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Perspectives

La Cour s’en remet à la décision de l’hôpital en période de pandémie

En réponse à la pandémie COVID-19 et sur recommandation du médecin-hygiéniste en chef le 19 mars dernier, les hôpitaux de l’Ontario ont modifié leurs politiques de visite afin de limiter l’accès aux « visiteurs essentiels » uniquement. Cette décision a été prise pour prévenir la propagation du coronavirus et, en particulier, pour protéger les patients et le personnel des hôpitaux contre l’infection.

Le 9 avril 2020, la Cour divisionnaire de l’Ontario (la Cour) s’est prononcée à la suite de contestation de la nouvelle politique du North York General Hospital (l’Hôpital) limitant les visites. Le recours a été introduit par le représentant légal (également fils) d’un patient âgé de 77 ans et médicalement stable. Le demandeur s’adresse alors au tribunal afin qu’il déclare nulle et sans effet la politique et qu’il ordonne à l’hôpital de lui accorder un droit de visite complet et sans entrave. Le 20 avril, la Cour rejette cette demande (voir 2020 ONSC 2335, en anglais).

Il est à noter qu’en raison des mesures de distanciation sociale prises pendant la pandémie, il s’agissait de la première audience virtuelle tenue dans l’histoire de la Cour divisionnaire.

Ce que vous devez savoir

  • La Cour a déterminé que la décision de l’hôpital de restreindre l’accès à ses locaux n’était pas une décision soumise au contrôle judiciaire.
  • La Cour a reconnu et, en fin de compte, s’en est remise à l’expertise et à l’expérience de l’Hôpital, ce dernier ayant démontré que sa décision était justifiée eu égard aux preuves médicales et scientifiques disponibles dans le contexte de la pandémie.
  • La Cour a conclu que la politique des visiteurs ne violait pas les droits du patient en vertu des articles 7, 12 et 15 de la Charte des droits et libertés (la Charte).
  • La Cour a confirmé que le consentement éclairé n’a pas besoin d’être donné en personne par un tuteur; il peut être donné par téléphone ou par courriel.

La décision d’un hôpital de limiter les visiteurs n’est pas soumise à un contrôle judiciaire

Les décisions prises par un établissement ne sont pas toutes soumises au contrôle judiciaire. Pour que la compétence du tribunal existe, la décision doit être prise en vertu d’un pouvoir statutaire et être de nature publique. Ni l’un ni l’autre de ces critères n’étaient présents dans cette affaire. Les exemples usuels de décisions soumises au contrôle judiciaire sont celles des tribunaux administratifs ou mettant en œuvre un programme gouvernemental précis.

En prenant la décision de restreindre l’accès des visiteurs, l’hôpital n’agissait pas en vertu d’un pouvoir conféré par un texte de loi, c’est-à-dire un pouvoir accordé par le législateur. Ni la Loi sur les hôpitaux publics ni son règlement ne dictent comment un hôpital doit régir l’accès des visiteurs à ses locaux. La Cour confirme qu’un hôpital n’est pas tenu par la loi de fournir un accès général et illimité aux visiteurs.

Si la décision de restreindre l’accès des visiteurs affecte certainement le public, cela n’est pas suffisant pour déclencher la surveillance du tribunal. Pour être considérée comme étant de nature suffisamment publique et donc être soumise au contrôle judiciaire, la décision doit aller plus loin; elle doit être « publique » au sens du « droit public ». En d’autres termes, l’établissement doit exercer un pouvoir central dans le cadre du mandat administratif qui lui a été confié par le gouvernement. En l’instance, le pouvoir de l’hôpital découle de ses droits en tant qu’entité indépendante (plutôt qu’en tant qu’agent du gouvernement). En outre, la Cour a déclaré que [TRADUCTION] « bien qu’il soit attendu des hôpitaux qu’ils suivent la recommandation [du médecin-hygiéniste en chef], ils ne sont pas légalement contraints de le faire ».

Dans sa décision de 13 pages, la Cour a souligné la complexité des décisions auxquelles est confrontée l’administration d’un hôpital pendant une pandémie. Elle souligne également l’expertise de l’hôpital dans la prise de ces décisions [TRADUCTION] :

Les critiques formulées par le demandeur à l’égard de la politique de visiteurs, de ses prétendues incohérences et de ses failles logiques, constituent en réalité une tentative d’engager la Cour à réexaminer les facteurs, considérations et choix complexes et souvent difficiles qui doivent être évalués par l’administration d’un hôpital pendant une pandémie. Ce n’est pas le rôle de la Cour. L’hôpital dispose d’une énorme expertise et de connaissances spécialisées pour exercer son pouvoir discrétionnaire sur les questions relatives à la gestion de l’hôpital pendant une pandémie, dont l’une d’entre elles est la politique de visiteurs. Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’hôpital dans ces circonstances.

La politique de visiteurs n’enfreint pas la Charte des droits et libertés

Le demandeur a fait valoir que la politique de visite violait les droits de son père à (1) l’égalité, (2) la vie, la liberté et la sécurité de la personne et (3) la protection contre les peines cruelles et inusitées. Bien qu’elle ait décidé que la décision n’était pas susceptible de contrôle judiciaire, la Cour a néanmoins examiné et rejeté ces arguments fondés sur la Charte.

La contestation portait essentiellement sur la question de savoir si le droit à l’égalité du patient était violé, notamment parce que des exceptions étaient prévues pour certains visiteurs (par exemple les visiteurs des patients en fin de vie, âgés de moins de 18 ans ou des femmes qui ont donné naissance), mais pas pour d’autres. Il a fait valoir que ces distinctions imposaient une charge indue et discriminatoire aux personnes âgées et aux personnes souffrant de handicaps mentaux.

La Cour a conclu que la politique de visiteurs n’est pas discriminatoire, mais qu’elle est plutôt [TRADUCTION] « ancrée dans l’expertise des professionnels de la médecine et de la santé publique exerçant leur jugement professionnel, qui est à son tour fondé sur des preuves scientifiques et des données épidémiologiques ». La distinction faite entre ceux qui ont bénéficié d’une exception et ceux qui n’en ont pas bénéficié était fondée sur la gravité de l’impact du virus selon la démographie des patients visités. Par exemple, les preuves médicales ont démontré que les personnes âgées sont plus susceptibles de subir des conséquences graves si elles sont infectées par la COVID-19, tandis que les enfants ne sont pas affectés au même degré.

La Cour a souligné que la décision de l’hôpital était fondée sur des preuves et des préoccupations médicales valables pour protéger la sécurité des patients. Elle n’était pas arbitraire (en ce qu’elle remplissait son objectif de protection de la communauté hospitalière), elle n’était pas excessivement large (en ce qu’elle ne touchait pas plus de personnes qu’elle ne le devait) et elle n’était pas grossièrement disproportionnée (en ce qu’elle n’allait pas trop loin pour protéger les patients).

Le consentement éclairé peut être obtenu à distance

Une partie de l’argumentaire du demandeur était qu’il était incapable de remplir ses fonctions de représentant légal pour son père sans être avec lui en personne.

La Cour a confirmé qu’il n’est pas nécessaire qu’un tuteur soit physiquement présent pour donner son consentement. Elle a expliqué que « cette exigence ne serait pas pratique ou possible à remplir ». Le consentement peut plutôt être obtenu par le professionnel de la santé par le biais d’une consultation par téléphone et par courriel. La Cour a noté que cela n’est pas unique à la pandémie, car les professionnels de la santé obtiennent régulièrement le consentement des représentants légaux de cette manière, et ce même en dehors du contexte de pandémie.

À retenir

Tout au long de la pandémie, les professionnels de la santé de l’Ontario se sont engagés dans un processus décisionnel complexe et évolutif fondé sur les preuves médicales et d’experts disponibles (et changeantes). Bien que les hôpitaux reconnaissent que les restrictions de visites pendant la pandémie sont très difficiles pour les familles et les patients, la décision de la Cour dans cette affaire confirme que les hôpitaux bénéficient d’une certaine déférence dans la prise de décisions nécessaires pour protéger leur personnel et leurs patients, à condition que leurs décisions soient prises :

  • en fonction des meilleures preuves cliniques et scientifiques disponibles à ce moment;
  • dans le but de protéger la sécurité des patients et du personnel hospitalier; et
  • en tenant bien en compte les personnes concernées par ces décisions.

Alors que les services de santé de partout au pays sont confrontés à des décisions difficiles découlant de la pandémie, le groupe spécialisé en droit de la santé de BLG est à votre disposition pour vous aider. Pour plus d’informations sur les incidences de cette décision pour votre organisation, n’hésitez pas à contacter l’un des coauteurs de cet article.

  • Par : Anna Marrison, Ewa Krajewska, Barbara Walker-Renshaw, John McIntyre

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