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Perspectives

Publicité trompeuse et écoblanchiment : projet de loi C-59 et modification de la Loi sur la concurrence

Le projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne qui a été déposé en 2023 et a reçu la sanction royale le 20 juin 2024 (le « projet de loi C-59 »), apporte des modifications importantes à la Loi sur la concurrence, y ajoutant des dispositions portant explicitement sur les déclarations environnementales trompeuses (ce que l’on appelle l’écoblanchiment). En effet, le fardeau de prouver que des déclarations environnementales ont véritablement été testées et qu’elles sont vérifiables incombe dorénavant à l’entité qui les fait.

Ces changements élargissent la portée de la Loi et permettront à des parties privées, comme des activistes environnementaux, de porter plainte directement au Tribunal de la concurrence (le « Tribunal ») dès la mi-2025.

Les entreprises doivent donc se montrer plus vigilantes que jamais et gagneraient à revoir leurs cadres et engagements publics se rapportant aux facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (« ESG ») pour s’assurer de respecter les nouvelles dispositions législatives.

Nouvelles dispositions relatives à l’écoblanchiment : renversement du fardeau de la preuve

En raison des lois fédérales et provinciales existantes, les entreprises risquent déjà d’être exposées à des litiges pour écoblanchiment. Le projet de loi C-59 accroît en plus la responsabilité de celles qui se livrent à cette pratique de deux manières. En premier lieu, il modifie l’article 74.01 de la Loi sur la concurrence pour cibler précisément :

  • toute déclaration ou garantie au sujet des avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fonde pas sur une épreuve suffisante et appropriée;
  • toute déclaration ou garantie au sujet des avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques si les indications ne se fondent pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale.

En deuxième lieu, le fardeau de prouver que ces déclarations ou garanties sont fondées et vérifiables repose maintenant sur les entreprises.

La tâche du commissaire de la concurrence (le « commissaire ») se voit par conséquent grandement facilitée puisque c’était auparavant à lui qu’il revenait de prouver, en se basant sur les dispositions générales de la Loi sur la concurrence, que des déclarations environnementales étaient fausses ou trompeuses.

« Éléments corroboratifs suffisants et appropriés »

Au fil des ans, le commissaire a remis en question de nombreuses déclarations sur les bienfaits écologiques de produits, et ce, dans une foule de secteurs. La Loi sur la concurrence ne définit actuellement pas ce qui constitue des « éléments corroboratifs suffisants et appropriés », mais la jurisprudence et les lignes directrices en ce sens publiées par le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») indiquent clairement qu’il faut tester les déclarations avant de les rendre publiques et que les exigences entourant ce qui est considéré comme « suffisant » et « approprié » dépendent de la nature de la déclaration et de son interprétation générale. La manière dont les « avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise » peuvent être testés demeure à éclaircir.

Ce qu’on entend par « éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale » n’est pas non plus défini dans la Loi sur la concurrence, et pour l’instant la jurisprudence n’offre pas de réponse. Selon le Bureau, les exigences à ce chapitre sont toujours en cours d’examen et des lignes directrices seront publiées à terme.

Quelle est l’incidence de ces modifications législatives pour les entreprises canadiennes?

En plus d’alléger le travail du commissaire, le projet de loi C-59 prévoit que les parties privées, à compter du 20 juin 2025, pourront porter des plaintes pour écoblanchiment qui relèvent de l’intérêt public devant le Tribunal sans d’abord passer par le Bureau. Soulignons que ce nouveau droit d’action privé pourrait mener à un régime où les actions collectives sont certifiées de facto.

Chose certaine, le projet de loi C-59 ne fait pas l’unanimité. Pathways Alliance, consortium composé des plus grands producteurs de sables bitumineux au Canada, a retiré du contenu de son site Web, de ses réseaux sociaux et d’autres plateformes, puis manifesté son mécontentement quant à l’incertitude que créent les modifications législatives pour les organisations canadiennes qui veulent faire connaître leurs efforts pour protéger l’environnement et atténuer les effets des changements climatiques. La Canadian Association of Petroleum Producers (la « CAPP ») s’est elle aussi prononcée contre les risques importants auxquels sont exposées les entreprises canadiennes qui veulent communiquer publiquement ce qu’elles font pour réduire leur impact sur l’environnement. En réponse aux demandes à ce propos d’organisations comme la CAPP, le Bureau a annoncé qu’il « élaborera des orientations de manière accélérée, en consultation avec un large éventail de parties prenantes », et qu’il lancerait bientôt une consultation publique afin de recueillir des commentaires.

Dispositions générales de la Loi sur la concurrence sur les déclarations fausses ou trompeuses

Au cours des dernières années, un grand nombre d’entreprises se sont retrouvées sur la sellette en raison d’allégations d’écoblanchiment. Les publicités et déclarations environnementales fausses ou trompeuses faisaient déjà l’objet de dispositions générales de la Loi sur la concurrence et d’autres lois provinciales sur la protection du consommateur, mais le projet de loi C-59 les ciblent plus explicitement.

Aux termes de l’article 52 de la Loi sur la concurrence, commet une infraction quiconque donne, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses au public sur un point important afin de promouvoir des intérêts commerciaux. Sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, le tribunal peut imposer l’amende qu’il juge indiquée, un emprisonnement maximal de 14 ans, ou les deux.

Des conséquences civiles sont également prévues à l’article 74.01; elles diffèrent toutefois des dispositions criminelles de l’article 52 en n’exigeant pas que la personne ait agi sciemment ou sans se soucier des conséquences, et en n’exigeant pas des preuves hors de tout doute raisonnable. En effet, le commissaire a simplement à établir qu’il y a eu une inconduite selon la prépondérance des probabilités.

En vertu des deux articles susmentionnés, il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a été trompée ou induite en erreur.

Pour déterminer si des indications sont fausses ou trompeuses, l’instance compétente doit tenir compte de l’impression générale qu’elles donnent ainsi que de leur sens littéral, et ce, du point de vue d’un acheteur ordinaire pressé. Dans le contexte de l’écoblanchiment, on peut considérer qu’une déclaration véhicule une impression générale fausse ou trompeuse si les consommateurs sont amenés à croire qu’un produit est écologique alors qu’il est en fait néfaste pour l’environnement.

Le commissaire peut demander un recours administratif pour violation de l’article 74.01 au Tribunal, à la Cour fédérale ou à la cour supérieure provinciale compétente. Cela peut se solder par une ordonnance de cesser d’adopter le comportement problématique ou de publier un avis correctif, ou, dans le cas d’une entreprise, par une sanction administrative pécuniaire pouvant atteindre le plus élevé des montants suivants : a) 10 M$ (et 15 M$ pour chaque violation subséquente); b) 3 fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.

Dans certaines circonstances, le commissaire et la personne dont le comportement fait l’objet d’un examen en vertu de l’article 74.01 peuvent signer un consentement, lequel comporte généralement des modalités visant à ce que la personne mette fin au comportement en question, publie un avis correctif et paie une sanction administrative pécuniaire.

Plaintes et enquêtes

L’article 9 de la Loi sur la concurrence stipule que tout groupe de6 personnes résidant au Canada et âgées d’au moins 18 ans peut demander au commissaire d’enquêter sur des déclarations commerciales; ce dernier procédera à un examen à sa discrétion ou sur demande du ministre de l’Industrie.

Les pouvoirs du commissaire sont vastes dans le cadre d’une telle enquête : il peut demander des ordonnances exigeant une déposition orale ou une déclaration écrite, des ordonnances de préservation ou de communication, et même des mandats de perquisition.

À n’importe quelle étape de son enquête (ou au lieu d’en mener une), le commissaire peut remettre le dossier au procureur général du Canada, qui décidera ensuite s’il intente des procédures criminelles en vertu de la Loi sur la concurrence.

La nouvelle mouture de la Loi sur la concurrence proposée dans le projet de loi C-59 comprend des dispositions permettant aux parties privées de prendre des mesures coercitives en ce qui concerne l’écoblanchiment. Si la demande d’autorisation d’une partie privée est accueillie par le Tribunal, cette dernière peut demander qu’une injonction provisoire, une ordonnance définitive ou une sanction administrative pécuniaire soient prononcées contre une entreprise. La partie privée et l’entreprise peuvent aussi signer un consentement, mais le commissaire peut demander au Tribunal que celui-ci soit modifié ou annulé.

Droit d’action privé et allégations d’écoblanchiment

Comme mentionné précédemment, les parties privées pourront à compter du 20 juin 2025 prendre les choses en main pour ce qui est d’intenter des poursuites pour des déclarations environnementales douteuses. Il faudra bien sûr qu’elles démontrent qu’il s’agit d’une question d’intérêt public, mais elles n’auront plus à s’en remettre au Bureau pour alléguer l’écoblanchiment devant le Tribunal.

Tendances dans les allégations d’écoblanchiment

Il était déjà possible d’invoquer la Loi sur la concurrence pour alléguer l’écoblanchiment avant l’adoption du projet de loi C-59, mais les nouvelles dispositions législatives entraîneront assurément une surveillance accrue des entreprises canadiennes par les activistes environnementaux, de même qu’une augmentation des litiges.

Par exemple : le 8 février 2024, l’organisme Stand Environmental Society (« Stand.earth ») a demandé au Bureau d’enquêter sur le comportement de Lululemon, ciblant particulièrement la campagne de marketing « Be Planet » dans laquelle la multinationale met de l’avant son utilisation de tissus recyclés et ses efforts de décarbonisation.

La plainte cite divers arguments de tiers au sujet de l’incidence environnementale des produits de l’entreprise de même que le rapport d’impact de 2022 de celle-ci; ce dernier sert d’ailleurs de référence pour souligner que les émissions de portée 3 du géant de vêtements de sport ont plus que doublé depuis 2020 (ce type d’émissions indirectes en amont et en aval découlent de la chaîne de valeur).

Stand.earth a demandé au commissaire d’obtenir une ordonnance en vertu de l’article 74.1 de la Loi sur la concurrence exigeant ce qui suit de Lululemon :

  • Le retrait de la campagne « Be Planet » de son site Web et de toute autre communication accessible au public.
  • La présentation d’excuses formelles à sa clientèle canadienne.
  • Le paiement d’une sanction administrative pécuniaire équivalant à 3 % de ses revenus bruts annuels à l’échelle mondiale, versée au nom du Fonds pour dommages à l’environnement à une organisation se consacrant à l’atténuation des effets des changements climatiques.

Le Bureau a confirmé qu’il avait ouvert une enquête, mais aucune décision quant aux sanctions ou aux mesures prescrites n’a été rendue jusqu’à maintenant1.

D’autres plaintes similaires ont été déposées au Bureau ces dernières années par des groupes environnementalistes.

Le 6 janvier 2022, Keurig a notamment conclu une entente avec le Bureau pour résoudre des préoccupations au sujet de déclarations faites aux consommateurs sur la recyclabilité de ses capsules à usage unique. L’entreprise a accepté de payer une amende de 3 M$, de donner 800 000 $ à un organisme de bienfaisance voué à des causes environnementales, de verser 85 000 $ au Bureau pour ses frais engagés, de modifier ses déclarations et ses emballages, de publier des avis correctifs et d’améliorer son programme de conformité. L’organisation est en outre visée par des actions collectives en Colombie-Britannique, en Ontario et devant la Cour fédérale alléguant des pratiques de marketing trompeuses touchant ses capsules.

RBC fait également l’objet d’une enquête depuis octobre 2022 à la suite de plaintes de citoyens et citoyennes au sujet de la contradiction entre ses prétendues initiatives axées sur le climat et son financement de l’exploitation des combustibles fossiles. En février 2023, le Bureau a aussi ouvert une enquête sur la Sustainable Forestry Initiative, système de certification de premier plan en Amérique du Nord en matière d’exploitation forestière durable, après que Greenpeace ait déposé une plainte mettant en doute les déclarations de l’organisme au sujet de ses protocoles.

Ce n’est pas qu’au Canada que l’étau se resserre autour de l’écoblanchiment : aux Pays-Bas, entre autres, un groupe environnemental a porté plainte contre la Royal Aviation Company (« KLM »), alléguant qu’elle induisait ses consommateurs en erreur en affirmant qu’elle utilisait du carburant durable et contribuait à des efforts de reforestation. La Cour de district d’Amsterdam a jugé que plusieurs des déclarations de KLM étaient trompeuses et contrevenaient à la législation néerlandaise sur les pratiques commerciales indues et a condamné la compagnie aérienne aux dépens.

Lois provinciales sur l’écoblanchiment

Outre le cadre de la Loi sur la concurrence, la législation provinciale peut aussi servir à agir contre l’écoblanchiment. Mentionnons notamment une récente poursuite pour marketing trompeur intentée contre trois entités de Fortis par Stand.earth et deux résidents de la Colombie-Britannique en vertu de l’article 5 de la Business Practices and Consumer Protection Act.

Au cœur du litige sont des déclarations au sujet de l’abordabilité et des bienfaits pour le climat du gaz naturel.

Fortis aurait menti quant à la provenance du gaz naturel offert à sa clientèle et aux effets dommageables de cette source d’énergie sur l’environnement, en plus de prétendre à tort que les dérivés du gaz coûtent moins cher que les thermopompes électriques. Selon les demandeurs, l’utilisation de gaz naturel, y compris de gaz naturel renouvelable, ne cadre pas avec les cibles provinciales en matière d’atténuation des changements climatiques et les déclarations de Fortis sont fausses et trompeuses.

La plainte ne vise pas à exiger des dommages-intérêts, mais plutôt à créer un précédent à l’échelle mondiale. Trois mesures correctives sont demandées : une déclaration de Fortis admettant qu’elle s’est livrée à des actions ou des pratiques commerciales trompeuses, une injonction interdisant à la société de faire d’autres déclarations de ce genre à propos de ses produits et services, et une ordonnance l’obligeant à publier des rectificatifs.

Points à retenir et considérations pratiques

Le renversement du fardeau de la preuve, l’ambiguïté des expressions « avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise » et « éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale », de même que le risque de litige accru lié au droit privé d’action nouvellement introduit par le projet de loi C-59 font en sorte que les entreprises doivent redoubler de vigilance en ce qui a trait aux indications qu’elles donnent.

Elles doivent faire preuve d’esprit critique pour répondre à la demande des consommateurs en matière d’action environnementale sans faire de déclarations qui pourraient se retourner contre elles. Les allégations d’écoblanchiment sont de plus en plus courantes – et plus complexes que jamais. Par ailleurs, même si une plainte ne donne pas lieu à une sanction, elle s’accompagne tout de même de grands risques réputationnels et de coûts.

Pour plus de renseignements sur la gestion des risques liés aux allégations d’écoblanchiment, communiquez avec les auteurs et autrices du présent article ou l’une des personnes-ressources ci-dessous.

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