Le 17 novembre 2022, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision dans l’affaire Des Groseillers c. Québec (Agence du revenu), 2022 CSC 42.
Points à retenir
- Par décision unanime, la CSC a rejeté l’appel dans l’arrêt Des Groseillers, confirmant ainsi le jugement unanime de la Cour d’appel du Québec.
- La Cour s’est penchée sur le traitement fiscal s’appliquant aux dons d’options d’achat d’actions d’un employé en vertu de la Loi sur les impôts du Québec, RLRQ, c I-3 (LI), de même que sur des principes généraux d’interprétation de la loi, notamment la mesure dans laquelle les dispositions générales d’application constituent un code complet.
- La question à régler était la suivante : un contribuable qui fait don d’options d’achat d’actions à un organisme de bienfaisance aux termes d’un régime d’options d’achat d’actions peut-il réclamer des crédits d’impôt pour ce don sans déclarer de revenus d’emploi connexes? Autrement dit, les articles 50 et 54 de la LI empêchent-ils l’application de l’article 422?
- La CSC a rejeté l’argument de M. Des Groseillers selon lequel les articles 47.18 et 58.0.7 de la LI constituent un code complet, en plus de confirmer que l’article 422 de la LI peut être invoqué pour compléter les règles de calcul du revenu.
Contexte
En 2010 et 2011, M. Des Groseillers, qui a été à la tête de Groupe BMTC Inc. pendant plusieurs années, a fait don de certaines des options auxquelles il avait droit en vertu du régime d’options d’achat d’actions de la société. À la suite d’une vérification fiscale et de l’examen des déclarations fournies par M. Des Groseillers, l’Agence du revenu du Québec (ARQ) a ajouté la juste valeur marchande des options d’achat d’actions aux revenus d’emploi du demandeur et les a traitées comme tels. Pour les fins du calcul de l’avantage réputé avoir été reçu par M. Des Groseillers, l’ARQ s’est basée sur la juste valeur des options au moment du don (article 422 de la LI).
Des Groseillers a plaidé que l’article 422 de la LI ne s’appliquait pas dans sa situation puisque les articles 47.18 à 58.0.7 « constituent un code complet qui comporte en lui-même et de façon exhaustive l’ensemble des règles de calcul du revenu tiré de l’émission de titres à des employés, de même que l’ensemble des fictions juridiques que le législateur a jugé nécessaire d’adopter au soutien de ces règles. »
Les articles 50 et 54 de la LI figurent sous la section VI (« Émission de titres à des employés ») du chapitre II du titre II (« Revenu ou perte provenant d’une charge ou d’un emploi »).
- L’article 50 prévoit qu’un employé qui cède ou aliène des droits prévus par un régime d’options d’achat d’actions visé à l’article 48 à une personne avec laquelle il n’a aucun lien de dépendance, est réputé recevoir un avantage égal à l’excédent de la valeur de la contrepartie de la cession ou de l’aliénation sur le montant qu’il a payé pour acquérir ces droits. Cet article s’apparente à l’alinéa 7(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. [1985], ch. 1 [5e]) fédérale (LIR).
- L’article 54 de la LI, à l’instar de l’alinéa 7(3)a), prévoit que l’employé dans cette situation ne serait pas réputé, en vertu ou en raison du régime, avoir reçu d’autre avantage que celui prévu par la section VI.
L’article 422 du titre VII, « Règles relatives au calcul du revenu », s’intéresse quant à lui aux situations dans lesquelles l’aliénation ou l’acquisition d’un bien par un contribuable sont réputées faites à la juste valeur marchande de ce bien au moment de ladite aliénation ou acquisition. Il est très semblable à l’alinéa 69(1)b) de la LIR.
Décision de la CSC
La CSC a rejeté l’argument avancé par M. Des Groseillers voulant que les articles 47.18 à 58.0.7 de la LI forment un « code complet ». Elle a en effet conclu qu’« en l’absence d’indices législatifs clairs à cet effet », les dispositions de ces articles ne constituent pas « un code si complet et si hermétique que l’application de l’article 422 est exclue ». En outre, l’article 422 « concerne les règles omnibus relatives au calcul du revenu » et peut donc être invoqué pour compléter les règles de calcul du revenu prévues à la section VI de la LI.
Conclusion
En rendant cette décision, la Cour a réaffirmé certains principes généraux de l’interprétation législative, à savoir que les lois fiscales doivent être interprétées de manière moderne conformément à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, de sorte qu’elles s’harmonisent à la loi dans son ensemble.
Comme l’a écrit le juge LeBel dans l’arrêt Placer Dome, « lorsque [...] la disposition peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable, il faut accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question. Par conséquent, l’objet d’une loi peut servir non pas à mettre de côté le texte clair d’une disposition, mais à donner l’interprétation la plus plausible à une disposition ambiguë. »
Compte tenu des similitudes entre les dispositions pertinentes de la LI et de la LIR, la décision de la Cour suprême dans Des Groseillers risque bien d’avoir une incidence sur l’interprétation de la LIR à l’avenir.
Pour en savoir plus sur les litiges fiscaux, veuillez communiquer avec Natalie Goulard ou Frédérique Duchesne.