une main qui tient une guitare

Perspectives

Vaccination obligatoire en entreprise : développements en Ontario et au Québec – et la suite des choses

Il est fréquemment relevé que, dès le début de la pandémie, les paliers gouvernementaux du Canada ont mis l’accent sur le fait de ressouder la population, tandis que les États-Unis ont placé l’emphase sur le fait de garder la population au travail. Ainsi, aux États-Unis, le gouvernement Biden et la Occupational Safety and Health Administration (OSHA) ont tenté d’appliquer des politiques de vaccination obligatoire très rigides aux entreprises de plus de 100 employés. En revanche, au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux n’ont pas immédiatement été impliqués dans l’émission de politiques de vaccination obligatoire dans les entreprises du secteur privé.

Il est intéressant de noter qu’à la fin de 2021, certains gouvernements au Canada ont commencé à prendre publiquement position, y compris le gouvernement fédéral, qui a annoncé un règlement, devant entrer en vigueur au début de 2022, exigeant la vaccination des employés dans tous les milieux de travail de juridiction fédérale. Il faudra surveiller si, dans un contexte où plusieurs gouvernements commencent à annoncer une levée des restrictions et mesures sanitaires, la réglementation entrera effectivement en vigueur. Dans tous les cas, au fur et à mesure que les employeurs réagissent et décident de déployer leurs propres politiques, il devient clair que les développements futurs concernant les politiques de vaccination obligatoire au Canada impliqueront davantage de décisions judiciaires, y compris des contestations devant les tribunaux, et ce, à moins ou jusqu’à ce que des directives claires soient adoptées par les gouvernements canadiens.

À ce sujet, une analyse de la situation au Canada, notamment au Québec et en Ontario, nous permet d’offrir quelques réflexions que les entreprises devraient garder en tête au moment de faire un choix concernant l’instauration d’une politique de vaccination obligatoire.

Décisions juridiques récentes

En Ontario et au Québec, les premières décisions d’arbitrage portant sur des politiques de vaccination ont été rendues dans les dernières semaines et derniers mois. Notamment, on compte les décisions Union des employés et employées de service, section locale 800, et Services ménagers Roy ltée, au Québec, ainsi que les décisions UFCW v Paragon Protection et Power Workers’ Union v Electrical Safety Authority en Ontario, qui ont toutes récemment été couvertes par notre groupe Droit du travail et de l’emploi.

Il est intéressant de noter que la décision Electrical Safety Authority et, plus récemment, la décision Chartwell Housing Reit, demeurent les seules où les politiques de vaccination furent considérées déraisonnables. Les motifs de ces décisions devraient permettre aux employeurs d’en tirer certaines leçons, car ils illustrent que chaque cas devra être évalué individuellement et que les employeurs devront démontrer que leur politique est « raisonnablement nécessaire et constitue une réponse proportionnée à un risque réel et démontré ou à un besoin commercial, » ce qu’explore plus en détail notre couverture de la décision Electrical Safety Authority. Concernant la décision Chartwell Housing Reit, le fait que la politique prévoyait de façon automatique la fin d’emploi des employés qui refusaient de s’y conformer, tout spécialement, fut déclaré déraisonnable par l’arbitre.

Les décisions Bunge Hamilton Canada et Maple Leaf Sports and Entertainment, rendues récemment en Ontario, présentent aussi un intérêt. Elles confirment certains des premiers développements observés dans les autres décisions, mais introduisent également de nouveaux éléments à retenir. Dans ces deux cas, la politique de vaccination fut maintenue par l’arbitre, ce qui démontre encore davantage qu’il est possible d’instaurer une politique de vaccination, dans un contexte syndiqué, de façon raisonnable et conforme à la loi. La décision Bunge Hamilton Canada, à l’instar de la décision Chartwell Housing Reit, démontre notamment que les employeurs devraient y penser à deux fois avant d’inclure dans leur politique que le non-respect de l’obligation de vaccination résultera en un licenciement ou une autre sanction disciplinaire spécifique. De l’autre côté, la décision Maple Leaf Sports and Entertainment apporte un encouragement certain aux employeurs, alors que l’arbitre s’est appuyé sur « l’opinion des autorités en la matière » pour endosser l’imposition de la vaccination obligatoire en milieu de travail afin de réduire la propagation de la COVID-19.

Enjeux lors de l’élaboration d’une politique de vaccination obligatoire

Après l’étude de ces décisions, ainsi que de notre vue d’ensemble sur la situation en Colombie-Britannique, nous identifions trois enjeux que les employeurs et les conseillers juridiques doivent considérer lors de l’élaboration d’une politique de vaccination obligatoire.

1. La convention collective permet-elle une telle politique?

Une convention collective évolue et se complexifie à mesure que la relation patronale-syndicale se développe. En ce sens, une relecture de la convention collective applicable s’impose pour assurer qu’une clause actuelle de la convention ne sera pas utilisée par l’arbitre comme fondement pour infirmer ladite politique.

Une telle relecture est d’autant plus importante lorsque la clause en question a été rédigée en termes généraux, pour couvrir des questions d’ordre général, et non une question vaguement applicable à la pandémie de COVID. Dans le même ordre d’idée, au moment d’ajouter des dispositions à une convention collective, les parties doivent faire preuve d’une grande prudence puisque ces nouvelles dispositions pourraient servir dans le futur de fondement sur lequel un arbitre va se baser pour se prononcer contre la légalité d’une politique de l’employeur. En effet, les termes généraux d’une convention collective liés à la santé et à la sécurité, à l’équité, ou à l’égalité de traitement des employés, ne sont que quelques exemples de ce type de langage général qui pourraient donner lieu à une interprétation plus large que celle prévue au moment de l’ajout de ce langage général dans la convention collective.

Nous en avons vu un exemple flagrant dans la décision Paragon Protection, alors qu’une disposition de la convention collective adoptée plusieurs années avant la pandémie de 2020 fut déterminante dans la conclusion de l’arbitre quant à la légalité de la politique de vaccination chez cet employeur.

2. Les syndicats doivent-ils accorder plus de protections à leurs membres pleinement vaccinés ou à ceux qui veulent avoir le droit de choisir de ne pas se faire vacciner?

Cela déterminera si un syndicat décide de contester la politique de vaccination. Il est tout aussi vrai que les employeurs devront être particulièrement vigilants et diligents afin de trouver un équilibre entre ces deux positions. Une analyse du milieu de travail s’avérera nécessaire. En effet, comme nous l’avons vu dans les récentes décisions d’arbitrage, l’employeur devra justifier sa politique en tenant compte de différents facteurs, qui comprendront le risque réel d’une éclosion sur le lieu de travail, la possibilité de télétravail pour la main-d’œuvre ou l’accommodement des employés qui refusent le vaccin. Le taux de vaccination parmi les employés, si cette donnée est disponible, sera également un facteur important à considérer.

Cette réflexion s’applique tout autant aux employeurs qu’aux syndicats qui, au Québec, sont assujettis à une obligation de représentation en vertu de l’article 47.2 du Code du travail. D’autres provinces ont une législation similaire, voire identique. Ainsi, les syndicats devront peser les intérêts contradictoires de leurs membres en cas de grief sur la question des politiques de vaccination. Bien que l’on ait beaucoup écrit sur ce choix entre des questions conflictuelles, le sujet en reste un duquel ni les employeurs ni les syndicats n’ont voulu tester les limites. Un exemple de ce type de dilemme pour un syndicat est illustré par la situation où le syndicat doit choisir entre représenter l’employé accusé de harcèlement, qui fait l’objet de mesures disciplinaires sur le lieu de travail, ou défendre les droits de l’employé harcelé, en vue de garantir un lieu de travail exempt de harcèlement.

De même, les protections en matière de santé et de sécurité et les obligations imposées aux employeurs pour préserver ces protections en vertu des lois de la province concernée l’emportent-elles sur les droits fondamentaux à la vie privée et les libertés humaines de bon nombre de ces mêmes employés? Cet exercice d’équilibre n’est ni facile à résoudre, ni à établir. Cependant, ces questions ne disparaîtront pas et exigeront que les syndicats et les employeurs les abordent soit ensemble à la table de négociation, soit devant le tribunal ou la cour applicable. Lorsque la première option est choisie, les parties devront s’assurer que le langage utilisé dans la convention collective ne compromet pas l’une ou l’autre des parties, ni ne va au-delà de l’objectif pour lequel ce langage a été ajouté à la convention.

3. Dans un milieu de travail non syndiqué, à qui revient la responsabilité de protéger les employés ?

Dans un contexte de pandémie mondiale, cette responsabilité ne peut reposer uniquement sur l’obligation de prévention des employeurs inscrite à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) au Québec ou, ailleurs, dans toute autre législation provinciale similaire. Les travailleurs eux-mêmes ont déjà l’obligation de « prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique et psychique » et de « veiller à ne pas mettre en danger la santé, la sécurité ou l’intégrité physique et psychique des autres personnes qui se trouvent sur les lieux de travail ou à proximité des lieux de travail » en vertu de la LSST.

Il n’est pas impossible que le choix de ne pas se faire vacciner (pour des raisons autres que des motifs religieux ou de santé) soit interprété comme un manquement à ces obligations, comme ce fut le cas dans la décision Services ménagers Roy. De plus, il faut également considérer le rôle important que joue le gouvernement dans la gestion de la pandémie et ses conséquences sur le public, en tant que citoyens et employés. Par conséquent, l’application des mesures gouvernementales, y compris la distribution de vaccins, est-elle suffisante pour assurer la sécurité des travailleurs, ou d’autres mesures sont-elles nécessaires, comme des lois sur la vaccination obligatoire ? Ce sont là des questions délicates auxquelles répondre et tenter de concilier.

Aucune solution universelle

Ces récentes décisions d’arbitrage rappellent que chaque cas représente un cas d’espèce et qu’il n’y a pas de modèle uniforme et applicable à tout employeur, employé ou syndicat. Ainsi, ces réflexions doivent être proportionnellement adaptées à chacun et nous vous suggérons de contacter un membre du groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG pour vous conseiller sur votre situation particulière.

À la suite de ces premiers développements jurisprudentiels concernant les politiques de vaccination, le débat semble déjà plutôt se concentrer sur des enjeux très précis. Il apparaît nécessaire de prendre un peu de recul et de reconsidérer les principes de base du régime de santé et sécurité au travail canadien, notamment les articles 2 et 4 de la LSST québécoise, par exemple. Ces articles stipulent que la loi vise « l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs » et tous les employeurs, employés et syndicats devraient tenir compte de la nature d’ordre public de ces dispositions. Ces principes doivent servir de point de départ lors de toute analyse sur la légalité d’une politique de vaccination, notamment lorsqu’il est question de la pondération entre les droits des personnes vaccinées et les droits des personnes non vaccinées. Comme l’a indiqué l’arbitre Denis Nadeau dans la décision Services ménagers Roy, les droits de certains employés en vertu de la charte ne peuvent servirent à occulter le droit à la santé et la sécurité au travail du reste de leurs collègues, ni l’obligation des employeurs de prendre les mesures pour protéger la santé et la sécurité au travail de leurs employés.

Enfin, bien que cette jurisprudence ait été positive pour les employeurs et les syndicats, dans la mesure où nous sommes tous mieux informés de l’interprétation à donner aux politiques de vaccination, les dernières semaines nous forcent à prendre du recul et à reconsidérer l’applicabilité de cette jurisprudence dans le contexte actuel. Comme nous l’avons mentionné, partout au Canada les gouvernements ont commencé à éliminer l’utilisation des passeports vaccinaux, à assouplir les limites d’occupation, à éliminer l’obligation du travail à distance et à permettre aux gens de se retrouver, progressivement. Plus particulièrement, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail du Québec a énoncé sur son site internet les lignes directrices suivantes, entre autres : « le travail à distance n’est plus obligatoire et un retour au travail hybride progressif est possible et selon les modalités décidées par l’employeur et un choix entre le port de masques ou une distance sociale de deux (2) mètres ou le maintien de barrières physiques. »

En terminant

Que signifie ce qui précède pour les prérogatives des employeurs, les droits des employés et les prochaines mesures que les employeurs devraient prendre à l’égard des employés non vaccinés ou partiellement vaccinés? Les employeurs peuvent-ils raisonnablement continuer d’établir et appliquer des règlements qui imposent la nécessité d’être entièrement vacciné et licencier les employés qui refusent ou ne sont pas disposés à suivre les procédures de vaccination en place? La réponse à cette question devient encore plus complexe lorsque les gouvernements assouplissent les anciennes règles et, par le fait même, l’interprétation que l’on doit en faire.

C’est la nouvelle réalité à laquelle les employeurs doivent faire face à l’avenir. Les deux dernières années ont représenté une série d’obstacles et de rebondissements. L’évolution actuelle des enjeux constitue un autre obstacle que les employeurs doivent prendre en considération. Même si beaucoup diront qu’il faut maintenir le cap, il y a lieu de se demander comment les arbitres et les juges du TAT s’adapteront face à l’évolution du contexte législatif. À la lumière de ce qui précède, les employeurs seraient bien avisés de réexaminer leurs politiques existantes et de se demander s’ils doivent conserver les mêmes politiques, les supprimer ou simplement évaluer chaque situation au cas par cas, afin de prendre leurs décisions en conséquence.

Il n’y a pas de bonne réponse à l’heure actuelle, mais comme toujours le groupe Droit du travail et de l’emploi de BLG continuera de surveiller ces dossiers relatifs aux politiques de vaccination au fur et à mesure qu’ils seront traités par les tribunaux et les arbitres de griefs, afin de mieux vous tenir au courant de la jurisprudence et des éléments réglementaires pertinents.

Si vous avez des questions sur ce bulletin ou sur la manière dont votre entreprise peut être affectée par la mise en œuvre ou le déploiement des politiques de vaccination, veuillez communiquer avec l’une des personnes-ressources ci-dessous.


Les auteurs tiennent à remercier Samuel Roy, étudiant, pour son aide avec la rédaction de cet article.

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