« Une société inclusive, diversifiée et équitable doit d’abord être accessible; tous ses aspects doivent être atteignables pour tout un chacun, notamment pour les personnes neurodivergentes », affirme Wanda K. Deschamps.
BLG a récemment tenu un webinaire intitulé « Série sur le professionnalisme : Neurodiversité en milieu de travail » animé par Wanda K. Deschamps, fondatrice de Liberty Co, cabinet-conseil qui s’efforce de démocratiser la neurodiversité sur le marché du travail.
La première séance de cette série en deux parties s’appuyait sur des recherches, diverses tendances et l’expérience personnelle de Wanda, qui a reçu un diagnostic d’autisme à l’âge de 46 ans, pour mettre en lumière l’importance de comprendre la neurodiversité et les bienfaits d’un leadership inclusif sur les organisations et leur personnel.
La deuxième séance a pris la forme d’une discussion entre Wanda, Jane Hutchinson, Nancy Brodeur et Simon Margolis au sujet de données démographiques actuelles, des pratiques optimales et programmes existants en matière de neurodiversité au travail, et des points à améliorer dans les organisations canadiennes.
Qu’est-ce que la neurodiversité et pourquoi est-il important de la comprendre?
Dans sa présentation, Wanda a expliqué la définition du terme « neurodiversité », utilisé pour la première fois par la sociologue Judy Singer, elle-même sur le spectre de l’autisme, dans les années 1990. Ce concept fait référence aux différences naturelles entre les fonctionnements neurologiques de chaque personne, qui ressortent généralement dans les communications sociales et les relations interpersonnelles. La neurodiversité englobe plusieurs conditions, dont l’autisme, le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), la dyslexie, la dyscalculie, la dyspraxie et le syndrome de la Tourette. À noter que la neurodiversité n’est pas liée à l’origine ethnique ou au genre; elle peut toucher tous les types de personnes. De plus, certaines personnes reçoivent un diagnostic mixte, alors que d’autres ne savent pas du tout qu’elles sont neurodivergentes.
Comprendre la neurodiversité, au travail comme dans les autres sphères de sa vie, est important pour plusieurs raisons. Comme l’a mentionné Wanda dans son webinaire, la neurodivergence est présente dans tous les secteurs et les milieux, y compris dans la profession juridique. On estime qu’une proportion d’environ 15 % de la population est neuroatypique, mais ce pourcentage est en réalité probablement beaucoup plus élevé puisqu’on sous-diagnostique souvent les conditions associées à la neurodivergence.
Wanda mentionne également que les personnes neurodivergentes sont généralement dotées de forces particulières puisqu’elles ne pensent pas de la même manière que les autres. Elles possèdent entre autres des compétences spéciales pour ce qui touche la reconnaissance des formes, la mémoire et les mathématiques, comme l’affirment Rob Austin, professeur et chercheur à l’Ivey Business School de l’Université Western, et Gary Pisano, professeur d’administration des affaires à l’Université Harvard, dans l’article « Neurodiversity as a Competitive Advantage » du Harvard Business Review cité par Wanda.
À son avis, il est primordial que les personnes neurodivergentes puissent vivre sans craindre la discrimination ou la stigmatisation, et qu’il soit compris que leurs droits – tout comme ceux des personnes handicapées – constituent des droits de la personne.
Quelles pratiques optimales les organisations peuvent-elles adopter pour favoriser l’inclusion de personnes neurodivergentes en milieu de travail?
Conscientisation
Selon Jane Hutchison, associée de recherche au sein du Conference Board du Canada, les organisations qui cherchent à favoriser l’inclusion des personnes neurodivergentes doivent avant tout miser sur la conscientisation.
Il n’existe malheureusement que très peu de données sur la neurodiversité dans les milieux de travail; la plus récente étude à ce sujet remonte à 2017 et indique que seulement 30 % des personnes autistes sont actives sur le marché du travail. La question, a expliqué Jane, est de trouver comment aider les personnes neuroatypiques à surmonter les obstacles systémiques qui leur barrent la route.
Adaptation des pratiques de recrutement et de fidélisation
Bien souvent, la stigmatisation et les préjugés liés à la neurodiversité découlent d’une méconnaissance ou d’une incompréhension de cet état de fait. C’est pourquoi les gestionnaires et les professionel·les des RH doivent être formés sur la manière dont la neurodiversité peut se manifester pendant une entrevue. Comme point de départ pour favoriser l’inclusion, Jane suggère aux organisations cherchant à remanier leurs processus de recrutement de faire appel à des spécialistes externes en la matière.
Elle a également donné quelques exemples de mesures faciles que les employeurs peuvent prendre pour simplifier leurs processus et en améliorer l’accessibilité, notamment envoyer à l’avance les questions d’entrevue aux candidats et candidates et leur permettre de participer à l’entretien de la manière qui leur convient le mieux (virtuellement, par téléphone ou par courriel).
De plus, Wanda a soulevé une transition qui s’opère actuellement dans les milieux de travail en ce qui concerne la fidélisation : les personnes neurodivergentes ont de moins en moins à changer qui elles sont (c’est-à-dire « masquer » ou « camoufler » leurs comportements différents) pour conserver leur emploi et peuvent davantage compter sur le soutien de leurs collègues à cet égard. En somme, les personnes neuroatypiques veulent l’assurance que leurs différences seront reconnues comme des atouts, que leurs besoins seront entendus et qu’elles recevront le soutien dont elles ont besoin pour réaliser leur plein potentiel.
Mesures d’accommodement
Les leaders et les organisations qui font preuve d’ouverture et de souplesse pour soutenir les personnes neurodivergentes en leur offrant des accommodements adaptés à leurs besoins se démarquent du lot.
« Le concept d’accommodement fait souvent peur, mais mon expérience a toujours été très positive. Ce n’est pas aussi complexe qu’on peut le penser », a déclaré Nancy Brodeur, directrice principale, Programmes de rotation, d’intégration et de littératie de données à la Banque Nationale du Canada. « Nous n’avons eu qu’à opérer quelques changements mineurs; tout s’est fait très facilement. Nous avons adapté notre processus de recrutement et simplifié nos affichages de poste afin que tout soit le plus clair possible. À chaque étape, nous nous assurons de communiquer avec les candidats et candidates pour leur faire part de nos attentes et leur expliquer ce que nous souhaitons aborder dans nos discussions. »
Les organisations peuvent aussi tenir compte des besoins de leurs membres du personnel neuroatypiques en :
- leur permettant de travailler en mode hybride, selon un horaire souple, à partir de l’endroit qui leur convient le mieux;
- leur proposant diverses options d’espace de travail, notamment un environnement où les distractions sont limitées;
- leur offrant des soutiens technologiques comme des sous-titres;
- leur fournissant des dispositifs d’assistance comme des écouteurs à suppression de bruit qui réduisent ou éliminent le risque de surcharge sensorielle;
- reconnaissant qu’il existe diverses approches à la socialisation et en rendant facultatives les activités sociales.
Aux yeux de Simon Margolis, la clé est simplement d’être à l’écoute lorsqu’une personne indique avoir besoin de mesures d’adaptation. Il estime que les organisations doivent encourager (sans toutefois forcer) les membres de leur personnel à parler ouvertement de ce genre de choses.
Communication ouverte
Il convient de noter que la différence dans les manières d’agir et de communiquer des personnes neurodivergentes ne doit pas être vue comme un défaut ou une lacune et que nous gagnerions tous et toutes à abandonner l’idée qu’un style de communication est meilleur qu’un autre.
Simon conseille par exemple aux employeurs de se rendre disponibles lorsque surviennent des conflits et d’assurer constamment des suivis afin d’établir des objectifs et de clarifier les tâches à effectuer. Ils doivent entretenir un dialogue permanent avec leurs employé·es, dont les besoins peuvent changer à tout moment.
En cas de doute, Wanda suggère comme approche d’inviter les personnes neurodivergentes dans une équipe à s’exprimer, à expliquer leur raisonnement et à préciser ce qu’elles aimeraient que leurs collègues retiennent de ce qu’elles ont partagé.
Comment les organisations peuvent-elles recruter et soutenir des personnes neurodiverses?
Comme l’a souligné Wanda dans sa présentation, une grande partie des personnes neurodivergentes n’ont pas d’emploi ou sont en situation de sous-emploi.
Il est donc essentiel que les organisations s’engagent à favoriser l’inclusion dans leurs initiatives de recrutement en offrant des occasions et des ressources aux personnes marginalisées. Elles peuvent notamment démontrer qu’elles respectent et valorisent la neurodiversité en utilisant un langage inclusif dans leurs affichages de poste et leurs communications, ou encore en acceptant de déroger de certaines pratiques conventionnelles entourant les candidatures et les entrevues. Plutôt que d’aborder des éléments abstraits en entrevue comme la relation entre un·e employé·e, son équipe et ses superviseur·es, Wanda suggère par exemple d’expliquer au candidat ou à la candidate à quoi ressembleraient ses tâches au quotidien et ses interactions avec son équipe, en plus de lui faire part des attentes liées au poste et de la mission de l’organisation de manière pragmatique.
Qui plus est, favoriser l’inclusion des personnes neurodivergentes dans les milieux de travail passe également par la reconnaissance qu’elles peuvent occuper des postes de tous les niveaux, y compris endosser des fonctions de direction. Wanda considère que cela aurait une multitude de bienfaits, notamment pour ce qui est d’aider les personnes neurodivergentes à se sentir représentées à tous les échelons de leur organisation. « Pour que les pratiques d’inclusion fonctionnent vraiment, elles doivent provenir de la direction des organisations; c’est pourquoi nous avons besoin de plus de leaders neuroatypiques qui accueillent la diversité et en font la promotion. »