Le 24 octobre 2023, la Cour d’appel fédérale (CAF) a rendu sa décision dans l’affaire Northbridge Commercial Insurance Corporation v His Majesty the King (2023 CAF 211), accueillant l’appel d’un contribuable qui contestait de nouvelles cotisations imposées par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).
La CAF a infirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), laquelle rejetait l’appel du contribuable et, ce faisant, a donné droit aux crédits de taxe sur les intrants (CTI) pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) relativement aux frais d’administration de certaines polices d’assurance émises par le contribuable. Plus précisément, la CAF a déterminé que les « risques » couverts par les polices étaient des accidents ou des sinistres assurables habituellement situés à l’étranger et donc considérés comme une fourniture détaxée de services financiers en vertu de l’Annexe VI, Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise. Cette décision vient lever l’incertitude qui existait depuis longtemps relativement à l’interprétation de la Loi.
Ce qu’il faut savoir
- Une police d’assurance qui couvre des risques habituellement situés à l’étranger peut être une fourniture détaxée, ce qui signifie que la TPS/TVH appliquée sur ses primes est de 0 % et que l’assureur est autorisé à demander des CTI sur ses dépenses connexes.
- Aux fins de la TPS/TVH, la définition de « risques » doit être interprétée du point de vue de l’assureur et non de l’assuré. Ces risques comprennent les réclamations qui peuvent découler d’un accident ou d’un sinistre assurable en vertu d’une police d’assurance.
- L’étendue géographique de la couverture et le lieu de survenance d’un accident ou d’un sinistre assurable détermineront si les risques sont habituellement situés à l’étranger.
- Les assureurs devraient analyser leurs polices, la couverture géographique ainsi que la méthode qu’ils emploient pour déterminer les CTI auxquels ils sont admissibles. Ils doivent également conserver toute documentation pertinente en cas de contestation de l’ARC. Cette décision pourrait permettre de bénéficier de CTI qui étaient jusqu’à présent inaccessibles.
Northbridge Commercial Insurance Corporation (Northbridge ou le Contribuable) est un fournisseur d’assurance agréé qui émet des polices d’assurance, y compris sur la flotte automobile à des sociétés de camionnage commercial. En l’espèce, les polices en cause prévoyaient une couverture pour les accidents et autres sinistres assurables liés aux activités de camionnage menées au Canada et aux États-Unis.
Aux fins d’une demande de CTI, Northbridge avait qualifié les polices d’assurance de fourniture détaxée de services financiers aux termes de la Loi sur la taxe d’accise (voir l’Annexe VI, Partie IX, par 2 d)), dans la mesure où elles se rapportaient à des risques habituellement situés à l’étranger. Pour ce faire, Northbridge avait réparti et demandé des CTI sur une base proportionnelle pour les frais reliés à son siège social et ses frais généraux.
Northbridge a par la suite fait l’objet d’une nouvelle demande de cotisation de l’ARC pour la période de référence comprise entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2016 et s’est vu refuser les CTI. L’ARC considérait que les polices étaient une fourniture exonérée (plutôt que détaxée) de services financiers aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, ce qui empêchait Northbridge de demander les CTI visés.
Northbridge a fait appel de cette décision à la CCI.
Cour canadienne de l’impôt
La principale question soumise à la CCI était de déterminer si les « risques », tels que définis au paragraphe 2 d) de l’Annexe VI de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, visent : (a) l’objet de la police d’assurance; (b) les risques couverts par la police d’assurance; ou (c) la probabilité de survenance d’un risque couvert par la police.
En se livrant à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, la CCI a rejeté l’appel de Northbridge, et conclu que les risques désignaient l’« objet » d’une police d’assurance. Dans le cas de Northbridge, l’objet était la flotte de camions assurée en vertu des polices. Aux fins de déterminer la portée des fournitures détaxées, la CCI explique que la répartition d’une fourniture aux termes du paragraphe 2 (d) doit se faire « un objet à la fois ».
En d’autres mots, Northbridge devait procéder à une répartition distincte pour chacune des polices, un véhicule à la fois. Puisque Northbridge n’avait pas présenté de police individuelle en guise de preuve, la CCI a déclaré qu’elle n’était pas en mesure de déterminer si une partie des polices était détaxée en vertu de la Loi sur la taxe d’accise.
Northbridge a fait appel de la décision devant la CAF.
Cour d’appel fédérale
La Cour d’appel fédérale a infirmé le jugement rendu par la CCI et a ordonné à la CCI de déterminer le montant de CTI auquel Northbridge avait droit pour les périodes de référence en litige.
Interprétation des « risques »
Pour les lois qui sont rédigées de façon aussi détaillée que la Loi sur la taxe d’accise, la jurisprudence veut que les termes spécifiques aient le sens qui leur est attribué dans un secteur d’activités donné. En conséquence, la CAF affirme que le « risque » doit être interprété du point de vue des compagnies d’assurance, notamment parce que la disposition applicable de la Loi sur la taxe d’accise est expressément limitée aux institutions financières qui émettent des polices d’assurance.
La CAF affirme également que l’indemnisation contre le risque de perte, de dommages ou de responsabilité est un élément fondamental des polices d’assurance. Pour Northbridge, les camions assurés en vertu des polices ne constituaient pas le risque; le risque relevait plutôt du fait que les camions puissent être impliqués dans un accident ou dans un événement assurable qui pourrait donner lieu à une réclamation de la part des entreprises assurées par Northbridge.
« Risques » habituellement situés à l’étranger
La CAF a rejeté la thèse de la CCI voulant qu’un risque couvert par une police d’assurance soit généralement « universel », puisqu’il devient ainsi impossible de déterminer le lieu où ce risque est habituellement situé. Le fait que les risques soient limités à ceux « habituellement situés à l’étranger » ne modifie pas le sens fondamental du terme « risques ». La CAF affirme plutôt que selon le paragraphe 2 d), les accidents et les sinistres assurables se produisent inévitablement dans un lieu précis, que ce lieu se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de l’étendue géographique couverte. Dans le cas de Northbridge, l’étendue géographique des polices se limitait au Canada et aux États-Unis.
Par conséquent, la CAF a conclu que les polices se rapportaient en partie à des accidents ou à des sinistres assurables habituellement situés à l’étranger et qui pouvaient donner lieu à des réclamations à l’étranger, ces parties des polices étant admissibles à titre de fourniture détaxée aux fins de la TPS/TVH.
La CAF a également précisé que la mesure dans laquelle les polices se rapportaient à des risques habituellement situés à l’étranger devait être déterminée en fonction de la probabilité qu’un accident survienne aux États-Unis et de la perte potentielle occasionnée par un tel accident.
Points à retenir
La décision de la CAF dans l’affaire Northbridgepermet delever l’incertitude qui existait depuis longtemps relativement à l’interprétation de la Loi sur la taxe d’accise pour les polices d’assurance qui couvrent les risques habituellement situés à l’étranger. Cette décision établit également des balises qui permettent de distinguer les polices exemptées des polices détaxées. Cette mise au point devrait être accueillie favorablement par les assureurs canadiens qui émettent des polices offrant une couverture pour les sinistres assurables à l’étranger.
Suivant cette décision, les assureurs devraient revoir la méthode qu’ils utilisent pour établir les CTI. Ils devraient dorénavant savoir que cette analyse ne doit pas être faite au cas par cas; les polices doivent plutôt être prises dans leur ensemble. Les assureurs devraient également identifier et conserver la documentation pertinente en lien avec l’octroi de CTI en cas de contestation ou de refus de l’ARC.
Pour toute question concernant la décision de la CAF et son incidence sur la demande de CTI prévue à la Loi sur la taxe d’accise, nous vous invitons à communiquer avec les auteurs de cet article ou avec un membre de notre groupe Fiscalité des entreprises.