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Perspectives

Une question remise à plus tard : Wastech, Vavilov et les sentences arbitrales

Nous ignorons toujours dans quelle mesure le cadre d’analyse de la norme de contrôle établi dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 s’applique en matière d’arbitrage commercial. En effet, dans sa récente décision Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, la Cour suprême du Canada a décidé à la majorité de « [remettre] à plus tard » cette question.

Contexte

Wastech Services Ltd. (« Wastech ») s’occupe du transport et de l’élimination de déchets. En 1996, Wastech et la société Greater Vancouver Sewerage and Drainage District (« Metro ») ont conclu un contrat de 20 ans visant l’élimination de déchets dans le district régional du Grand Vancouver.

Wastech avait convenu d’enlever ces déchets et de les transporter vers trois installations d’élimination des déchets. Pour sa part, Metro était responsable de répartir les déchets entre ces installations. Le volume de déchets envoyé à chacune pesait lourd dans le calcul de la rémunération de Wastech. Or, en 2010, Metro a revu du tout au tout la répartition des déchets entre les trois installations : impossible désormais pour Wastech d’atteindre ses recettes d’exploitation cibles.

Au contrat figurait une clause d’arbitrage dont s’est prévalue Wastech, alléguant que Metro n’avait pas respecté le contrat. L’arbitre lui a donné gain de cause.

Saisie de l’appel, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a invalidé la sentence arbitrale, décision qu’a ensuite confirmée la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Wastech s’est enfin pourvue devant la Cour suprême du Canada.

L’applicabilité de Vavilov à l’arbitrage commercial demeure incertaine

L’affaire Wastech était l’occasion pour la Cour suprême du Canada de clarifier si Vavilov avait changé le cadre d’analyse de la norme de contrôle déférentielle applicable aux appels de sentences arbitrales commerciales établi dans Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53 et Teal Cedar Products Ltd. c. British Columbia, 2017 CSC 32.

Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a statué que les normes applicables en appel s’emploient lorsque le législateur prévoit la possibilité d’appeler d’une décision administrative devant une cour de justice. Elle a indiqué rompre de ce fait avec le cadre d’analyse de la norme de contrôle judiciaire des décisions administratives établi dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. La question de l’arbitrage commercial n’a cependant pas été abordée.

Depuis Vavilov, trois courants jurisprudentiels se sont articulés autour de ses incidences en matière d’arbitrage commercial :

  • Vavilov s’applique;
  • Vavilov ne s’applique pas;
  • Vavilov ne s’applique que si l’intervention judiciaire est spécifiquement désignée comme un « appel ».

Ainsi, l’incertitude plane quant à l’interprétation à donner au cadre législatif de l’arbitrage commercial, les tribunaux ne pouvant intervenir en la matière que par voie judiciaire – que cette intervention soit désignée ou non comme un appel –, contrairement aux affaires de droit administratif, où leur compétence est de nature constitutionnelle.

Les six juges majoritaires dans Wastech ont choisi de « [remettre] à plus tard l’examen de l’effet, le cas échéant, de l’arrêt Vavilov sur les principes relatifs à la norme de contrôle énoncés dans les arrêts Sattva et Teal Cedar ». Ils se sont justifiés de n’avoir pu ni recevoir des observations sur cette question ni recourir aux motifs des instances inférieures sur ce point. Nonobstant cette décision, ils ont par ailleurs soulevé que l’arrêt Vavilov «ne fait pas référence aux arrêts Teal Cedar et Sattva, décisions où il est souligné que la déférence répond aux objectifs particuliers de l’arbitrage commercial ».

Pour leur part, les juges minoritaires dans Wastech,donnant voix à leur préoccupation quant à l’incertitude de cette question, ont critiqué la décision de la majorité de ne pas la trancher :

Les conséquences [du] refus [de la majorité] de se prononcer sur la norme de contrôle appropriée sont tout aussi préoccupantes, et risquent de miner la décision de la Cour dans l’arrêt Vavilov en ce qui a trait aux appels prévus par la loi. Laisser cette question sans réponse risque de causer de la confusion et de susciter des conflits1.

Selon les juges minoritaires, Vavilov a remplacé le raisonnement exposé dans les arrêts Sattva et Teal Cedar. Leur raisonnement est que les différences entre l’arbitrage commercial et le processus décisionnel administratif n’ont pas d’incidence sur la conclusion que les normes applicables en appel s’appliquent aux droits d’appel prévus par la loi en ce qui concerne l’interprétation législative. En outre, ils ont jugé que les facteurs qui justifient la déférence envers un arbitre ne sont pas pertinents à l’exercice d’interprétation législative à réaliser.

Points à retenir

Bien que l’opinion minoritaire puisse grandement influencer les tribunaux d’instance inférieure, la majorité a visiblement hésité à appliquer les principes établis en droit administratif en matière d’arbitrage commercial sans avoir d’abord étudié la question plus en profondeur.

Il s’ensuit de la décision majoritaire de reporter la clarification du droit en la matière que les parties dont la sentence arbitrale est portée en appel devraient s’attendre à ce que le déroulement de cet appel et les coûts supplémentaires s’y rapportant soient incertains. De même, les parties qui préparent une convention d’arbitrage commercial seraient avisées d’examiner attentivement ce que prévoient les divers régimes juridiques canadiens en matière d’appel, et de se demander s’il serait ou non opportun de se prévaloir de dispositions leur permettant d’éviter un appel devant les tribunaux.

Pour en savoir plus, lisez l’article de BLG sur le raisonnement de la Cour suprême du Canada en matière de bonne foi dans l’exécution d’obligations contractuelles.


1 Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, par. 122.

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