canada et hors du pays – Dans une telle situation, le contrat de service est signé seulement par l’entrepreneur non résident et le client. Cependant, le contrat et la facture afférente doivent préciser : i) la portion des honoraires facturés pour des services rendus à l’extérieur du Canada; ii) la portion des honoraires facturés pour des services rendus au Canada. Cela limite la portée de la retenue d’impôt prévue à l’article 105 du Règlement au montant payé pour des services rendus au Canada. Bien que cette solution ne serve pas à éviter complètement la retenue d’impôt, elle peut en atténuer les répercussions sur le flux de trésorerie de l’entrepreneur non résident.
Pour plus de détails sur l’article 105 du Règlement de l’impôt sur le revenu et l’incidence qu’il pourrait avoir sur votre entreprise, n’hésitez pas à communiquer avec l’auteur ou les autrices du présent article, ou avec le groupe Droit fiscal de BLG.