Dans le jugement Institut canadien d’information juridique c. La Reine1, la Cour canadienne de l’impôt (CCI) a conclu que l’Institut canadien d’information juridique (CanLII) avait effectué une fourniture taxable en exploitant une bibliothèque de droit en ligne et que le financement discrétionnaire qu’il avait reçu (le financement) de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (la Fédération) constituait une contrepartie de cette fourniture. La CCI a confirmé que CanLII avait perçu à juste titre la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TVH) sur ce financement, et que CanLII avait le droit de demander des crédits de taxe sur les intrants (CTI) afin de recouvrer la TVH payée dans le cadre de l’exploitation de la bibliothèque de droit virtuelle. Sa Majesté a soutenu que le financement n’était pas une « contrepartie », parce que : a) il était discrétionnaire et b) CanLII n’avait pas aucun droit légal d’en exiger le versement.
Dans cette décision, la CCI a retenu une interprétation large de la « contrepartie » aux fins de la TVH. Les organismes qui reçoivent du financement ou des subventions pour poursuivre leurs activités souhaiteront peut-être, à la lumière de cette décision, revoir les incidences de ces paiements sur la TVH. De façon plus générale, les parties souhaiteront peut-être réexaminer l’incidence de ce jugement sur le sens de la contrepartie dans des opérations commerciales multipartites.
Ce que vous devez savoir
- La « contrepartie » constitue le fondement du calcul de la dette de TVH.
- La « contrepartie » est un concept large, qui peut couvrir les montants payés ou payables pour une fourniture, même si le fournisseur n’a aucun droit légal d’exiger ce paiement2.
- Eu égard à cette interprétation de la « contrepartie », les fournisseurs pourraient avoir des obligations beaucoup plus importantes que prévu en matière de perception de la TVH.
- Cette décision comporte peut-être un aspect positif, car elle pourrait permettre aux organismes à but non lucratif de demander des CTI pour compenser les frais de TVH qui étaient précédemment considérés comme des frais non recouvrables.
Contexte
CanLII est une personne morale à but non lucratif qui exploite une bibliothèque de droit virtuelle ouverte au public, qui peut y avoir accès sans frais3. Selon la preuve présentée devant la Cour, ce sont principalement des avocats qui utilisent la bibliothèque.
La Fédération a créé CanLII et lui verse la majeure partie du financement que celui-ci reçoit. La Fédération devait payer une cotisation annuelle à CanLII conformément à une entente de gouvernance (l’entente) conclue entre elle-même et les ordres professionnels de juristes. Selon l’entente, CanLII recommandait un certain niveau de financement chaque année. La Fédération devait examiner cette recommandation, mais n’était nullement tenue de la suivre, et pouvait déterminer à sa guise la somme qu’elle verserait à CanLII4. Cependant, une fois que la Fédération avait déterminé ce montant, tant elle-même que les ordres professionnels de juristes devaient s’en tenir à cette détermination.
CanLII a perçu la TVH sur le financement qu’il a reçu de la Fédération. Il a également demandé des CTI afin de compenser la TVH qu’il avait payée sur ses frais5. Après avoir mené une vérification, le ministre a refusé les demandes de CTI de CanLII au motif que celui-ci effectuait une « fourniture exonérée » plutôt qu’une « fourniture taxable ». Les CTI ne peuvent être déduits que de la TVH payée dans le cadre de la réalisation de fournitures taxables, et le ministre soutenait que CanLII effectuait une fourniture exonérée de services offerts sans frais au public, laquelle fourniture est visée par l’article 10 de la partie VI de l’annexe V de la Loi sur la taxe d’accise (la LTA)6.
La question en litige
La question en litige était de savoir si CanLII pouvait demander des CTI sur la TVH payée sur ses propres frais d’exploitation. Si le financement constituait une contrepartie d’une fourniture, des CTI pouvaient être demandés. Dans le cas contraire, CanLII effectuait une fourniture exonérée (soit l’accès sans frais à sa bibliothèque virtuelle), auquel cas il ne pouvait demander de CTI.
La décision
CanLII a interjeté appel avec succès de la décision du ministre. La CCI a décidé que CanLII pouvait demander des CTI, parce que le financement constituait une contrepartie de la fourniture taxable qu’effectuait CanLII en exploitant sa bibliothèque virtuelle7. En conséquence, la décision du ministre de refuser les CTI demandés par CanLII a été infirmée.
Analyse
Pour avoir le droit de recevoir des CTI, le fournisseur doit avoir engagé ses frais dans le cadre d’« activités commerciales », c’est-à-dire dans le cadre de la réalisation de fournitures taxables. Si « la totalité ou la presque totalité » de l’accès fourni par CanLII à sa bibliothèque virtuelle l’avait été sans contrepartie, CanLII aurait effectué des fournitures exonérées et non des fournitures taxables, et ne pourrait demander des CTI.
Dans un premier temps, la CCI s’est demandé si la « contrepartie » nécessitait l’existence d’une obligation de paiement légalement exécutoire. La CCI a conclu que, pour qu’il y ait contrepartie, il suffit que le paiement soit effectué aux termes d’une obligation légale (qu’elle soit contractuelle ou autre), et qu’il n’est pas nécessaire que le fournisseur soit en mesure d’exiger l’exécution de cette obligation8. De l’avis de la CCI, la source de cette obligation légale résidait dans le règlement administratif de la Fédération et dans l’entente conclue entre celle-ci et les ordres professionnels de juristes. Selon ces deux documents, une fois que la Fédération avait déterminé le montant de financement à verser à CanLII pour une année donnée, elle devait verser ce financement à CanLII et les ordres professionnels de juristes devaient à leur tour verser une contribution à ce financement. En conséquence, la CCI a conclu que les versements de financement devaient être effectués aux termes d’une obligation légale – le fait que le payeur pouvait déterminer à son gré le montant des versements légalement requis n’était pas pertinent9. Le fait que CanLII n’était pas partie à l’entente et n’était donc pas en mesure d’exiger l’exécution de cette obligation de paiement n’était pas non plus pertinent.
La CCI s’est ensuite demandé s’il y avait un lien direct entre les paiements légalement requis et la fourniture, en s’attardant aux circonstances dans lesquelles le paiement avait été effectué. Cette analyse s’impose lorsqu’un paiement autre qu’un paiement d’origine contractuelle doit être versé10.
Dans le cadre de son examen des faits, la CCI a conclu qu’il existait un lien direct entre les paiements effectués par la Fédération et la fourniture de l’accès à la bibliothèque virtuelle11. Plus précisément, le financement a été versé dans le seul but de permettre à CanLII d’exploiter sa bibliothèque virtuelle. En l’absence de financement, il n’y aurait pas de bibliothèque virtuelle12.
Les membres de la Fédération (c’est-à-dire les ordres professionnels de juristes) ont été grandement avantagés par la bibliothèque virtuelle, puisque la plupart des usagers de celle-ci étaient des avocats13 . Enfin, la CCI a invoqué des décisions antérieures pour affirmer qu’une fourniture (l’accès à une bibliothèque virtuelle) peut avoir de nombreux acquéreurs (chacun des usagers et la Fédération)14. Selon la Cour, [traduction) « même dans le cas où une personne qui verse une contrepartie chercherait à avantager une autre personne, le paiement constitue tout autant une contrepartie ».
La CCI a donc conclu que le financement, que la Fondation était légalement tenue de verser à CanLII après en avoir déterminé le montant, constituait une contrepartie au sens de la LTA.
En conséquence, l’appelant avait le droit de percevoir la TVH sur le financement qu’il avait reçu, et de demander des CTI pour compenser la TVH qu’il avait payée dans le cadre de l’exploitation de cette base de données.
Points à retenir
Cette décision est importante en raison de l’interprétation large que la CCI y donne de la définition de la « contrepartie » aux fins de la TVH.
Le jugement CanLII c. La Reine est une décision importante pour tout organisme qui verse ou reçoit du financement ou des subventions. Il est d’autant plus important qu’il pourrait aller à l’encontre de certaines politiques administratives actuelles de l’ARC concernant les subventions. Ces paiements pourraient avoir des conséquences non prévues sur le plan de la TVH s’ils sont considérés comme une « contrepartie » aux fins de la TVH. Ainsi, les organismes à but non lucratif pourraient être tenus de percevoir la TVH sur ce financement, même si celui-ci sert à fournir des produits ou des services sans frais au public. Les organismes devraient se demander si la façon dont ils traitent ces fonds respecte les règles de droit applicables à la TVH, et s’il est possible qu’ils aient droit à des CTI qu’ils ne demandent pas à l’heure actuelle.
Le jugement CanLII c. La Reine rappelle également de façon générale la large portée de la définition de la « contrepartie » aux fins de la TVH. Les parties devraient examiner avec soin leurs obligations liées à la TVH lorsqu’elles concluent des ententes commerciales. Ainsi, l’entente aux termes de laquelle une partie prend en charge des obligations dans le cadre de l’achat d’actifs, consent à partager des services et à participer à la réalisation d’un objectif commercial commun, ou même à faire du troc peut être conclue dans des circonstances où la « contrepartie » (aux fins de la TVH) payée est nettement supérieure au prix d’achat explicite ou aux honoraires versés.
Il reste à voir si Sa Majesté interjettera appel de cette décision. Fait intéressant à souligner, les parties ont présumé que CanLII fournissait un seul service, en l’occurrence l’exploitation d’une bibliothèque virtuelle15.
N’hésitez pas à communiquer avec notre groupe Taxes à la consommation si vous avez des questions au sujet des incidences que cette décision pourrait avoir pour votre entreprise.
1 2020 CCI 56 [CanLII].
2 Ibid., au par. 43.
3 Ibid., au par. 7.
4 Ibid., aux par. 10, 47.
5 Ibid., au par. 16.
6 Selon l’article 10 de la partie VI de l’annexe V, les « fournitures exonérées » comprennent les fournitures effectuées par un organisme du secteur public, si la totalité ou la presque totalité de ces fournitures sont effectuées sans contrepartie (sous réserve de quelques exceptions limitées).
7 CanLII, précité note 1au par. 60.
8 Ibid., au par. 43.
9 Ibid., aux par. 50-51.
10 Ibid., au par. 52.
11 Ibid., aux par. 54-56.
12 Ibid., au par. 54.
13 Ibid., au par. 56.
14 Ibid., aux par. 57-58.
15 Ibid., au par. 27.