D’importantes modifications à la Loi sur la construction de l’Ontario (anciennement la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction) sont entrées en vigueur en 2018 et 2019. Ces modifications ont une incidence considérable sur les baux commerciaux. Les locateurs devront notamment être plus proactifs s’ils veulent éviter d’être assujettis à des privilèges. Quant aux locataires, la prolongation des périodes de privilège pourrait les contraindre d’attendre avant de recevoir des allocations pour améliorations.
Modifications apportées
Retrait de la possibilité d’exclusion
L’article 19 de l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction permettait à un locateur de restreindre sa responsabilité à l’égard des privilèges. L’entrepreneur devait aviser le locateur par écrit de tout projet de construction avant le début des travaux. Le locateur pouvait ensuite décliner toute responsabilité quant au projet.
Cette option n’est plus offerte dans la nouvelle loi. Par conséquent, les locateurs sont plus susceptibles de voir leur immeuble être assujetti à un privilège. Selon les circonstances, les locateurs pourraient envisager :
- l’utilisation de cautionnements de paiement de la main-d’œuvre et des matériaux ou de lettres de crédit comme garantie supplémentaire pour l’ensemble du projet;
- le recours à des clauses obligeant les locataires à faire radier tout privilège de construction;
- le recours à des clauses prévoyant une indemnisation en cas de privilège de construction.
Intérêt du locateur assujetti à un privilège à concurrence de 10 % de sa contribution
Dans la version modifiée de la Loi sur la construction, l’intérêt d’un locateur qui accepte de payer pour des améliorations (par exemple au moyen d’ententes d’aménagement ou d’allocations et incitatifs versés au locataire) en totalité ou en partie peut être assujetti à un privilège jusqu’à concurrence de 10 % de la valeur de sa contribution.
La portée de cette disposition est vaste. Elle peut s’appliquer aux crédits, aux allocations, aux ententes d’aménagement et aux incitatifs. Il est donc prudent :
- de s’assurer que les allocations et les crédits accordés par le locateur autrement que pour des améliorations locatives sont clairement indiqués dans le bail, le cas échéant;
- de prévoir une retenue équivalant à 10 % de la contribution du locateur, payable à l’extinction du privilège, si le locateur contribue financièrement aux améliorations;
- d’envisager l’utilisation de cautionnements de remboursement de retenue ou de lettres de crédit comme garantie supplémentaire. Prolongation des périodes d’extinction des privilèges
Sous le régime de l’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction, les créanciers privilégiés disposaient de 45 jours suivant des événements précis pour enregistrer des privilèges. En vertu des modifications apportées à la nouvelle Loi sur la construction, ils disposent maintenant de 60 jours.
Les locataires devraient prendre note qu’ils devront attendre 15 jours de plus avant de recevoir l’allocation ou le crédit de la part du locateur si celui-ci retient les allocations jusqu’à ce que les privilèges ne puissent plus être enregistrés.
Statut de « propriétaire » du locateur
La nouvelle Loi sur la construction confirme qu’un locateur peut être considéré comme un « propriétaire » au sens de celle-ci, c’est-à-dire qu’il peut être tenu responsable de l’insuffisance au compte des retenues effectuées par un locataire (et possiblement du supplément de retenue suivant un avis de privilège). Rappelons que les locateurs qui demandent des améliorations peuvent être réputés propriétaires selon qu’ils bénéficient des améliorations ou y consentent, et selon leur niveau de surveillance ou de participation dans le projet de construction.
Par conséquent, ils pourraient avoir intérêt à demander aux locataires une indemnité à l’égard des coûts associés aux privilèges de construction (y compris les frais juridiques).
Augmentation du cautionnement pour dépens
Dans sa version antérieure, la Loi prévoyait que, lorsque le locateur ou le locataire souhaitait annuler le privilège auquel était assujetti un immeuble, la partie demandant l’annulation devait déposer à titre de caution une somme égale à la valeur du privilège majorée de 25 %, jusqu’à concurrence de 50 000 $. Dans la nouvelle version, cette somme est égale à la valeur du privilège majorée de 25 %, jusqu’à concurrence de 250 000 $.
Les locateurs et les locataires devraient donc prendre note que l’annulation de privilèges est maintenant beaucoup plus onéreuse pour les projets d’envergure : ils doivent prévoir une somme plus élevée à titre de caution pour dépens.
Autres modifications importantes
- Paiements rapides : Les propriétaires, les entrepreneurs et les sous-traitants sont tenus de respecter le nouveau régime de paiements rapides, lequel s’enclenche par la remise d’une « facture en bonne et due forme » (au sens de l’article 6.1 de la Loi) de la part de l’entrepreneur ou du propriétaire.
- Arbitrage intérimaire : Une partie peut soumettre un différend en matière de construction concernant le paiement ou l’évaluation à un arbitre intérimaire. Cela signifie qu’un locateur peut obliger un locataire (et vice-versa) à participer à un processus d’arbitrage intérimaire.
Comment puis-je savoir si les modifications s’appliquent?
Si le bail a été conclu... |
... et si les travaux ou, le cas échéant, le processus d’approvisionnement ont commencé... |
... ce qui suit s’applique : |
avant le 1er juillet 2018 |
avant le 6 décembre 2018 |
The old L’ancienne Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction s’applique intégralement. |
le 6 décembre 2018 ou plus tard, mais avant le 1er octobre 2019 |
La nouvelle Loi sur la construction s’applique, sauf les dispositions sur les paiements rapides et l’arbitrage intérimaire. |
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le 1er octobre 2019 ou plus tard |
La nouvelle Loi sur la construction s’applique intégralement. |
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le 1er juillet 2018 ou plus tard |
avant le 1er octobre 2019 |
La nouvelle Loi sur la construction s’applique, sauf les dispositions sur les paiements rapides et l’arbitrage intérimaire. |
le 1er octobre 2019 ou plus tard |
La nouvelle Loi sur la construction s’applique intégralement. |
Kara Takagi et Stéphanie Murray sont avocates à notre bureau d’Ottawa. Kara fait partie de notre groupe Construction et Stéphanie travaille à notre Centre national d’aide en matière de location.