Quelle approche les personnes inscrites doivent-elles adopter à l’égard des nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l’écoblanchiment?
Les acteurs du secteur des valeurs mobilières sont très conscients des risques réglementaires et des attentes en matière de divulgation de renseignements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour les fonds d’investissement, alors que se poursuit l’interprétation et la mise en œuvre l’Avis 81-334 du personnel des ACVM (révisé), Information des fonds d’investissement au sujet des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (l’avis du personnel sur les facteurs ESG). Dans le contexte de l’évolution des attentes des investisseurs, des normes internationales d’information sur les facteurs ESG et de l’avis du personnel sur les facteurs ESG, les entreprises voudront également se familiariser avec les nouvelles dispositions visant les déclarations trompeuses sur les avantages environnementaux (écoblanchiment) introduites en juin par le projet de loi C-59, Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2023 (projet de loi C-59).
Les modifications apportées par le projet de loi C-59 à la Loi sur la concurrence permettent au commissaire de la concurrence d’imposer plus facilement des mesures coercitives relatives à l’écoblanchiment, et instaurent un droit d’action privé connexe.
Les gestionnaires de fonds d’investissement qui mettent de l’avant les facteurs ESG pour promouvoir leurs fonds sont déjà tenus de passer au crible leurs prospectus, leurs documents d’information continue et leurs communications publicitaires afin d’en garantir la conformité avec l’avis du personnel sur le sujet. Les nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence exigent que tous les types d’entreprises et de personnes inscrites effectuent le même type d’analyse critique de toutes leurs déclarations environnementales publiques, même celles qui ne sont pas considérées comme des communications publicitaires par les organismes de réglementation du commerce de valeurs mobilières.
Nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence relatives aux déclarations environnementales trompeuses
Les autorités de réglementation des valeurs mobilières utilisent le terme « écoblanchiment » pour désigner la pratique consistant, pour les gestionnaires de fonds, à formuler des déclarations exagérées ou trompeuses concernant les facteurs ESG dans le cadre du processus d’investissement. Si la Loi sur la concurrence limite la notion d’écoblanchiment aux aspects environnementaux et climatiques, elle l’étend néanmoins à toutes les entreprises, pas seulement aux acteurs des marchés financiers.
En effet, une entreprise a un comportement susceptible d’examen si elle promeut directement ou indirectement la fourniture ou l’utilisation d’un « produit » ou d’intérêts commerciaux en faisant publiquement une déclaration fausse ou trompeuse sur un point important. Le terme « produit » comprend les services de toute nature, tels que les services de gestion et de gestion de portefeuille, ainsi que les actes et instruments relatifs à un bien ou attestant d’un titre ou d’un droit sur un bien, tels qu’une participation dans un fonds d’investissement.
Le projet de loi C-59 introduit deux nouvelles formes de pratiques commerciales susceptibles d’examen en vertu de l’article 74.01(1) de la Loi sur la concurrence, afin de traiter précisément des déclarations environnementales trompeuses faites au public, qui peuvent toutes deux s’appliquer aux personnes inscrites et aux fonds d’investissement :
- Toute déclaration ou garantie visant les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée;
- Toute indication sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fonde pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale.
Ces changements donnent au commissaire davantage de moyens coercitifs contre l’écoblanchiment et, bientôt, les particuliers pourront également demander réparation en cas d’allégations environnementales trompeuses. Le commissaire était auparavant contraint de s’appuyer sur les dispositions générales de la Loi sur la concurrence relatives à la publicité trompeuse et prouver que les allégations environnementales étaient fondamentalement fausses ou trompeuses. Il incombera dorénavant à l’annonceur de prouver que les déclarations environnementales sont fondées sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés.
Droits privés d’action
Ces changements élargissent la portée de la Loi sur la concurrence et permettront aux parties privées, comme des activistes environnementaux, de porter plainte directement au Tribunal de la concurrence dès le 20 juin 2025.
« Éléments corroboratifs suffisants et appropriés »
Au fil des années, le commissaire a remis en question une kyrielle de déclarations sur les bienfaits écologiques de produits, et ce, dans de nombreux secteurs. La Loi sur la concurrence ne définit actuellement pas ce qui constitue des « éléments corroboratifs suffisants et appropriés », mais la jurisprudence et les lignes directrices en ce sens publiées par le Bureau de la concurrence indiquent clairement qu’il faut minutieusement examiner les déclarations avant de les rendre publiques et que les exigences entourant ce qui est considéré comme « suffisant » et « approprié » dépendent de la nature de la déclaration et de son interprétation générale. La manière dont les « avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise » peuvent être corroborés demeure à éclaircir.
Par ailleurs, la notion d’« éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale » n’est pas non plus définie dans la Loi sur la concurrence. En l’absence de jurisprudence ou de clarifications de la part du Bureau de la concurrence sur ce point, il est difficile de savoir comment le vaste éventail de méthodologies potentiellement contradictoires satisfera aux exigences de la Loi sur la concurrence. Dans la foulée de la sanction royale du projet de loi C-59 en juin dernier, pour lever toute ambiguïté sur l’interprétation des nouvelles dispositions, le Bureau de la concurrence s’est engagé à publier rapidement des lignes directrices et lancera une consultation pour recueillir l’avis des parties prenantes.
Quelle est l’incidence de ces changements législatifs considérables pour les personnes inscrites?
En plus d’alléger le travail du commissaire, le projet de loi C-59 prévoit que les parties privées, à compter du 20 juin 2025, pourront porter des plaintes pour écoblanchiment qui relèvent de l’intérêt public devant le Tribunal sans d’abord passer par le Bureau. Soulignons que ce nouveau droit d’action privé pourrait mener à un régime où les actions collectives sont certifiées de facto.
Le Tribunal de la concurrence peut imposer des sanctions administratives pécuniaires considérables, qui peuvent atteindre le plus élevé des montants suivants : 10 millions de dollars (15 millions de dollars en cas de récidive), trois fois la valeur de l’avantage tiré de la pratique trompeuse, ou jusqu’à 3 % des recettes brutes annuelles mondiales de la société contrevenante.
Points à retenir et considérations pratiques
À la lumière des nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence, les personnes inscrites doivent non seulement examiner, évaluer et corriger leurs prospectus, le matériel d’information continue et les communications publicitaires visant des fonds de manière à ce qu’ils respectent les pratiques optimales et les lignes directrices des ACVM, mais aussi évaluer toutes leurs déclarations environnementales publiques, qu’elles concernent ou non un fonds d’investissement.
Les entreprises doivent revoir leurs processus de communication marketing pour s’assurer que toutes les déclarations environnementales et climatiques sont véridiques et fondées sur des « éléments corroboratifs suffisants et appropriés ». Cette obligation pourrait nécessiter la mise en œuvre de nouvelles politiques et procédures.
Reste à savoir si les nouvelles dispositions de la Loi sur la concurrence auront un impact sur le secteur de la gestion d’actifs. Il est possible que des parties privées exploitent les possibilités d’arbitrage réglementaire pour intenter des actions pour écoblanchiment contre des fonds d’investissement ou des personnes inscrites. Par ailleurs, le fait que deux organismes gouvernementaux distincts sont habilités à trancher des dossiers de cette nature rend la situation encore plus complexe et risquée.
Dans le contexte actuel, il semble évident que l’évolution du cadre juridique et réglementaire canadien visant les déclarations liées aux facteurs ESG présente des complexités croissantes et des défis potentiels pour les personnes inscrites.