Dans son récent jugement Dunbar v. Northern Air, 2019 CPAB 79, la Cour provinciale de l’Alberta rappelle aux employeurs que « mise à pied » n’est pas synonyme de « licenciement », même si les deux termes sont utilisés indifféremment dans le langage courant. Dans la décision Canada Safeway Ltd c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 RCS 1079, la Cour suprême du Canada a défini la mise à pied comme une cessation d’emploi lorsqu’il y a possibilité ou expectative de retour au travail. La relation d’emploi est suspendue plutôt que rompue.
Contexte
M. Dunbar a été embauché en juin 2014 en vertu d’un contrat de travail qui ne renfermait aucune clause concernant les mises à pied. Il était question, dans le guide de l’employeur, de mises à pied, avec possibilité de rappel, dans certaines conditions économiques; toutefois, tant ce document que l’accusé de réception signé précisaient que le guide et les politiques de l’employeur ne constituaient pas un contrat de travail. Aucune disposition du guide ne pouvait être invoquée par l’employé pour engager la responsabilité de l’employeur. Le contrat de travail ne faisait pas non plus référence au guide en tant que condition ou modalité d’emploi.
Le 30 juin 2016, l’employeur, Northern Air, a téléphoné au demandeur pour l’informer de sa mise à pied le jour même en raison de mesures de restructuration et de réduction des effectifs. L’employé a cru qu’il perdait son emploi, mais le défendeur a indiqué qu’il s’agissait d’une mise à pied, et non d’un licenciement. En septembre 2016, l’employeur a fait parvenir à l’employé une lettre de rappel au travail, laquelle a été refusée par l’employé.
Décision
Dans sa décision, la Cour provinciale de l’Alberta a appliqué la règle de common law selon laquelle un employeur peut effectuer une mise à pied uniquement s’il en a le droit contractuel. La Cour a estimé que les modalités de mise à pied mentionnées dans le guide de l’employeur n’avaient aucune incidence sur l’emploi de l’employé, puisqu’il ne s’agissait pas d’une disposition prévue dans son contrat de travail. De plus, aucun autre accord ne liait les parties concernant une éventuelle mise à pied. En conséquence, la Cour a conclu que Northern Air avait mis fin à l’emploi de M. Dunbar et que ce dernier aurait dû bénéficier d’un préavis raisonnable en vertu de la common law.
Dispositions législatives
L’article 62 de l’Employment Standards Code de l’Alberta (le « Code ») autorise tout employeur à mettre à pied un employé, mais rien n’indique si les dispositions du Code l’emportent sur la règle de common law selon laquelle la mise à pied est conditionnelle à un accord contractuel. Dans l’arrêt Vrana v. Procor, 2004 ABCA 126, la Cour d’appel de l’Alberta a laissé cette question en suspens; dans la décision Dunbar, le juge a déclaré quant à lui que les dispositions du Code ne modifiaient pas la règle de common law et qu’elles ne s’appliquaient que dans les cas où l’employeur avait un droit contractuel de mettre à pied un employé. Il sera donc important de voir si la jurisprudence subséquente approfondira cette question.
Bien que, dans Dunbar, la Cour n’ait pas analysé les dispositions du Code relatives aux mises à pied (ayant déclaré que la cause était régie par la common law, même si les dispositions du Code ont été prises en compte), l’examen des faits soumis indique que l’employeur n’a pas respecté les dispositions du Code. Dans Vrana, la Cour a statué qu’un employeur qui entend mettre à pied un employé devrait lui fournir un préavis raisonnable faisant non seulement état de la mise à pied et de sa date d’effet, mais également des articles pertinents du Code qui en expliquent les modalités (articles 62, 63 et 64). Les exigences relatives au contenu du préavis sont indiquées au paragraphe 62(3) du Code.
Le Code exige que ce préavis soit donné :
- au moins une semaine avant la date d’effet de la mise à pied si l’employé est au service de l’employeur depuis moins de deux ans;
- au moins deux semaines avant la date d’effet de la mise à pied si l’employé est au service de l’employeur depuis deux ans ou plus;
- le plus tôt possible, si l’employeur ne peut fournir de préavis conformément aux dispositions qui précèdent en raison de circonstances imprévisibles.
Il convient également de noter que la mise à pied ne dure pas indéfiniment. Le Code stipule en effet qu’après une mise à pied totalisant 60 jours au cours d’une période de 120 jours, l’emploi est réputé avoir pris fin, à moins que :
- l’employeur, d’un commun accord avec l’employé, ne lui verse un salaire ou une somme compensatoire ou encore ne contribue à son régime de retraite ou d’assurance collective (ou tout autre régime analogue) au cours de la période de mise à pied;
- il n’existe une convention collective liant l’employeur et l’employé qui accorde un droit de rappel à l’employé après sa mise à pied.
Conclusion
À la lumière de la décision Dunbar, les employeurs qui désirent se prévaloir de la possibilité de mettre à pied leurs employés devraient l’indiquer clairement dans leurs contrats de travail. Les employeurs devraient en outre s’assurer de respecter scrupuleusement les dispositions du Code relatives aux mises à pied.