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Le 18 janvier 2023, le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») a publié une ébauche des Lignes directrices sur l’application de la loi concernant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage (les « Lignes directrices »), qui décrivent comment il prévoit appliquer les nouvelles dispositions sur la fixation des salaires et le non-débauchage du paragraphe 45(1.1) de la Loi sur la concurrence (la « Loi »), lesquelles entreront en vigueur le 23 juin 2023 (nous avons également publié un article sur les modifications générales à la Loi qui sont entrées en vigueur le 23 juin 2022). Suivant ces dispositions, les accords de fixation des salaires ou de non-débauchage mettant en cause deux employeurs non affiliés ou plus1,2 constitueront des infractions. Cette nouvelle approche canadienne concernant les accords de non-débauchage s’inspire par ailleurs largement de celle adoptée aux États-Unis.
Ce que vous devez savoir
- À compter du 23 juin 2023, le fait pour deux employeurs ou plus de s’entendre sur des salaires, des traitements ou des conditions d’emploi, ou de s’engager à ne pas débaucher le personnel de l’autre, constituera un acte criminel.
- Ces accords resteront légaux dans certaines circonstances, notamment s’ils sont directement liés à un accord plus large et autrement légal, et s’ils sont raisonnablement nécessaires à sa réalisation.
- Le Bureau indique qu’il ne contestera pas les accords qui ont été conclus avant le 23 juin 2023 et qui enfreindraient les nouvelles dispositions, pourvu que les clauses problématiques ne soient pas appliquées.
- Les entreprises doivent mettre à jour leurs politiques et leur matériel de formation afin que leurs représentants soient au courant des nouvelles dispositions et s’abstiennent d’adopter un comportement qui pourrait donner l’impression de les enfreindre.
Accords interdits
a. Accords de fixation des salaires
Les nouvelles dispositions sur la fixation des salaires interdisent les accords entre deux employeurs ou plus3 visant à fixer, à maintenir, à réduire ou à contrôler les salaires, les traitements ou les conditions d’emploi, sous réserve de certaines défenses et exceptions.
En premier lieu, il est important de noter que même les accords ou les arrangements tacites ou non écrits entre employeurs visant à fixer les salaires ou à ne pas débaucher des employés seront touchés par les nouvelles dispositions. En outre, des preuves circonstancielles suggérant l’existence d’un tel accord ou d’un tel arrangement pourraient suffire à la condamnation. Du point de vue de la conformité, cela signifie que les employeurs doivent être conscients des risques que présentent les communications informelles avec d’autres employeurs au sujet des conditions d’emploi des travailleurs et prendre des mesures pour décourager les contacts qui pourraient poser problème au regard des nouvelles dispositions, y compris au sein des ressources humaines.
Par « conditions d’emploi », le Bureau entend toute condition pouvant influer sur la décision d’une personne d’accepter un contrat d’emploi ou de le conserver, notamment les descriptions de poste, les allocations, le remboursement des déplacements, la rémunération non pécuniaire, les heures de travail, le lieu de travail, et les dispositions de non-concurrence ou autres directives susceptibles de restreindre les perspectives d’emploi d’une personne. Cela signifie qu’un large éventail de conditions sont potentiellement concernées. À titre d’exemple, un accord entre employeurs exigeant que les employés travaillent sur place un minimum de temps par semaine ou limitant le remboursement des frais de bureau à domicile des employés pourrait être problématique.
b. Accords de non-débauchage
La nouvelle disposition sur le non-débauchage interdit les accords entre employeurs visant à ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur. Elle interdit toutes les formes d’accords entre employeurs qui limitent les possibilités pour leurs employés d’être embauchés par l’autre employeur. Cela comprend le fait de limiter la communication de renseignements en lien avec les offres d’emploi et d’adopter des mécanismes d’embauche, tels que des systèmes de points, conçus pour que les employés ne puissent pas se faire recruter ou embaucher par un autre employeur participant à cet accord.
Les Lignes directrices apportent une précision importante, du moins en ce qui concerne la politique d’application du Bureau : la disposition sur le non-débauchage ne s’appliquera qu’aux accords bilatéraux, c’est-à-dire aux cas où des employeurs conviennent ou font en sorte de ne pas solliciter ou embaucher des employés « de l’autre » employeur. Ainsi, il ne s’agira pas d’une infraction si une seule partie convient de ne pas débaucher les employés de l’autre. Cependant, si les parties ont des conditions mutuelles de non-débauchage dans des accords distincts, le Bureau considère que ces accords distincts constituent un seul et même accord de non-débauchage entre les employeurs. Cette déclaration sur la politique d’application rassure quelque peu les employeurs quant au risque que l’organisme examine les accords de non-débauchage à la lumière de la disposition. Cela étant dit, les Lignes directrices n’ont pas force de loi, et il demeure théoriquement possible que des plaignants en dommages-intérêts civils cherchent à faire interpréter la disposition de manière plus large, en particulier dans le cadre d’actions collectives en matière de concurrence.
Défenses
a. Les nouvelles dispositions ne s’appliquent pas lorsque les clauses de fixation des salaires et de non-débauchage sont accessoires à un accord plus large
La « défense fondée sur les restrictions accessoires » s’applique aux nouvelles dispositions. Elle s’apparente à la notion de caractère accessoire définie à l’article 1 du Sherman Act des États-Unis et signifie que les accords de fixation des salaires ou de non-débauchage qui enfreindraient les nouvelles dispositions ne seront pas considérés comme des infractions s’ils sont directement liés à un accord plus large et autrement légal, et s’ils sont raisonnablement nécessaires à sa réalisation.
Dans les Lignes directrices, le Bureau indique qu’il ne considérera généralement pas que les clauses de fixation des salaires ou de non-débauchage sont contraires aux nouvelles dispositions si elles se rapportent à des fusions, à des coentreprises ou à des alliances stratégiques. Toutefois, le bureau n’appliquera pas automatiquement cette défense aux accords entre franchisés visant à ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre partie. La question de savoir si la défense s’applique aux accords de non-débauchage conclus entre un franchiseur et ses franchisés sera propre à chaque cas et dépendra de la capacité des employeurs à prouver que la clause de non-débauchage est nécessaire et découle de l’accord de franchise plus large.
D’autres défenses juridiques et exceptions pourraient s’appliquer aux accords de fixation des salaires ou de non-débauchage, par exemple la défense fondée sur des actes réglementés4 et l’exemption liée aux négociations collectives. Nous recommandons aux parties de consulter un conseiller juridique afin de déterminer si l’une de ces défenses peut s’appliquer.
b. Les nouvelles dispositions ne s’appliquent pas aux anciens accords non respectés
Les Lignes directrices précisent que le Bureau ne considérera pas que les clauses d’accords conclus avant le 23 juin 2023 qui restent en vigueur violent les nouvelles dispositions. Il n’est donc pas nécessaire d’y apporter des modifications explicites et de les supprimer; elles ne peuvent tout simplement pas être appliquées si elles pourraient enfreindre les nouvelles dispositions.
Les nouvelles dispositions s’appliqueront toutefois lorsque des clauses problématiques d’anciens accords sont appliquées ou réaffirmées. On ne sait toujours pas si une extension postérieure au 23 juin 2023 ou une autre modification d’un ancien accord dont certaines clauses sont contraires aux nouvelles dispositions pourrait être considérée comme un « nouvel accord » aux yeux du Bureau.
Sanctions
Le fait de contrevenir aux nouvelles dispositions constitue une infraction criminelle et peut entraîner une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans, une amende fixée à la discrétion du tribunal (sans maximum légal), ou les deux.
De plus, les personnes qui subissent un préjudice du fait de la conclusion d’accords criminels de fixation des salaires et de non-débauchage peuvent demander à être indemnisées pour les dommages subis, notamment au moyen d’actions collectives, qui constituent désormais une voie de recours bien établie au Canada.
Conclusion et mesures à prendre
Concrètement, les entreprises ont jusqu’au 23 juin 2023 pour se conformer aux nouvelles dispositions et mettre en place des stratégies et des politiques de réduction des risques :
- Les organisations doivent modifier leurs politiques, notamment en matière de ressources humaines et de concurrence, de manière à interdire explicitement toute coordination avec d’autres employeurs qui pourrait être interprétée comme un accord de fixation des salaires ou de non-débauchage. Elles doivent aussi s’abstenir de tout contact avec d’autres employeurs qui pourrait laisser supposer l’existence de tels accords.
- Les politiques doivent indiquer clairement que l’interdiction s’applique à toute condition pouvant influer sur la décision d’une personne d’accepter un emploi ou de le conserver.
- Les politiques doivent explicitement prévoir que les clauses existantes des accords conclus avant le 23 juin 2023 qui violeraient les nouvelles dispositions ne peuvent pas être appliquées.
- Tous les employés susceptibles d’engager des discussions avec d’autres employeurs, y compris des cadres supérieurs et des professionnels des ressources humaines ou du recrutement, doivent être régulièrement formés au respect des politiques susmentionnées.
- La communication de données actuelles ou antérieures sur les salaires et autres conditions d’emploi avec des tiers qui regroupent ces informations et fournissent des analyses comparatives anonymisées peut demeurer acceptable. Il convient toutefois de consulter un conseiller juridique avant de fournir de tels renseignements à un tiers ou de recevoir des résultats.
Pour de plus amples renseignements sur le respect de ces nouvelles dispositions, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des personnes-ressources dont le nom figure ci-dessous.
1 Il n’est pas nécessaire que les employeurs se fassent concurrence pour la vente de produits ou de services. Les nouvelles dispositions considèrent que tous les employeurs sont en concurrence pour recruter des employés.
2 Selon les Lignes directrices du Bureau, les « employeurs » comprennent les administrateurs, les dirigeants, ainsi que les employés ou agents, tels que les professionnels en ressources humaines. À titre d’exemple, un accord conclu entre un dirigeant d’une entreprise et un administrateur d’une autre entreprise est traité comme un accord entre employeurs aux fins des nouvelles dispositions. Les personnes ayant conclu l’accord s’exposent à des poursuites, et les entreprises elles-mêmes pourraient s’exposer à des poursuites si les employés sont des cadres supérieurs.
3 Les franchiseurs et les franchisés, de même que les franchisés d’un même franchiseur, ne sont pas affiliés, de sorte que les nouvelles dispositions s’appliquent aux accords conclus entre eux.
4 Il s’agit d’une exception étroite à l’application de certaines dispositions de la Loi, y compris les nouvelles, en ce qui concerne certains comportements réglementés par une autre loi ou un autre régime législatif fédéral, provincial ou municipal. Nous avons déjà publié un article sur une application de la défense.