Dans l’affaire PrairieSky Royalty Ltd v. Yangarra Resources Ltd, 2023 ABKB 11, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a clarifié le cadre législatif régissant la qualité d’intérêt foncier des redevances, dans un litige relatif au rang opposant le titulaire d’une redevance dérogatoire brute aux termes d’un bail de la Couronne et le détenteur actuel d’une participation directe aux termes de ce même bail, qui alléguait l’avoir acquise franche et quitte de la redevance du demandeur.
Ce qu’il faut savoir
- La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a indiqué que les redevances issues de baux pétroliers et gaziers pouvaient constituer un intérêt foncier si elles respectaient les deux conditions établies par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dynex1, à savoir :
- les termes employés pour décrire l’intérêt sont suffisamment précis pour démontrer l’intention des parties que la redevance constitue un intérêt foncier, plutôt qu’un droit contractuel sur une fraction des hydrocarbures extraits du sol;
- l’intérêt dont est issue la redevance est lui‑même un intérêt foncier (le « test Dynex »);
- Dans l’évaluation des intentions des parties, si un accord de redevances indique expressément que les redevances en question constituent un intérêt foncier, cette formulation crée une présomption forte, mais réfutable, que les redevances constituent en effet un intérêt foncier.
- Pour que puisse être réfutée la présomption qu’un intérêt foncier découle de la simple formulation d’un accord de redevances, dans des circonstances où les redevances sont valides pendant la durée du domaine sous-jacent, il faut que les autres critères et les circonstances « contredisent fortement » ces facteurs.
- Si un litige concernant le rang survient entre le titulaire d’une redevance dérogatoire et le détenteur d’une participation directe aux termes d’un bail de la Couronne qui vise des biens-fonds de la Couronne non régis par des lettres patentes, le rang est déterminé par les règles en la matière de la common law et de l’equity – les règles relatives au rang établies par la Land Titles Act2 (la « LTA ») ne s’appliquent pas.
- Les redevances qui constituent un intérêt foncier et qui respectent les exigences de la common law encadrant la cession valide d’un bien-fonds prennent rang avant les droits de toute personne qui acquiert subséquemment un intérêt dans le domaine sous-jacent et elles lient cette personne, même si celle-ci n’avait pas connaissance des redevances au moment de l’acquisition – le principe de l’acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable ne s’applique pas.
Contexte
1. Les faits
En avril 2011, Range Royalty Limited Partnership (« Range ») et Home Quarter Resources Ltd (« Home Quarter ») ont conclu un accord de redevance (l’« accord de redevance ») aux termes duquel Home Quarter octroyait à Range une redevance dérogatoire de huit pour cent (la « redevance de 8 % ») sur la participation directe de Home Quarter aux termes d’un bail de la Couronne (le « bail de la Couronne »). Le bail de la Couronne conférait à Home Quarter, en qualité de preneur à bail, des droits exclusifs de prospection et d’extraction du pétrole et du gaz naturel se trouvant dans ou sous 1certains biens-fonds situés en Alberta (les « biens-fonds visés »). Fait à noter, il est question de biens-fonds de la Couronne non régis par des lettres patentes, et aucun certificat de titre n’a jamais été délivré à leur égard en vertu de la LTA.
Home Quarter a vendu sa participation directe de 100 pour cent à Relentless Resources Ltd (« Relentless »), et le demandeur, PrairieSky Royalty Ltd (« PrairieSky »), est devenu le successeur de Range dans l’accord de redevance, de même que le titulaire de la redevance de 8 %.
En 2016, Relentless a vendu sa participation directe de 100 pour cent au défendeur, Yangarra Resources Ltd (« Yangarra »). Dans le cadre de cette transaction, l’accord de redevance n’a jamais été formellement cédé par contrat à Yangarra par Relentless.
Yangarra a par la suite foré un puits horizontal dans les biens-fonds visés (le « puits horizontal »), et PrairieSky a découvert que Yangarra ne lui versait pas sa redevance de 8 %. Quand PrairieSky a exigé que Yangarra lui verse la redevance de 8 %, Yangarra a présenté les arguments suivants :
- ou la redevance de 8 % ne constituait pas un intérêt dans les biens-fonds visés et, puisque l’accord de redevance n’avait jamais été cédé par contrat à Yangarra, celle-ci n’était pas liée par lui;
- ou Yangarra n’était pas liée par la redevance de 8 % parce qu’elle avait acquis son intérêt dans les biens-fonds visés en tant qu’acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable de la redevance de 8 %.
PrairieSky a intenté une action pour obtenir, entre autres choses :
- une déclaration selon laquelle la redevance de 8 % constituait un intérêt dans les biens-fonds visés, lequel liait Yangarra et tous les détenteurs subséquents d’une participation directe dans les biens-fonds visés;
- une décision concernant les redevances non versées exigibles aux termes de l’accord de redevance relativement à la production issue du puits horizontal.
2. Questions
Pour déterminer si Yangarra était liée par la redevance de 8 %, la Cour devait répondre aux questions suivantes :
- La redevance de 8 % découlant de l’accord de redevance constitue-t-elle un intérêt foncier?
- Si la redevance de 8 % constitue un intérêt foncier, prend-elle rang avant la participation de Yangarra aux termes du bail de la Couronne?
- Quel redressement est approprié?
Décision
La Cour a émis une déclaration selon laquelle la redevance de 8 % de PrairieSky constitue un intérêt dans les biens-fonds visés, lequel est indissociable des biens-fonds en question et lie Yangarra et tous les détenteurs subséquents d’une participation directe dans ces biens-fonds, et elle a rendu un jugement contre Yangarra en ce qui concerne les redevances non versées.
La redevance de 8 % constituait un intérêt foncier
Pour déterminer si la redevance de 8 % constituait un intérêt foncier, la Cour a appliqué le test Dynex. La deuxième condition du test Dynex était clairement remplie en l’occurrence, puisque la redevance de 8 % était issue de la participation directe aux termes du bail de la Couronne, que la common law reconnaît incontestablement comme un intérêt foncier. La Cour a donc concentré son analyse sur la première condition du test Dynex et examiné les intentions des parties d’après l’ensemble de l’accord et les circonstances.
La Cour a isolé deux « grands critères » qui, réunis, pourraient être suffisants pour satisfaire au test Dynex : (i) la présence d’une clause établissant expressément que les redevances en question constituent un intérêt foncier (une « clause concernant l’intérêt foncier »); et (ii) la période de validité des redevances. La Cour devait encore analyser l’ensemble du contrat et des circonstances pour déterminer si les parties avaient souhaité que les redevances constituent un intérêt foncier, mais si ces deux critères étaient remplis, il allait falloir que les autres critères et les circonstances « contredisent fortement » ces facteurs pour qu’il soit tranché que les redevances ne constituaient pas un intérêt foncier.
L’accord de redevance contenait une clause concernant l’intérêt foncier et des témoins de chacune des deux parties initiales à l’accord ont confirmé que l’objet de la clause était de garantir que la redevance de 8 % constituerait un intérêt foncier. L’accord indiquait aussi clairement que la redevance de 8 % resterait valide pendant la durée du bail de la Couronne.
Même si ces deux critères étaient remplis, la Cour a examiné le reste des dispositions de l’accord; elle en a conclu que soit elles concordaient avec l’intention des parties de créer un intérêt foncier, soit elles étaient neutres. Les autres critères ne contredisaient donc pas fortement les deux grands critères satisfaits, et la Cour a établi que la redevance de 8 % constituait un intérêt dans les biens-fonds visés qui restait valide pendant la durée du bail de la Couronne.
Les règles de la common law relatives au rang
Après avoir déterminé que la redevance de 8 % constituait un intérêt dans les biens-fonds visés qui restait valide pendant la durée du bail et qu’elle liait toutes les participations directes aux termes du bail, la Cour a quand même examiné l’argument de Yangarra selon lequel celle-ci n’était pas liée par la redevance de 8 % parce qu’elle était un acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable de la redevance de 8 %.
Comme les biens-fonds visés sont des biens-fonds de la Couronne non régis par des lettres patentes et à l’égard desquels aucun certificat de titre n’a jamais été délivré, les règles relatives au rang en vertu de la LTA ne s’appliquaient pas. La Cour a plutôt dû appliquer les règles relatives au rang de la common law et de l’equity, qui datent en grande partie d’avant l’institution du régime d’enregistrement foncier Torrens et qui s’appliquent différemment selon que les intérêts concurrents sont des intérêts en common law ou en equity. La Cour a donc d’abord dû déterminer si les intérêts de PrairieSky et de Yangarra étaient des intérêts en common law ou en equity.
La Cour a établi deux grandes distinctions entre les deux : (i) les intérêts en common law sont des intérêts « en matière réelle », tandis que les intérêts en equity sont des intérêts « en matière personnelle »; (ii) les intérêts en common law doivent être créés ou transférés de la manière prescrite par la common law ou par une loi, tandis que les intérêts en equity peuvent être créés ou transférés de manière informelle, sans parfaire l’intérêt conformément aux exigences de la common law ou d’une loi.
En appliquant ces distinctions, la Cour a déterminé que la redevance de 8 % de PrairieSky constituait un intérêt en common law, puisque selon le test Dynex, elle constituait un intérêt foncier en matière réelle et remplissait toutes les exigences de la common law relatives à sa cession valide : il y avait eu offre, acceptation, contrepartie et accord écrit entre les parties. La Cour a établi que l’intérêt de Yangarra constituait également un intérêt en common law, puisqu’une participation directe aux termes d’un bail de la Couronne est un droit de propriété en matière réelle sur un bien-fonds.
La Cour a appliqué la règle de la common law relative au rang qui s’applique en présence d’intérêts en common law concurrents visant un même bien. En pareilles circonstances, le rang est déterminé en fonction de la chronologie, et la maxime nemo dat quad non habet (nul ne peut donner ce qu’il n’a pas) s’applique. En l’occurrence, au moment où Relentless a vendu sa participation à Yangarra, le bail de la Couronne était déjà grevé par la redevance de 8 %, et Yangarra ne pouvait donc acquérir sa participation qu’en étant assujettie à la redevance de 8 % de PrairieSky. Yangarra ne pouvait pas faire valoir une défense fondée sur sa qualité d’acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable, puisque cette défense s’applique quand il y a conflit entre un intérêt en equity antérieur et un intérêt en common law subséquent.
Le redressement approprié
La Cour a accordé à PrairieSky le redressement demandé, à savoir :
- une déclaration selon laquelle la redevance de 8 % constitue un intérêt dans les biens-fonds visés, lequel est indissociable des biens-fonds en question et lie Yangarra et tous les détenteurs subséquents d’une participation directe dans les biens-fonds visés;
- un jugement pécuniaire concernant les redevances non versées exigibles aux termes de l’accord de redevance relativement à la production issue du puits horizontal.
Points à retenir
Les redevances occupent une grande place dans le secteur du pétrole et du gaz de l’Alberta et, en conséquence, il n’est pas rare qu’un bail de la Couronne soit grevé par une ou plusieurs redevances dérogatoires. Cette décision rappelle aux entreprises toute l’importance de mener des vérifications diligentes approfondies avant d’acquérir un intérêt aux termes d’un bail de la Couronne. Comme il n’existe pas de registre public où les titulaires de redevances aux termes de ces baux pourraient enregistrer leurs droits, il appartient aux acquéreurs d’étudier minutieusement les dossiers des vendeurs et toute information du domaine public pour relever toute redevance pouvant grever un bail. Cette affaire établit clairement que, si un acquéreur n’a pas fait ces vérifications préalables, dans la plupart des cas, il ne pourra pas compter sur l’argument de l’acquéreur de bonne foi, à titre onéreux et sans connaissance préalable, et qu’il sera tenu de verser la redevance même s’il n’en avait supposément pas connaissance au moment de l’acquisition.
Cette décision montre aussi que les sociétés pétrolières et gazières doivent veiller, au moment de rédiger des accords de redevances, à ce que les termes employés traduisent clairement leur intention de créer un intérêt foncier. Les rédacteurs devraient au moins prévoir une clause concernant l’intérêt foncier et s’assurer que la redevance pourra rester valide pendant la durée du domaine sous-jacent. Les motifs énoncés par la Cour fournissent également un guide utile pour d’autres clauses auxquelles les rédacteurs devraient porter une attention particulière, lesquelles tendront à faire conclure soit qu’une redevance constitue un intérêt foncier, soit qu’elle n’en constitue pas un.
1 Banque de Montréal c. Dynex Petroleum Ltd.,, 2002 CSC 7 (Dynex).
2 Land Titles Act, RSA 2000, c L-4.