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Perspectives

Conduite antisportive : les différentes normes de diligence entre athlètes au Canada

Les athlètes de la Colombie-Britannique risquent davantage que des cartons rouges, des pénalités et des expulsions en cas de jeu trop agressif causant des blessures à un adversaire. Dans la récente décision Miller v. Cox de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, la juge Baker a statué qu’un joueur de soccer récréatif était responsable à l’égard d’un tacle glissé [traduction] « dangereux et téméraire » ayant blessé un adversaire, déclarant que le tacle était allé au-delà des risques auxquels le demandeur avait implicitement consenti en participant au jeu. La décision met en lumière les différents critères de norme de diligence appliqués par les provinces pour déterminer la faute dans les réclamations pour négligence en contexte sportif.

La barre placée très haut pour conclure à la faute dans d’autres provinces : l'intention délibérée de blesser

Dans certaines provinces, notamment au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, la norme de diligence que les athlètes doivent respecter entre eux repose en grande partie sur la décision rendue par la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en 1965 dans l’affaire Agar v. Canning1, où le tribunal a déclaré un joueur de hockey responsable à l'égard d'un coup de bâton donné délibérément au visage de son adversaire, rendant celui-ci partiellement aveugle.

Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal a fait remarquer que les personnes qui pratiquent un sport sont présumées accepter un certain risque de préjudice accidentel et que [traduction] « il serait incompatible avec ce consentement implicite d’imposer à un joueur une obligation de veiller à la sécurité des autres joueurs correspondant à l’obligation qui, en temps normal, donne lieu à une poursuite pour négligence2 ». Cependant, le tribunal a statué que l’exonération de responsabilité d’un joueur prend fin lorsque ses actes [traduction] « démontrent une volonté déterminée à causer une blessure grave à un autre » joueur, même lorsque le joueur agit en guise de riposte et dans le feu de l’action3.

Des décisions ultérieures de l’Ontario citent l’affaire Agar v. Canning comme étant la décision qui place la « barre très haut », à savoir qu’un joueur doit avoir agi délibérément et dans l’intention de causer une blessure grave à un adversaire, entre autres facteurs, pour que le comportement sorte du cadre du consentement implicite.

Par exemple, dans l’affaire Levita v. Crew, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu qu’un joueur de hockey n’était pas responsable à l'égard d’une mise en échec qui, selon le demandeur, était tardive et survenue par derrière, et qui avait causé plusieurs fractures à la jambe du demandeur. Le tribunal a conclu que le demandeur était conscient des risques inhérents au jeu et avait consenti implicitement à recevoir des mises en échec au cours du jeu, même si ce contact pouvait justifier une pénalité. La preuve n’a pas permis au tribunal de conclure que le défendeur avait eu l’intention de blesser le demandeur.

La barre placée plus bas en Colombie-Britannique : une conduite déraisonnable dans les circonstances

En revanche, la norme appliquée pour établir la faute dans les affaires de négligence en contexte sportif en Colombie-Britannique consiste à déterminer si la conduite du défendeur était déraisonnable dans les circonstances, ce qui est nettement plus facile à prouver pour un demandeur que l’intention délibérée de causer une blessure grave.

Dans des affaires comme Forestierei v. Urban Recreation Ltd. et Unruh (Guardian ad litem of) v. Webber, les tribunaux de la Colombie-Britannique ont statué que [traduction] « l’athlète ne consent qu'à la conduite raisonnable de son adversaire » et que [traduction] « le critère de la norme de diligence porte sur ce qu’un adversaire raisonnable, à sa place, ferait ou ne ferait pas ».

Dans l’affaire Zapf v. Muckalt, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a résumé le critère, indiquant qu’il appartenait au juge de première instance, en fonction de la preuve, [traduction] « de déterminer quels risques sont assumés et ce qu’un adversaire raisonnable ferait dans les circonstances de chaque cas ». À cette occasion, le tribunal a confirmé le jugement de première instance, à savoir que le joueur de hockey défendeur avait fait preuve de négligence lorsqu’il a frappé le demandeur par derrière, rendant ce dernier quadriplégique. La juge de première instance avait laissé entendre que le défendeur, lorsqu’il s’approchait du demandeur par derrière à grande vitesse près de la bande, avait l'obligation de veiller à ce que la mise en échec se fasse épaule contre épaule.

Le tribunal déclare M. Cox responsable

Dans l’affaire Miller v. Cox, la juge Baker a examiné les différentes normes de diligence d’autres provinces et a adopté le passage suivant de l’ouvrage Sports and Recreation Liability Law in Canada des auteurs Lorne Folick, Michael Libby et Paul Dawson, lequel, selon elle, résume exactement l’état du droit en la matière :

[Traduction] En pratique, cette différence de points de vue entre les provinces a tout simplement pour conséquence d’imposer à un joueur de hockey blessé en Colombie-Britannique un fardeau de la preuve bien moins lourd que celui qui est imposé à d’autres joueurs se trouvant dans une situation semblable dans une autre province. Dans le premier cas, il suffira de prouver simplement le non-respect de la norme de diligence pertinente, alors que, dans le second cas, il faudra prouver la conduite intentionnelle (ou du moins la témérité)4.

Dans l’affaire Miller v. Cox, le tacle glissé qu’a exécuté le défendeur Karl Cox à l’encontre du demandeur Jordan David Miller avait fait tomber ce dernier, lui causant une grave blessure à l’épaule. Après avoir entendu plusieurs témoins, la juge Baker a constaté que M. Cox n’avait aucune possibilité de toucher au ballon lorsqu’il s’est approché de M. Miller à partir d’un angle mort et a exécuté un tacle glissé « en ciseau » les deux pieds en avant qui a fait tomber M. Miller à une vitesse telle que ce dernier n’a pas pu se protéger contre l’impact au sol. La juge Baker a conclu que les actes de M. Cox se situaient au-delà de la conduite à laquelle un joueur peut raisonnablement s’attendre dans une ligue récréative et a accordé à M. Miller des dommages-intérêts de 103 764,11 $.

Points à retenir

La décision Miller, ainsi que l’approche adoptée pour déterminer la faute en Colombie-Britannique par rapport à d’autres provinces, font qu’un athlète en Colombie-Britannique peut être déclaré responsable des blessures causées à un adversaire à la suite d’un jeu trop agressif, même s’il n’a pas eu l’intention manifeste de le blesser. Par contre, le même athlète pourrait ne pas être tenu responsable en Ontario, par exemple, si le demandeur est incapable de démontrer une intention délibérée de causer une blessure grave. Les athlètes de la Colombie-Britannique qui sont conscients de ce risque pourraient remettre en question l'idée de lancer une attaque ou une provocation trop agressive, car les pénalités pourraient s’étendre bien au-delà de la surface de jeu.

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