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Perspectives

Une décision d’un tribunal inférieur concernant la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies est confirmée par la Cour suprême du Canada

Dans Canada c. Canada North Group Inc., la Cour suprême du Canada (la « Cour ») a déterminé que les instances inférieures pouvaient permettre l’octroi de charges d’origine judiciaire en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (la « LACC »), y compris la charge en faveur du prêteur temporaire, les faisant passer devant la fiducie réputée du ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (la « LIR »).

Contexte

Le 28 juillet 2021, la Cour a rendu sa décision à cinq juges contre quatre dans l’affaire Canada c. Canada North Group Inc.1 (la « décision »).

Cette affaire mettait en cause des charges super prioritaires d’origine judiciaire réclamées par Canada North Group et six sociétés liées (collectivement « Canada North ») en vertu d’une demande concernant des procédures de restructuration déposée sous le régime de la LACC. Plus particulièrement, Canada North s’est vu accorder les charges super prioritaires suivantes :

  1. une charge visant des frais administratifs constituée en faveur des avocats, du contrôleur et du directeur de la restructuration pour les frais qu’ils ont engagés;
  2. une charge de financement en faveur d’un prêteur temporaire;
  3. une charge constituée en faveur des administrateurs en vue de les protéger ainsi que les dirigeants contre les obligations contractées après l’introduction de l’instance.

Décision

La juge Côté, s’exprimant en son propre nom, le juge en chef Wagner et le juge Kasirer se sont penchés sur le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 11 de la LACC permettant d’ordonner, dans le cadre du processus de restructuration, que des charges super prioritaires, y compris la charge visant les frais administratifs et celle en faveur du prêteur temporaire, passent avant la fiducie réputée créée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées conformément à la LIR. La juge Côté a en outre mis l’accent sur l’importance de garantir aux prêteurs fournissant un financement de débiteur-exploitant que leur charge aura préséance. La Cour a conclu que cette priorité était nécessaire pour assurer qu’un débiteur sous le régime de la LACC a toutes les occasions possibles de se restructurer aux termes de la loi.

Au moment de sa demande initiale en vertu de la LACC, Canada North avait une dette envers le ministre à l’égard de retenues à la source des employés et de la TPS non versées. La Couronne a avancé que le juge chargé d’appliquer la LACC ne pouvait pas subordonner la fiducie réputée du ministre et que d’accorder la préséance à des charges super prioritaires dans ce contexte contreviendrait au paragraphe 227(4.1) de la LIR. Qui plus est, les retenues à la source et les montants de TPS sont la propriété des employés et des clients concernés, non pas de Canada North, qui a fait défaut de verser au ministre les sommes perçues à ce titre. L’argent en cause n’a d’ailleurs jamais appartenu à Canada North – l’employeur ne devait que servir d’intermédiaire pour les contribuables.

La majorité de la Cour a soutenu que même si le paragraphe 227(4.1) prévoit que le ministre doit recevoir le produit découlant des biens et services du débiteur « par priorité sur une telle garantie » au sens du paragraphe 224(1.3), les charges super prioritaires ordonnées par le tribunal en vertu de l’article 11 de la LACC ne figurent pas dans la liste exhaustive dressée dans l’article 224(1.3). Elle a poursuivi en affirmant que le paragraphe 227(4.1) ne donne pas d’intérêt à titre de propriétaire dans les biens du débiteur suffisant pour empêcher une ordonnance judiciaire, puisque cette disposition ne crée pas un droit de bénéficiaire pouvant être considéré comme un intérêt à titre de propriétaire.

Elle confère en fait au ministre le même droit de propriété qu’une fiducie de common law, ce qui soulève diverses questions concernant les droits de ce dernier sur l’impôt à retenir et à verser en vertu de la LIR, étant donné qu’il s’agit de fonds des employés et des clients de Canada North dus au ministre (et non appartenant à Canada North ou à ses créanciers).

Bien que la Cour confirme dans sa décision que le juge en cabinet a le pouvoir de subordonner les réclamations relatives à une fiducie réputée en vertu de la LIR à une charge relative à un prêteur temporaire (ou autre), elle laisse également place à l’interprétation. Par exemple, la juge Côté a déclaré que certaines circonstances pourraient ne pas se prêter à la subordination des charges super prioritaires à la réclamation de la Couronne au titre de la fiducie réputée, notamment lorsque la créance est peu élevée ou connue avec une grande certitude. Dans un tel cas, la Cour estime que les entités commerciales seront en mesure de gérer leurs risques et n’auront pas besoin d’une super priorité.

Cependant, aucune définition de ce qui constitue une créance « peu élevée » ou connue avec une « grande » certitude n’a été établie, ce qui permet à la Couronne de contester la priorité relative d’une charge en faveur d’un prêteur temporaire, par exemple, ou de faire valoir que la super priorité ne convient pas dans les circonstances.

La Cour invoque également un autre exemple où la subordination pourrait être inappropriée en vertu de la LIR, à savoir lors d’une procédure de liquidation prévue par la LACC. Dans ce contexte, puisque l’objectif est de maximiser le rendement au profit des créanciers (plutôt que de restructurer la société débitrice en tant qu’entreprise en exploitation), la subordination de l’intérêt de la Couronne se justifierait moins. Ce raisonnement ne tient toutefois pas compte du fait que la demande de financement provisoire se fait généralement au début des procédures intentées sous le régime de la LACC, à un moment où il n’est souvent pas encore clair si on procédera à une liquidation ou plutôt à une restructuration de la société débitrice sur une base de continuité d’exploitation. De surcroît, une procédure aux termes de la LACC peut comprendre à la fois une liquidation des actifs en vertu de l’article 36(3) (et constituer une « liquidation prévue par la LACC ») et un plan de transaction ou d’arrangement2.

De plus, la décision majoritaire de la Cour insiste notamment sur le caractère essentiel du financement provisoire et de la charge connexe en ce qui a trait au processus de la LACC et à la capacité du débiteur de tenter de conclure un arrangement. Elle précise également qu’il est nécessaire de garantir aux prêteurs temporaires une priorité relative et que « pour assurer l’intégrité, la prévisibilité et l’équité du processus de la LACC, la certitude doit caractériser l’octroi de ces charges super prioritaires »3. En laissant la porte ouverte à la subordination d’une charge relative à un prêteur temporaire dans le cadre d’une liquidation sous le régime de la LACC, la Cour met cependant en péril la certitude qu’elle considérait comme primordiale, de même que le processus dans son ensemble.

Points à retenir

Bien que cette décision confirme qu’un tribunal inférieur peut donner la priorité aux charges super prioritaires sur la fiducie réputée en faveur de la Couronne à l’égard des retenues à la source non versées en application de la LIR, elle ne clôt pas le débat sur le sujet. Elle offre en fait la possibilité à la Couronne de contester, dans certaines circonstances, la pertinence de la priorité accordée au titre de la LACC.

Étant donné les commentaires de la Cour quant à la certitude nécessaire pour protéger les intérêts des bénéficiaires des charges – et la restructuration en tant que telle –, toute contestation de ce genre devra être exprimée au début des procédures, au moment où les charges sont accordées. Une subordination après cette étape n’aurait « rien d’équitable ».

Les groupes Fiscalité et Insolvabilité et restructuration de BLG sont en mesure de vous donner des conseils au sujet de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et de la Loi sur l’impôt sur le revenu. Pour toute question concernant la décision de la Cour suprême ou son incidence sur votre entreprise, communiquez avec l’une des personnes-ressources dont le nom figure ci-après.


1 Canada c. Canada North Group Inc., 2021 CSC 30.

2 Voir par exemple les procédures de GASFRAC Energy Services Inc. et du Walton Group of Companies sous le régime de la LACC.

3 Canada North, paragr. 29 (cité dans First Leaside Wealth Management Inc. (Re), 2012 ONSC 1299, paragr. 51).

  • Par : Robyn Gurofsky, Elizabeth Egberts