Aperçu
Depuis des décennies, les substances per- et polyfluoroalkyliques (SPFA) sont omniprésentes dans nos vies. Batteries de cuisine, tapis, vêtements, produits de nettoyage, mousses extinctrices... il est pratiquement impossibled’échapper à ces composés synthétiques. Même si on les trouve déjà un peu partout, les études sur leurs effets à long terme sur la santé et l’environnement ne sont pas encore conclues.
Partout en Amérique du Nord, on prend des mesures pour s’attaquer aux conséquences émergentes des SPFA. Aux États-Unis, le président Joe Biden a promis de se pencher sur le problème des SPFA dans l’eau potable. Chez nous, Environnement Canada a désigné le sulfonate de perfluorooctane (SPFO) comme substance toxique en 2009. Le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs (MEPP) de l’Ontario étudie actuellement les SPFA, et la Colombie-Britannique est la seule province à avoir adopté une réglementation en la matière. Un règlement fédéral est attendu en 2021.
Mentionnons que la plupart des études environnementales réalisées dans le cadre de transactions immobilières et de vérifications diligentes s’appuient sur les listes de contaminants établies par les organismes de réglementation des différents territoires. Le MEPP, par exemple, a fixé des « normes de restauration du site » en 2011. Comme la plupart des provinces et territoires du Canada ne les réglementent actuellement pas, les SPFA ne sont pas analysées dans les études de phase 2.
Les litiges concernant les SPFA sont nombreux aux États-Unis, tendance qui devrait s’amener au Canada à mesure que l’on en apprend davantage sur les risques qu’ils posent.
Ce qu’il faut savoir
- Les SPFA regroupent près de 5 000 composés chimiques synthétiques différents et sont surtout connues pour leurs liaisons carbone-fluor. Cette liaison est la plus forte qui soit en chimie organique : les SPFA se dégradent donc extrêmement difficilement.
- Pendant des années, les SPFA étaient considérées comme des substances sécuritaires, non réactives et sans effet sur les tissus vivants. Maintenant, on les appelle « produits chimiques éternels » (forever chemicals en anglais), puisqu’il n’existe aucun moyen naturel de défaire leurs liaisons carbone-fluor.
- En 2013, le programme de biosurveillance de Santé Canada a détecté la présence de SPFO et d’acide perfluorooctanoïque (APFO) dans les tissus ou le sang de tous les Canadiens formant l’échantillon, et ce, même si les SPFA ne sont pas produites au Canada (et qu’elles ne l’ont jamais été).
- Les Canadiens continueront d’être exposés à toutes sortes de SPFA en raison de l’importation de produits qui en contiennent.
Où trouve-t-on des SPFA au Canada?
Les SPFA sont omniprésentes au Canada. Voici où on en trouve le plus souvent :
- Mousses extinctrices et produits contre les incendies
- Alimentation – Produits emballés dans des matériaux contenant des SPFA, traités avec de l’équipement utilisant des SPFA ou cultivés dans un sol ou avec de l’eau contenant des SPFA
- Produits ménagers – Tissus antitaches et hydrofuges, produits antiadhésifs (ex. : Teflon), cires, peintures, cosmétiques et produits de nettoyage
- Lieux de travail – Usines de fabrication et autres établissements utilisant des SPFA
- Eau potable – Généralement à un endroit précis en raison de la présence d’une usine
- Organismes vivants – Poissons, animaux et humains (les SPFA peuvent s’accumuler dans leur système et y demeurer)1
Les SPFA ne se forment pas naturellement : elles sont relâchées pendant la fabrication et le transport, lors de l’utilisation de produits ménagers et lors de la décomposition de SPFA plus importantes. Par conséquent, on peut en détecter un peu partout. Ces produits chimiques éternels en sont même venus à contaminer les régions les plus éloignées du Canada, y compris la plus importance source d’eau douce au pays : les Grands Lacs. Loin d’être stoppées par les frontières, les SPFA se déplacent partout sur la planète.
Problèmes liés à la pandémie à l’horizon?
Des questions demeurent quant aux liens entre ces substances et la COVID-19. Exacerbent-elles les infections? Peuvent-elles entraver les voies métaboliques sollicitées par la maladie? Les chercheurs étudient actuellement les liens potentiels entre l’exposition à des SPFA et le coronavirus2. Les études les plus récentes suggèrent que les SPFA pourraient empirer les effets du coronavirus3. Elles indiquent en outre que la concentration actuelle des SPFA dans le corps pourrait suffire à atténuer l’efficacité des vaccins et des anticorps4. Voilà un point qui pourrait être soulevé dans de futurs litiges. Si les inquiétudes quant aux SPFA ne datent pas d’hier, les circonstances actuelles feront certainement naître de nouvelles difficultés.
Quel traitement les tribunaux réservent-ils aux SPFA?
Jusqu’ici, le Canada a connu très peu de litiges relatifs aux SPFA. À l’inverse, les cas pullulent aux États-Unis. Ils portent principalement sur la contamination de l’environnement et les conséquences sur la santé humaine. Par exemple, en 2017, E. I. du Pont de Nemours and Company (« DuPont ») et la Chemours Company (« Chemours ») ont convenu d’un règlement de 671 M$ US dans le cadre d’une action collective pour lésions corporelles, sans compter les réclamations présentées après le règlement.
Les obligations d’information dans le domaine des valeurs mobilières alimentent aussi les litiges. De nombreuses procédures judiciaires ont été entamées par des actionnaires accusant des sociétés de produits chimiques (comme 3M5 et Chemours6) d’avoir induit leurs investisseurs en erreur quant à l’ampleur des passifs attribuables aux SPFA. Ces actionnaires allèguent que les hauts dirigeants n’ont déclaré ces risques financiers que tout récemment, même s’ils les connaissaient depuis des décennies7. Des éléments de preuve suggèrent que les scientifiques de 3M et de DuPont ont commencé à comprendre que les SPFA étaient bioaccumulables et toxiques dès les années 508.
En 2019, Chemours a engagé (sans succès) une poursuite9 hautement médiatisée contre DuPont, l’accusant de lui avoir légué un important passif lié aux SPFA10. Chemours est une société issue de la scission par DuPont de sa division des produits chimiques haute performance en 2015. Elle a depuis dû assumer différents passifs découlant de poursuites intentées contre DuPont.
Conclusions
Les répercussions des SPFA sur l’environnement constituent un enjeu émergent au Canada. Vu la multiplication des études provinciales, et en attendant la réglementation fédérale, ces risques retiendront vraisemblablement de plus en plus l’attention, d’autant plus que les études liées à la COVID-19 font l’objet d’une étroite surveillance. Si l’on retient l’expérience américaine comme exemple, on peut s’attendre à ce que les études sur les SPFA, la gestion des risques qui leur sont associés et les litiges qui portent sur elles deviennent de plus en plus ciblés au Canada. Pour bien choisir leur approche, les provinces et territoires devront élaborer un plan d’action à la lumière de données probantes et des avis de différentes parties prenantes prévoyant des solutions à court terme et des stratégies à long terme pour la gestion de ces « produits chimiques éternels ».
Nous remercions Neda Foroughian, stagiaire chez BLG, pour sa contribution à cet article.
1 IARC, IARC Monographs on the Evaluation of Risk to Humans (7 juillet 2019).
2 Université du Rhode Island, New research examines suspected links between PFAS exposure and COVID-19.
3 MedRxiv, Severity of COVID-19 at elevated exposure to perfluorinated alkylates (26 octobre 2020).
4 Massive Science, These common household and industrial chemicals impair immune system function (5 juillet 2020).
5 In re 3M Company Securities Litigation,D. New Jersey, No. 2:19-cv-15982.
6 In re The Chemours Company Securities Litigation,D. Delaware, No. 1:19-cv-01911, Saw v. The Chemours Company et al,D. Delaware, No. 1:19-cv-02074.
7 Ellen M. Gilmer, « Forever Litigated ‘Forever Chemicals’: A Guide to PFAS in Courts », Bloomberg (13 janvier 2020).
8 Bioplastic News "US congress not amused with dupont chemours and 3m in pfas fiasco".
9 The Associated Press, « Judge Dismisses Chemours Lawsuit Against DuPont », The New York Times (30 mars 2020).
10 The Chemours Company v. DowDuPont Inc.,Delaware Court of Chancery, No. 2019-0351.