En août 2023, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont annoncé qu’elles allaient procéder d’ici la fin de l’année à l’examen des fonds négociés en bourse (« FNB ») pour déterminer si leur cadre réglementaire demeure adéquat ou s’il faut le resserrer, possiblement au moyen de consultations et de changements réglementaires; pour y parvenir, elles s’intéresseront à l’incidence des lois actuelles sur les caractéristiques propres aux FNB, notamment pour ce qui suit :
- les opérations effectuées sur le marché secondaire;
- les mécanismes de création et de rachat de parts de FNB par les courtiers autorisés et le rôle de ces derniers;
- le processus d’arbitrage qui sert à maintenir le cours d’un FNB à un niveau se rapprochant de la valeur sous-jacente de son portefeuille.
Nous explorerons ici les pratiques optimales et les recommandations internationales qui s’appliquent à la sphère des FNB, à la lumière de la connaissance qu’a BLG de ce secteur, afin de mettre en relief les points sur lesquels les ACVM pourraient souhaiter se pencher lors de leur examen.
Les FNB sont devenus un important instrument de placement puisqu’ils offrent aux investisseurs une liquidité intrajournalière sur le marché secondaire et qu’ils sont exposés à un vaste éventail d’actifs sous-jacents et de stratégies de placement. C’est au Canada qu’a été créé le tout premier FNB au monde il y a plus de trois décennies; depuis, ce type de fonds a rapidement gagné en popularité auprès des investisseurs et s’est grandement diversifié. Aujourd’hui, les FNB représentent environ 15 % des fonds d’investissement faisant appel public à l’épargne au Canada sur le plan des actifs détenus1; selon les ACVM, cette croissance devrait se poursuivre, et un cadre réglementaire approprié devrait favoriser la concurrence et donner plus de choix aux investisseurs.
Les ACVM se pencheront aussi sur les pratiques optimales dont il est question dans le rapport qu’a publié l’Organisation internationale des commissions de valeurs (l’« OICV ») en mai 2023, intitulé Good Practices Relating to the Implementation of the IOSCO Principles for Exchange Traded Funds (le « rapport sur les pratiques optimales »), pour déterminer si elles conviennent au marché canadien. Le rapport regroupe onze mesures ébauchées de façon à correspondre aux Principles for the Regulation of Exchange Traded Funds, publiés par l’OICV en 2013, que devraient prendre en considération les organismes de réglementation, les promoteurs de FNB et les plateformes de négociation. L’OICV encourage ces entités à examiner et à adopter ces pratiques, comme approprié, selon leurs cadres réglementaires respectifs.
Les mesures proposées par l’OICV pourraient éclairer les acteurs du secteur des FNB quant aux enjeux que les ACVM pourraient examiner et aux aspects qui pourraient être réglementés. Elles sont regroupées en quatre principales catégories, comme suit.
1. Structuration efficace des produits
Mesure 1 – Gamme de catégories d’actifs et de stratégies de placement : L’OICV encourage les organismes de réglementation et les entités responsables à considérer l’éventail de catégories d’actifs et les stratégies de placement qui pourraient être adaptées à la structure des FNB. Si elle reconnaît que dans la plupart des territoires, les actifs et les stratégies propres aux FNB seront similaires à ceux des fonds non cotés, elle encourage toutefois les organismes de réglementation à vérifier si une catégorie d’actifs ou une stratégie de placement précise est appropriée. Il nous semble peu probable que les ACVM interdisent carrément qu’une catégorie d’actifs en particulier soit structurée en FNB au Canada. L’OICV a indiqué que dans certains pays, des exigences imposent aux fournisseurs de produits de divulguer leur marché cible et de prendre les intérêts des investisseurs en considération lors de la structuration de leurs produits. Bien que la loi canadienne ne comprenne pas de telles mesures, la décision dans l’affaire Wright v. Horizons ETFS Management (Canada) Inc. illustre la mesure dans laquelle la convenance du fonds à certains investisseurs s’inscrit dans le devoir de diligence du gestionnaire du fonds, et que les règles liées à l’obligation de connaissance du produit prévues par le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites, qui visent les distributeurs, exigent des gestionnaires qu’ils conçoivent des produits convenables pour les investisseurs.
Mesure 2 – Transparence du portefeuille : L’OICV encourage les organismes de réglementation à réfléchir aux exigences relatives à la transparence applicables au portefeuille d’un FNB pouvant assurer un arbitrage efficace. Selon l’organisation, la pleine transparence quotidienne rend les mécanismes d’arbitrage plus efficaces, ce qui entraîne la réduction de la vente à prime/à escompte et des écarts plus ténus, en plus d’augmenter la liquidité du FNB. Toujours selon l’organisation, certains pays exigent des divulgations quotidiennes relativement aux portefeuilles et rendent l’information accessible à l’ensemble des investisseurs d’un FNB et des acteurs du marché. Au Canada, les divulgations tendent à être différées. Les états financiers qui sont produits deux fois par année doivent inclure la totalité des avoirs en portefeuille, tandis que les états trimestriels doivent présenter les 25 principaux placements. Il est permis de divulguer pleinement le panier de titres aux teneurs de marché en premier, avant le public. Dans le cas des pays où les obligations de divulgation sont différées, l’OICV encourage les organismes de réglementation à se demander s’il serait avisé de demander des divulgations supplémentaires plus rapprochées pour favoriser un arbitrage efficace. Au Canada, d’ailleurs, bien qu’ils ne soient pas tenus de le faire, les FNB liés à un indice choisissent pour la plupart de divulguer chaque jour au public leurs avoirs en portefeuille. Toutefois, pour les FNB à gestion active, les renseignements au sujet de ces avoirs peuvent avoir une incidence sur les activités de courtage et ne sont généralement que fournis aux teneurs de marché sur une base confidentielle. Il sera intéressant de voir l’avis des ACVM relativement aux exigences actuelles de divulgation des avoirs en portefeuille par rapport à l’efficacité des mécanismes d’arbitrage au Canada, et si elles jugeront qu’une plus grande transparence s’impose.
Mesure 3 – valeur liquidative intrajournalière (iNAV) : Là où il est obligatoire de fournir la valeur liquidative intrajournalière (soit une évaluation de la valeur de l’actif net en temps réel tout au long de la journée), on encourage les organismes de réglementation et les plateformes de négociation à réfléchir à ce qui pourrait augmenter la précision et l’utilité de cette mesure, qui n’est pas encore exigée au Canada mais dont l’utilité sera probablement examinée par les ACVM.
Mesure 4 – Contrôle diligent relativement aux courtiers et négociants désignés : Les fournisseurs de FNB sont encouragés à effectuer d’emblée – puis sur une base régulière – le contrôle diligent des courtiers et des négociants désignés, et à éviter de conclure avec eux des ententes exclusives pouvant se répercuter indûment sur l’efficacité des mécanismes d’arbitrage. L’OICV fournit un guide indiquant ce qui devrait être abordé lors d’un processus de contrôle diligent, notamment l’examen des finances, de la structure de propriété et de l’historique relatif à la réglementation, la vérification des capacités liées à la gestion des stocks et aux opérations de couverture, et l’évaluation de la possibilité pour les courtiers et les teneurs de marché de soutenir les mécanismes d’arbitrage et d’assurer la liquidité, que le cours du marché soit normal ou qu’il s’y exerce des tensions. Ce guide sera utile aux fournisseurs de FNB qui cherchent à consolider leur programme de contrôle diligent en lien avec leur sélection de courtiers et de négociants désignés.
Mesure 5 – Ententes pour faciliter l’arbitrage : Les fournisseurs de FNB sont encouragés à mettre sur pied des ententes appropriées pour favoriser les mécanismes d’arbitrage. L’OICV fournit des exemples de pratiques à suivre à cet effet; bon nombre d’entre elles visent à faire en sorte que chaque FNB dispose d’un grand nombre de courtiers capables de faciliter les opérations de création et de rachat, et à promouvoir la concurrence entre ces courtiers. L’OICV insiste également sur l’importance de la transparence des portefeuilles et encourage les fournisseurs de FNB à instaurer des mesures en ce sens, même si la loi ne les y contraint pas.
Mesure 6 – Gestion des conflits : L’OICV encourage les organismes de réglementation à évaluer si les lois sur les valeurs mobilières et les exigences des bourses traitent adéquatement des enjeux de conflits d’intérêts, tout particulièrement ceux qui peuvent découler de l’affiliation d’un FNB et de courtiers et de négociants désignés, de fournisseurs d’indice et de contreparties. Par exemple, selon l’OICV, il est possible que des courtiers et négociants désignés exercent une influence indue sur des gestionnaires d’entités affiliées, notamment pour forcer la création de paniers de titres qui favorisent les courtiers, au détriment des FNB. Comme les ACVM étudient la question des conflits d’intérêts, nous nous attendons à ce qu’elles se prononcent sur le potentiel de conflit de ces affiliations. Les gestionnaires de FNB devraient se pencher sur leurs rapports avec leurs fournisseurs de services et sur les mesures mises en place pour traiter de possibles conflits, comme présenter un dossier en la matière au CEI, conformément au Règlement 81-107 sur le comité d’examen indépendant des fonds d’investissement.
2. Divulgation
Mesures 7, 8 et 9 : L’OICV encourage les organismes de réglementation à réfléchir aux exigences qui permettraient d’assurer le caractère adéquat et suffisant des divulgations relatives aux caractéristiques propres aux placements dans des FNB, ainsi qu’aux frais et aux dépenses occasionnés par le fait d’investir dans ce type de fonds. Elle leur recommande également de réfléchir aux divulgations qui permettraient aux investisseurs de distinguer les FNB des fonds non cotés. Nous constatons que les ACVM ont déjà tenu compte des enjeux touchant les divulgations liées aux FNB en rédigeant l’aperçu du FNB. Dans cet aperçu, qui doit être écrit dans un langage simple et accessible, les FNB sont tenus de consacrer une section à la description des opérations du fonds et d’expliquer, entre autres, l’écart acheteur-vendeur et la différence entre le cours du marché et la valeur liquidative du fonds. Les FNB doivent également divulguer des informations sur les opérations et l’établissement des prix afin d’aider les investisseurs à comprendre les questions de liquidité et les coûts associés au fait d’investir dans un tel fonds. Toutefois, l’OICV souligne que certains pays comme les États-Unis exigent que ce type de renseignements soit diffusé plus fréquemment, par exemple en communiquant quotidiennement le cours du marché et les primes ou escomptes par rapport à la valeur liquidative avant la clôture des opérations. Il sera intéressant de voir si les ACVM estiment que les divulgations demandées au Canada sont suffisantes ou si leur fréquence devrait être augmentée.
3. Liquidité
Mesure 10 : Les organismes de réglementation et les plateformes de négociation sont encouragés à surveiller les opérations effectuées sur le marché secondaire et les activités des teneurs de marché et à se doter de règles applicables à la juste négociation de parts de FNB. Selon l’OICV, la fragmentation des plateformes de négociation nuit à la quantification exacte de la liquidité d’un FNB. L’organisation recommande la mise en place de plans d’urgence, au cas où un teneur de marché se retirerait du marché. Les bourses tout autant que les fournisseurs de FNB du Canada surveilleront attentivement les recommandations des ACVM à ce sujet.
4. Mécanismes de contrôle de la volatilité
Mesure 11 : Les organismes de réglementation et les plateformes de négociation sont encouragés à mettre au point des mécanismes adéquats de contrôle de la volatilité. Au Canada, ces mécanismes sont déclenchés lorsque les prix négociés dépassent certains seuils en fonction des données historiques sur les opérations effectuées sur le marché secondaire, tandis que dans d’autres pays, ils ont pour rôle de limiter l’écart du prix du FNB par rapport à la valeur liquidative intrajournalière. Il sera intéressant de voir si les ACVM estiment que les contrôles de volatilité au pays sont problématiques, et s’il est nécessaire d’instaurer des règles qui réduiront l’écart entre le prix du marché et la valeur liquidative.
Autre point à l’examen
Bien que le rapport sur les pratiques optimales ne fasse pas expressément mention de ce point, les ACVM devront clarifier comment les recours statutaires en vertu des lois canadiennes sur les valeurs mobilières s’appliquent aux investisseurs qui achètent des parts de FNB sur une bourse. Cette question a été soulevée lors de l’affaire Wright v. Horizons ETFS Management (Canada) Inc., au cours de laquellele juge Perell s’est dit d’avis que la réglementation actuelle en matière de FNB place la distribution de ces fonds dans une position problématique et incertaine, et que la résolution de cette question pourrait reposer sur des initiatives législatives. Les ACVM sont au courant de cet enjeu; nous pensons qu’elles pourraient profiter de l’occasion pour préciser que toutes les personnes qui achètent des parts de FNB détiendront des droits en matière de responsabilité civile sur le marché secondaire.
À quoi s’attendre
Les ACVM n’en sont qu’au début de leur examen, qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de 2023. Nous ne pouvons dire avec certitude s’il entraînera des changements de réglementation, mais nous croyons que les ACVM s’y prononceront sur la santé de la sphère des FNB au pays et sur les façons dont ce marché en croissance soutient ses investisseurs.
Pour toute question concernant l’examen effectué par les ACVM et son incidence potentielle sur votre entreprise et vos activités, veuillez contacter les autrices ou auteurs de cet article ou le service mentionné ci-dessous.
Cet article a été rédigé avec l’aide de Griffin Murphy, stagiaire chez BLG.
1 OSC Staff Notice 81-733 Summary Report for Investment Fund and Structured Product Issuers (19 octobre 2022).