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Perspectives

Quelle est l’étendue du devoir d’intervention de l’employeur quand la violence familiale s’invite au bureau?

Nouvelles obligations législatives

Depuis le 6 octobre 2021, l’obligation de prévenir la violence physique et psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel, s’est ajoutée1 au chapitre des obligations générales de l’employeur à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la « LSST »).

En outre, la loi prévoit au nouvel alinéa 16 de l’article 51 que dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires de protection lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à ce type de violence.

Or, bien que l’obligation générale de prévenir la violence soit clairement énoncée à la LSST, le législateur n’a pas offert de précisions quant à l’étendue du devoir de prévention et la portée du pouvoir d’action concret de l’employeur qui sait ou devrait raisonnablement savoir qu’un travailleur est exposé à ce type de violence.

Dans la décision Trivium Avocats inc. c. Michel Rochonrendue le 2 décembre 2022, la Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur le devoir d’intervention d’un employeur qui constate qu’une de ses employées est exposée à une situation de violence psychologique familiale sur les lieux de travail. Saisi d’une demande d’ordonnance de protection au profit d’une employée victime de violence familiale, l’honorable juge Daniel W. Payette a accueilli la demande et a prononcé une ordonnance de protection et une injonction permanente d’une durée de trois ans.

La décision

Dans cette affaire, une employée fait l’objet d’un comportement agressif, harcelant et violent de la part de son fils, notamment sur les lieux du travail. Ce dernier appelle sa mère au travail plusieurs fois par jour pour la menacer, l’intimider et exiger de l’argent. Ces comportements violents ont cours depuis de nombreuses années et ont considérablement perturbé l’employée au point de la rendre inapte à exercer ses fonctions, et ce, malgré l’aide offerte et prodiguée par l’employeur.

Dans ce contexte, l’employeur a déposé une demande d’injonction à la Cour visant à empêcher le fils de se rendre sur les lieux du travail de sa mère et de s’abstenir de communiquer avec elle ou tout autre employé(e). Dans son analyse, la Cour en est venue à la conclusion que la preuve a clairement démontré l’existence d’un contexte de violence familiale se manifestant sur les lieux du travail. La preuve a également démontré que les craintes exprimées par l’employeur étaient fondées sur des motifs raisonnables qui justifiaient l’émission d’une ordonnance de protection.

En commentant l’article 51(16) de la LSST, la Cour écrit que c’est d’ailleurs précisément pour ce type de situation que le législateur a inscrit à la loi l’obligation d’intervenir pour un employeur dans un contexte de violence familiale. Elle ajoute que dans le présent contexte, la loi confère à l’employeur tant l’obligation d’intervenir pour protéger l’employée de son fils sur les lieux du travail que l’intérêt d’agir pour demander une ordonnance de protection.

Pour ces motifs, la Cour accueille la demande de l’employeur et prononce une ordonnance de protection et une injonction permanente d’une durée de trois ans.

Points à retenir

La protection des employés victimes de violence familiale est une nouvelle réalité introduite avec la réforme du régime modernisant la santé et la sécurité du travail de 2021.

L’étendue du devoir de protection de l’employeur demeure nébuleuse en ce que le législateur n’a pas précisé ses intentions sur les mesures à prendre par l’employeur. La décision précitée confirme certainement l’importance des nouvelles obligations de protection de l’employeur, mais ne saurait, selon nous, être interprétée comme une norme à suivre dans tous les cas de violence familiale au travail, la judiciarisation du problème n’étant pas toujours indiquée.

Les employeurs devraient dès maintenant mettre en place une politique en matière de violence conjugale et familiale comprenant une affirmation de la volonté de l’employeur de maintenir un milieu de travail exempt de violence, la tenue de formations périodiques sur le sujet, une marche à suivre en cas de dénonciation (incluant une référence vers des ressources externes spécialisées) et la mise en œuvre d’un plan d’action individualisé lorsque nécessaire.

Sur son site Internet3, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail propose d’ailleurs une démarche de prévention de la violence par laquelle l’employeur est invité à identifier, corriger et contrôler les risques présents dans le milieu de travail. Bien que ces recommandations demeurent générales, il s’agit d’un point de départ pour aider les employeurs à répondre à leurs nouvelles obligations.

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Si vous avez des questions sur cet article ou souhaitez discuter de toute autre préoccupation en matière de violence au travail, n’hésitez pas à communiquer avec l’un·e de nos avocat·es du groupe Droit du travail et de l’emploi.


1 Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, LQ 2021, c27 (aussi connue sous la désignation Projet de loi n° 59)

2 Trivium Avocats inc. c. Rochon, 2022 QCCS 4628

3 Violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel | Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail – CNESST (gouv.qc.ca)

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