Le projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 (le « projet de loi C-47 ;»), a reçu la sanction royale le 22 juin 2023. Il propose d’élargir considérablement les règles relatives aux « opérations à déclarer » et d’introduire une nouvelle catégorie d’« opérations à signaler ».
En vertu de cette nouvelle loi, une déclaration de renseignements concernant une opération à déclarer devra être présentée à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») au plus tard le jour suivant la période de 90 jours après la première de ces deux dates : le jour où la personne en question a l’obligation contractuelle de conclure l’opération à déclarer ou le jour où cette personne conclut l’opération à déclarer. Ces règles visent à faire en sorte que l’ARC dispose de l’information nécessaire pour composer avec les risques fiscaux, mais elles créeront également un fardeau important pour les contribuables, les promoteurs et les conseillers en ce qui concerne leurs obligations administratives, d’analyse et de déclaration.
Opérations à déclarer
Les obligations de déclaration touchent les opérations dites « à déclarer ». Cette catégorisation dépend de deux éléments : 1) il doit y avoir une « opération d’évitement »; 2) l’opération doit présenter l’un de trois marqueurs précis (qui seront décrits plus en détail ci-après), à savoir :
- des ententes d’honoraires conditionnels;
- un droit à la confidentialité;
- une protection contractuelle.
Une « opération d’évitement » est considérée comme telle s’il est raisonnable de considérer que l’un des principaux objets de celle-ci, ou de la série d’opérations dont elle fait partie, est l’obtention d’un avantage fiscal. La définition de ce qui constitue un « avantage fiscal » est assez large; on y englobe la réduction, l’évitement ou le report d’impôt de même que l’augmentation d’un remboursement d’impôt et la création ou la préservation d’un compte pouvant être utilisé ultérieurement.
Pour l’application des nouvelles règles, « conseiller » s’entend de toute personne qui a fourni de l’assistance ou des conseils relativement à une opération. En outre, le terme « promoteur » fait référence à toute personne qui fait la promotion ou la vente d’un arrangement, d’un régime ou d’un mécanisme dans le cadre d’une opération.
Marqueurs
Ententes d’honoraires conditionnels
Ce marqueur s’applique lorsqu’un conseiller ou un promoteur a droit à des honoraires i) basés sur le montant de l’avantage fiscal; ii) sous réserve de l’obtention d’un avantage fiscal; iii) basés sur le nombre de personnes participant à l’opération.
La note explicative afférente au projet de loi et les lignes directrices de l’ARC confirment que les éléments suivants, entre autres, ne sont pas suffisants à eux seuls pour donner lieu à une obligation de déclaration en vertu de ce marqueur :
- La pratique de la « facturation basée sur la valeur », qui se fonde sur des critères autres que la valeur de l’avantage fiscal, ainsi que les frais fondés sur la préparation d’une déclaration de revenus annuelle et le nombre de déclarations de choix produites.
- Les honoraires standards perçus par des institutions financières pour l’administration de comptes financiers ordinaires (notamment à titre de frais habituels par opération pour chaque transaction de titres dans le contexte d’un programme de vente fiscale à perte de fin d’exercice exploité par l’institution financière).
- Des frais pour la demande de crédits d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE).
Les contribuables et leurs conseillers doivent tenir compte des règles sur les opérations à déclarer chaque fois que des frais sont facturés sur la base d’un élément conditionnel ou semblent ne pas faire partie des pratiques commerciales normales. Il convient d’exercer un jugement rigoureux puisque de nombreuses situations anodines où sont utilisés des modes de facturation adaptée pourraient être assujetties aux nouvelles règles malgré les diverses exceptions administratives prévues par l’ARC.
Droit à la confidentialité
Ce marqueur entre en ligne de compte lorsqu’un conseiller ou un promoteur obtient un « droit à la confidentialité » relativement au traitement fiscal d’une opération effectuée par :
- dans le cas d’un conseiller, une personne à qui il a fourni de l’assistance ou des conseils dans le cadre de ladite opération;
- dans le cas d’un promoteur, une personne à qui il a vendu un arrangement, un régime ou un mécanisme. Aux termes de la Loi, « droit à la confidentialité » est défini comme « [t]out ce qui interdit de communiquer […] les détails ou la structure d’une opération ».
Un exemple typique de ce genre de protection est une entente de non-divulgation. Heureusement, l’ARC a confirmé qu’il ne devrait pas y avoir d’obligation de déclaration pour la simple protection des secrets commerciaux qui ne sont pas liés à l’impôt. Il demeure toutefois important de faire preuve de vigilance lorsqu’une opération est susceptible d’entraîner des répercussions fiscales pour l’une des parties, nommément pour ce qui touche la structuration dans le contexte de transactions d’achat et de vente ou de réorganisations internes.
Les contribuables, les conseillers et les promoteurs gagneraient à revoir leurs ententes de non-divulgation, leurs lettres-mandats et leurs autres contrats similaires à la lumière des nouvelles règles.
Protection contractuelle
Ce marqueur devient pertinent dans le cas où un contribuable, une personne qui conclut une opération en son nom, ou encore un conseiller ou un promoteur obtient une « protection contractuelle » relativement à une opération donnée. Cela comprend toute forme d’assurance ayant pour effet de :
- protéger une personne contre l’échec de l’opération afin d’obtenir un avantage fiscal;
- rembourser tout montant investi dans le cadre d’un litige se rapportant à un avantage fiscal découlant de l’opération, qu’il s’agisse d’honoraires, de dépenses, de taxes, d’intérêts ou de pénalités.
La protection contractuelle peut par exemple prendre la forme d’une indemnité, d’un contrat ou d’une garantie visant à limiter les pertes d’une personne. L’ARC a confirmé que l’on ne considère généralement pas les éléments suivants comme s’inscrivant dans les critères du marqueur de protection contractuelle :
- L’assurance responsabilité professionnelle normale d’un fiscaliste.
- Les déclarations et garanties standards entre un vendeur et un acheteur, par exemple des polices d’assurance obtenues dans le contexte commercial ordinaire d’opérations de fusion et d’acquisition afin de protéger l’acheteur des passifs avant la vente (y compris les passifs fiscaux).
- Une protection contractuelle qui prend la forme d’une assurance faisant partie intégrante d’une entente conclue entre des personnes sans lien de dépendance pour la vente d’une entreprise lorsqu’il est raisonnable de conclure que la protection d’assurance vise à garantir que le prix d’achat payé en vertu de l’entente tienne compte de tout passif de l’entreprise immédiatement avant la vente et que l’assurance est obtenue principalement à des fins autres que l’obtention d’un avantage fiscal découlant de l’opération ou de la série.
Soulignons que l’ARC n’a toujours pas publié de lignes directrices liées à la protection contractuelle des lettres-mandats d’experts-comptables ou les clauses d’indemnisation que l’on retrouve dans certains actes de fiducie.
Dans tous les cas, les contribuables et leurs conseillers doivent porter attention aux règles relatives aux opérations à déclarer lorsqu’il est question d’indemnités ou d’autres protections contractuelles. Même lors d’opérations relativement anodines, les contribuables doivent toujours s’assurer de vérifier si des exceptions législatives ou administratives s’appliquent.
Qui doit produire des déclarations?
Les obligations de déclaration s’appliquent aux personnes suivantes :
- Les personnes qui obtiennent ou s’attendent à obtenir un avantage fiscal d’une opération.
- Les personnes qui concluent une transaction dans l’optique de procurer un avantage fiscal à une autre personne.
- Les conseillers et les promoteurs qui, dans le cadre d’une opération, soit i) perçoivent des honoraires qui répondent aux critères du marqueur des honoraires conditionnels, soit ii) perçoivent des honoraires au titre de la protection contractuelle (par exemple parce qu’ils offrent une indemnité ou une autre forme de protection en cas d’échec).
Dépôts
Le formulaire RC312 de l’ARC doit être déposé au plus tard le jour suivant la période de 90 jours après la première de deux dates, à savoir celle où le contribuable en question a l’obligation contractuelle de conclure l’opération ou celle où il a conclu l’opération.
Il faut y fournir, entre autres choses, une description détaillée de toutes les parties, des faits pertinents et de l’ensemble des répercussions fiscales de l’opération. Chaque partie intervenant dans une opération doit produire sa propre déclaration, mais il n’est pas nécessaire que chaque membre du personnel ou associé remplisse une déclaration individuelle lorsque son employeur ou sa société de personnes effectue une opération.
Opérations à signaler
Le projet de loi C-47 présente également des obligations de divulgation pour une nouvelle catégorie d’opérations, soit celles « à signaler ». Elles consistent en des opérations précises qui seront désignées par la ministre du Revenu national (avec l’accord de la ministre des Finances) sur le site Web de l’ARC. Quelques analyses préliminaires ont été effectuées, mais aucune opération n’a été officiellement désignée jusqu’à maintenant.
En plus des opérations jugées comme telles par l’Agence, les opérations qui sont à signaler comprennent aussi celles considérées comme « sensiblement semblables » à une autre opération à signaler. Cela comprend toute opération ou série d’opérations qui risque de mener aux mêmes « conséquences fiscales », et qui est factuellement semblable à une stratégie fiscale ou se fonde sur cette même stratégie ou une stratégie semblable. L’ARC a indiqué dans ses lignes directrices que cette notion « doit être interprété[e] dans son sens le plus large en faveur de la divulgation ».
Qui doit produire des déclarations?
Les obligations de déclaration s’appliquent aux personnes suivantes :
- Les personnes qui obtiennent ou s’attendent à obtenir un avantage fiscal d’une opération.
- Les personnes qui concluent une transaction dans l’optique de procurer un avantage fiscal à une autre personne.
- Les conseillers et promoteurs qui sont intervenus dans le cadre de l’opération.
La définition de « conseiller » au sens de la Loi est particulièrement large. Ce terme s’entend de toute « [p]ersonne qui fournit, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit relativement à une opération à signaler toute forme d’assistance ou de conseil concernant la création, l’élaboration, la planification, l’organisation ou la mise en œuvre de l’opération à signaler à une autre personne, y compris celle qui conclut l’opération à signaler au profit d’un tiers ». Il peut notamment s’agir de conseillers en placement, de courtiers, d’agents, de comptables ou de juristes.
Contrairement à ce qui est énoncé dans les règles sur les opérations à déclarer, les conseillers et les promoteurs auront une obligation de divulgation quant aux opérations à signaler même s’ils n’ont pas eu droit à des honoraires conditionnels ou à une protection contractuelle.
Dépôts
Le formulaire RC312 de l’ARC doit être déposé au plus tard le jour suivant la période de 90 jours après la première de deux dates, à savoir celle où le contribuable en question a l’obligation contractuelle de conclure l’opération ou celle où il a conclu l’opération. Il faut y fournir, entre autres choses, une description détaillée de toutes les parties, des faits pertinents et de l’ensemble des répercussions fiscales de l’opération. Chaque partie intervenant dans une opération doit produire sa propre déclaration, mais il n’est pas nécessaire que chaque membre du personnel ou associé fournisse une déclaration individuelle lorsque son employeur ou sa société de personnes effectue une opération.
Pénalités
Les manquements aux obligations de divulgation s’accompagnent d’importantes sanctions. Pour la plupart des contribuables, une pénalité de 500 $ par semaine pour chaque défaut de déclaration s’applique, jusqu’à concurrence du montant le plus élevé entre 25 000 $ et 25 % de l’avantage fiscal concerné. Les sociétés déclarantes, quant à elles, écoperont d’une pénalité de 2 000 $ par semaine, jusqu’à concurrence du montant le plus élevé entre 100 000 $ et 25 % de l’avantage fiscal en question. Ces amendes s’ajoutent à tout impôt, tout intérêt ou toute pénalité à payer dans l’éventualité d’un réexamen par l’ARC de l’opération visée.
En ce qui concerne les conseillers et les promoteurs, la pénalité équivaut à la somme : i) des honoraires facturés; ii) plus 10 000 $; iii) majorée de 1 000 $ pour chaque journée pendant laquelle le défaut de déclaration persiste, jusqu’à concurrence de 100 000 $.
En cas d’infraction, le délai de prescription pour le réexamen d’opérations d’évitement est suspendu jusqu’à ce qu’une déclaration soit produite; il n’y a toutefois aucun délai de prescription s’il y a omission de déclarer (c’est-à-dire que les pénalités en vertu des règles de déclaration peuvent être examinées à tout moment).
À noter que les personnes qui ont fait preuve du degré de soin, de diligence et d’habileté nécessaire, tout comme l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables, peuvent généralement invoquer ce qu’on appelle une « défense de diligence raisonnable ». Cette défense ne peut s’appliquer aux conseillers ou aux promoteurs, qui doivent plutôt produire une déclaration s’ils sont « vraisemblablement censés » connaître leurs exigences en la matière.
Secret professionnel
Le secret professionnel est un droit quasi constitutionnel protégeant les communications verbales et écrites entre un avocat et son client. Ce privilège joue un rôle de premier plan dans l’administration de la justice et l’établissement d’un lien de confiance avec le public quant à la confidentialité de ce qui est communiqué dans un contexte de prestation de services juridiques. Il est d’une importance fondamentale non seulement pour le client qui en bénéficie, mais aussi pour la société en général; la Cour suprême du Canada l’a même reconnu à plusieurs reprises, entre autres dans l’affaire R. c. McClure, [2001] 1 RCS 445 (voir les paragraphes 32 et 33).
La jurisprudence canadienne en matière de droit fiscal a par ailleurs reconnu que la protection du secret professionnel ne devait pas nécessairement être levée dans les situations où des tiers qui ne sont pas juristes aident un client en lui prodiguant des conseils juridiques. Pensons par exemple aux communications entre un comptable et un avocat relativement à un client commun.
La nouvelle législation confirme que les exigences de déclaration ne s’appliquent pas dans les cas où il a été déterminé à la suite d’un examen qu’il est raisonnable de croire que des renseignements sont couverts par le secret professionnel, mais il convient de souligner que les renseignements non couverts par ce privilège, par exemple les ententes juridiques, continuent d’être soumis à des obligations de divulgation. Il est donc crucial de considérer toutes les questions entourant le privilège du secret professionnel lorsqu’une opération compte plusieurs parties. Puisque certaines d’entre elles peuvent être assujetties à des obligations de déclaration, il est en outre essentiel de demander conseil pour s’y retrouver dans ce dédale et savoir comment gérer l’information.
Conclusions
Les nouvelles règles relatives aux opérations à déclarer et à signaler sont très générales et imposent des exigences qui coûteront cher aux contribuables, aux promoteurs et aux conseillers. Elles laissent plusieurs questions en suspens, faisant en sorte qu’elles seront appliquées dans le contexte d’opérations commerciales normales, même lorsqu’une planification fiscale a été effectuée. C’est pourquoi il est important que vous demandiez conseil à des professionnels pour tout ce qui touche les opérations à signaler et les opérations sensiblement semblables comprenant des honoraires conditionnels, un droit à la confidentialité ou une protection contractuelle.