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Perspectives

Perte de connexions : la technologie sans fil 5G et les risques en matière d’aviation

Les incidents et les accidents d’aéronefs sont complexes. Lorsqu’ils se produisent, ils peuvent faire intervenir une multitude de facteurs, tels que l’erreur humaine, des problèmes organisationnels et des facteurs environnementaux. Dernièrement, un nouveau facteur de risque lié au progrès technologique est apparu officiellement au sein de l’industrie de l’aviation : la technologie sans fil 5G.

Qu’est-ce que la 5G?

La 5G est une force invisible, mais essentielle dans nos vies. Le spectre de radiofréquence soutient notre dépendance aux communications sans fil, les radiofréquences étant essentielles pour les affaires, l’utilisation personnelle de téléphones sans fil, les technologies autonomes et l’aviation.

Les ondes radio voyagent à travers le spectre électromagnétique, qui se compose de bandes de fréquences; celles-ci sont comparables à une autoroute à plusieurs voies, chaque voie présentant ses propres caractéristiques uniques. Ce sont ces caractéristiques qui déterminent qui est habilité à utiliser une telle voie ou bande de fréquences. Certaines de ces bandes nécessitent une licence d’utilisation. Au Canada, c’est l’organisme Innovation, Sciences et Développement économique qui gère le spectre, alors qu’aux États-Unis, ce mandat appartient à la Federal Communications Commission (FCC).

La 5G constitue la cinquième génération de communication sans fil, ouvrant une nouvelle « voie d’autoroute » permettant une connectivité, un temps de réponse et une bande passante accrus. La première génération (1G), lancée au début des années 1980, a mené à des téléphones sans fil capables de transmettre de l’audio seulement. Le progrès technologique s’est poursuivi jusqu’à la 4G, nous offrant continuellement une meilleure connectivité au fil du temps. Le réseau 5G changera la donne en matière d’affaires et de communication.

La communication 5G exploite la bande de fréquences de 3,7 à 4,2 GHz. Une partie de cette bande, plus précisément celle qui est désignée comme la fréquence de 3,7 à 3,98 GHz, sera consacrée à la 5G (parfois appelée la bande C). Habituellement, le trafic sur la bande C n’est pas important, étant donné l’occupation actuelle de la bande par des satellites de faible puissance. Toutefois, la situation évolue et la cette bande pourrait bientôt devenir très achalandée.

Compte tenu du développement et de l’adoption de nouvelles technologies, savoir discerner une théorie du complot d’une menace réelle peut prendre du temps. Au cours des dernières années (particulièrement à la fin de 2020 et au début de 2021), des sources réputées nous ont avertis que le lancement de la 5G pourrait avoir des incidences négatives sur la sécurité des activités aéronautiques dans l’espace aérien inférieur.

Altimètres radar

Pour comprendre l’enjeu, nous devons tout d’abord définir l’instrument d’avionique à la source des inquiétudes pour la sécurité aérienne.

Dans un aéronef, l’altimètre est le seul instrument qui permet au pilote de connaître la distance qui le sépare du sol ou des obstacles. L’altimètre mesure la distance entre l’aéronef et le sol au moyen de radiofréquences dans la « voie d’autoroute » se trouvant juste au-dessus de la gamme de fréquences de 4 GHz. L’altimètre est un instrument essentiel utilisé au décollage, à l’atterrissage et dans les vols à faible altitude. Il peut également fournir des informations cruciales à d’autres systèmes de bord, comme les systèmes de surveillance du trafic et d’évitement des collisions (TCAS). Les aéronefs commerciaux, civils et militaires, ainsi que les hélicoptères et certains drones sont tous munis d’un altimètre.

Aviation radar altimeters

Les altimètres radar utilisent la gamme de fréquences de 4,2 à 4,4 GHz, juste au-dessus de la bande C prévue pour la 5G.

La mauvaise lecture d’un altimètre peut avoir de graves conséquences et mettre en danger le pilote, l’aéronef et tous les passagers1.

Le rapport de la RTCA et le risque en matière d’aviation

La Radio Technical Commission for Aeronautics (RTCA) est une association privée sans but lucratif. Elle travaille régulièrement de pair avec le gouvernement pour ce qui touche la certification de matériel d’aéronef et l’élaboration des normes de l’industrie de l’aviation à des fins de conformité réglementaire2.

Le 8 octobre 2020, la RTCA a publié un rapport de 231 pages à la suite de son étude sur l’interférence des émissions 5G avec le rendement de l’altimètre radar d’un aéronef3.Cette publication constitue une réponse à l’expansion anticipée de la bande C 5G. À ce jour, la publication de la RTCA constitue l’analyse la plus exhaustive sur ce sujet.

Les résultats des essais et de l’évaluation de la RTCA, lesquels figurent dans son rapport évalué par des pairs, révèlent [traduction] « un risque majeur que les systèmes de télécommunications se situant dans la bande de 3,7 à 3,98 GHz causent une interférence préjudiciable avec les altimètres radar de tout type d’aéronef civil – y compris les avions de transport commercial, les avions d’affaires, de transport régional et d’aviation générale et les hélicoptères de transport et d’aviation générale4 ». L’interférence de la 5G pourrait entraîner une mauvaise lecture des altimètres, voire une panne totale des altimètres, ce qui empêcherait un pilote de connaître la distance qui sépare son appareil du sol.

Dans le cadre de l’analyse du rapport de la RTCA d’octobre 2020, l’exemple d’une approche d’atterrissage à l’aéroport O’Hare de Chicago est employé. La RTCA a adopté une approche de précision vers la piste 27L, puisqu’il s’agit de [traduction] « la piste la plus utilisée pour les arrivées à O’Hare5 ». La RTCA a également été en mesure de déduire où se situaient les emplacements des stations de base 5G en fonction des emplacements des stations de base 4G existantes, lesquelles se trouvaient au sein ou à proximité de l’axe d’approche de la piste 27L. La RTCA a ensuite évalué le risque d’interférence de la 5G dans le cadre de l’atterrissage d’un aéronef sur la piste 27L. Elle a conclu que les cinq stations de base produisaient une interférence allant au-delà de la marge de sécurité prévue pour une approche en direction de l’aéroport O’Hare6.

Dans sa publication, la RTCA n’a pas écarté la possibilité de [traduction] « pannes catastrophiques entraînant plusieurs décès, en l’absence de mesures d’atténuation des risques appropriées », en raison du risque d’interférence de la 5G ayant été établi relativement à l’aviation dans l’espace aérien inférieur7

La vente aux enchères record du spectre 5G

Dans la foulée du rapport de la RTCA d’octobre 2020, plusieurs groupes commerciaux, dont la Aerospace Industries Association, la Air Line Pilots Association, la National Business Aviation Association, ainsi que plusieurs autres, ont exigé que la FCC envisage des mesures d’atténuation des risques8. Au début du mois de décembre 2020, l’industrie de l’aviation a manifesté ses préoccupations à l’égard de la décision de la FCC de redistribuer une partie de la bande de fréquences de 3,7 à 4,2 GHz, de manière à rendre la partie de 3,7 à 3,98 GHz disponible pour la 5G. La redistribution en faveur de la 5G pourrait créer de l’interférence avec les altimètres radar du monde entier qui utilisent la bande de fréquences de 4,2 à 4,4 GHz. Pour cette raison, l’industrie de l’aviation a présenté une demande de suspension de la vente aux enchères des licences d’utilisation du spectre, laquelle devait commencer le 8 décembre 2020.

De plus, une demande avait été présentée par la Federal Aviation Administration et le Department of Transportation le 1er décembre 2020 en vue d’interrompre la vente aux enchères de la FCC9.

Malgré les essais et le rapport de la RTCA et les requêtes émanant de l’industrie, la première étape de la vente aux enchères du spectre 5G de la FCC s’est terminée le 15 janvier 202110.

Il s’agit de la vente aux enchères de spectre la plus lucrative des États-Unis en ce qui a trait à l’achat par le secteur privé de licences d’utilisation du spectre dans la bande C, dont le produit brut a dépassé 80,9 G$ US. Les résultats de cette vente aux enchères permettront d’améliorer les services sans fil offerts aux consommateurs. Une partie du produit sera remise à des exploitants de satellites qui utilisent présentement la bande C, en vue de déplacer leurs activités vers une autre partie du spectre. Cela soulève des questions quant aux exploitants dont les altimètres fonctionnent à proximité de la bande C et pourraient subir des interférences, comme il est indiqué dans l’étude de la RTCA.

La FCC a écarté la préoccupation soulevée par la RTCA et affirme que la 5G ne suscitera pas d’interférence problématique dans la bande C, compte tenu de la zone tampon de 200 MHz entre la bande C et la bande utilisée par les altimètres radar. Par ailleurs, la FCC a exprimé des réserves quant à l’étude exhaustive menée par la RTCA, étant d’avis que la RTCA avait employé des paramètres trop contraignants dans le cadre de ses essais, et n’avait pas ventilé ses données relativement à la marque ou au modèle d’altimètre11. Toutefois, il est difficile de savoir si la FCC dispose d’informations lui permettant de déterminer la meilleure marque ou le meilleur modèle d’altimètre aux fins de prévention d’interférence de la 5G.

Prévenir l’interférence de la 5G pour l’aviation

L’avènement de la technologie 5G constituera une révolution en matière de communication. Cette technologie contribuera à la croissance économique et représente un progrès dont les secteurs de l’aviation et de l’aérospatiale ne peuvent se passer. Néanmoins, il n’existe qu’une seule étude exhaustive actuellement, et il subsiste un manque apparent de communication entre la RTCA et la FCC à l’égard du risque relatif à la sécurité aérienne qui a été déterminé.

Par conséquent, la manière dont les progrès internationaux en matière d’aviation et de télécommunication se poursuivront en parallèle demeure incertaine. Les progrès pourraient impliquer des changements sur le plan du fonctionnement de la 5G ou de la conception d’altimètres, dans le but de réduire ou d’éliminer toute interférence. Honeywell, un chef de file en matière d’altimètres radar, mène présentement des essais à cet égard12. Or, il est possible que la conception d’altimètres adaptés et leur installation subséquente dans tous les aéronefs potentiellement affectés par la 5G ne soient pas réalisables, et il est difficile de savoir si l’industrie de l’aviation, à elle seule, serait en mesure d’assumer ces coûts.

En France, les préoccupations relatives au risque d’interférence de la 5G ont entraîné un ralentissement de son déploiement, la question faisant l’objet d’une évaluation par la DGAC (l’équivalent français de Transports Canada ou de la FAA). Dans le cas de la DGAC, il est possible que d’autres mesures soient adoptées dans le but de créer une protection de zonage autour des aéroports, afin de s’adapter au lancement de la 5G « comme à chaque évolution technologique13 ». L’approche adoptée en France pourrait également se prêter à un changement de procédures quant à l’utilisation de l’avionique. Par ailleurs, cette approche pourrait avoir une incidence sur le moment et la manière dont la 5G est employée autour de certains aéroports. Le 3 février 2021, la General Civil Aviation Authority des Émirats arabes unis a émis l’alerte à la sécurité 2021-03 afin de répondre à des [traduction] « risques opérationnels majeurs » pouvant être causés par la technologie 5G relativement au fonctionnement de radioaltimètres et de radios d’intracommunication avionique sans fil14.

Au Canada, des discussions se tiennent entre Transports Canada, Aviation civile (TCAC) et Innovation, Sciences et Développement économique quant aux enjeux de responsabilité soulevés dans le cadre de la mise en œuvre de la 5G. L’approche proposée par TCAC est orientée vers la sécurité, préconisant que la sélection des bandes de fréquences ne doive pas être influencée par des motifs d’ordre économique ou par une volonté d’harmonisation avec les décisions prises aux États-Unis15.

Conclusion

Les conséquences à long terme de la 5G sur l’aviation sont encore inconnues. Pourtant, même si ce risque est encore mal compris, des leçons potentielles sont à portée de main.

L’existence de la télécommunication sans fil et du secteur de l’aviation repose sur leur objectif commun de rapprocher les gens; par conséquent, l’absence de terrain d’entente entre ces deux industries géantes concernant l’enjeu de la 5G constitue l’antithèse de ce que chacune d’elles représente. Un risque important pouvant influencer l’utilisation des altimètres a été repéré, mais il n’existe à l’heure actuelle qu’une seule étude exhaustive menée par la RTCA, qui a été publiée en octobre 2020.

Parallèlement à cette évolution, des facteurs d’ordre économique accélèrent la prise de décisions relatives au sans-fil. Un manque de compréhension et de dialogue alors que des frictions commencent à se manifester entre deux industries (l’aviation et la communication sans fil) pourrait mener à des échecs catastrophiques. Par ailleurs, le fait de revenir aux racines de la connectivité et d’entretenir un dialogue ouvert qui laisse envisager des compromis pourrait également mener à l’ingéniosité technique. La seconde voie, bien qu’elle présente davantage de défis à ce stade-ci, pourrait bien constituer la meilleure option en vue de la poursuite de la croissance économique et de la préservation de la sécurité aérienne.


1 Un exemple d’une mauvaise lecture catastrophique est le tragique accident du Boeing 736-800 du vol 1951 de Turkish Airlines survenu le 25 février 2009, près de l’aéroport Schiphol à Amsterdam.

2  Radio Technical Committee for Aeronautics 

3 Assessment of C-Band Mobile Telecommunications Interference Impact on Low Range Radar Altimeter Operations. https://www.rtca.org/news/rtca-announces-new-white-paper-on-5g-interference-impact-on-radar-altimeter-operations/[Rapport d’octobre 2020 de la RTCA]

4 Ibid.

5 Rapport de la RTCA d’octobre 2020, page 44, section 8.1.2.

6 Rapport de la RTCA d’octobre 2020, page 77, section 10.2.1.

7 Rapport de la RTCA d’octobre 2020, page 88, section 11.2.

8 Federal Communications Commission filing: ID1207131706609 (en anglais)

9 As 5G auction continues, Pentagon turns to safety planning (en anglais)

10 First phase record breaking 5G spectrum auction concludes. (en anglais)

11 The military is scrambling to understand the aviation crash risk from a new 5G sale (en anglais)

12 Honeywell to test private 5G network (en anglais)

13 Sécurité : la DGAC retarde le déploiement de la 5G dans les aéroports (en anglais)

14 Safety Alert 2021-03 - Requirements to mitigate 5G interference operational risks (en anglais)

15 Consultation on the technical and policy framework for the 3650-4200 MHz band and changes to the frequency allocation of the 3500-3650 MHz band (en anglais)

  • Par : Katherine Ayre