Le 31 mai 2019, la Cour d’appel s’est prononcée, dans la décision Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois1 (« Kativik »), sur les critères applicables à un congédiement administratif pour incompétence. Cet arrêt fait suite à une sentence arbitrale qui a remis en question l’état du droit quant aux critères que doit respecter un employeur lorsqu’il souhaite se départir d’un salarié incompétent. Ces critères, bien établis dans la jurisprudence depuis l’arrêt Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante2 (« Costco ») rendu en 2005, sont les suivants:
- Le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes de l’employeur à son endroit;
- Ses lacunes lui ont été signalées;
- Il a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
- Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
- Il a été prévenu du risque de congédiement faute d’amélioration de sa part.
Sentence arbitrale et révision judiciaire
Le 23 mars 2015, l’arbitre Jean Ménard rend une sentence3 par laquelle il accueille un grief et annule le congédiement administratif d’un salarié pour incompétence puisque l’employeur a failli à son obligation de réaffecter le salarié à des tâches moins exigeantes. En effet, un poste de réceptionniste, que le salarié avait déjà occupé auparavant, était disponible. L’arbitre reproche à l’employeur d’avoir imposé au salarié un délai trop court de trois (3) jours pour déterminer s’il souhaitait occuper ce poste.
L’employeur dépose un pourvoi en contrôle judiciaire, soutenant que les efforts raisonnables de l’employeur pour réaffecter un salarié avant de le congédier pour incompétence ne font pas partie du test à cinq (5) critères applicable aux employeurs québécois depuis Costco. Le 4 octobre 2017, la Cour supérieure maintient la décision de l’arbitre Ménard, considérant que celle-ci fait partie des issues raisonnables.
Ainsi, le juge Pierre C. Gagnon conclut que les critères de l’arrêt Costco proviennent du test « Edith Cavell », énoncé dans la sentence arbitrale Edith Cavell Private Hospital v. Hospital Employees’ Union, Local 8104, rendue en Colombie-Britannique et confirmée par la Cour suprême du Canada en 2004 5. Le test « Edith Cavell » comprend quant à lui l’obligation de réaffecter dans la mesure du possible un salarié incompétent. Selon le juge, rien ne justifiait que le test Costco au Québec ne retienne pas ce critère. Par ailleurs, il s’agit d’une obligation de moyen et chaque cas est un cas d’espèce.
Vous pouvez d’ailleurs trouver ici un de nos bulletins antérieurs dans lequel nous analysons plus en détail l’évolution jurisprudentielle au Québec des critères entourant le congédiement administratif pour incompétence ainsi que la décision de la Cour supérieure ayant fait l’objet de l’appel.
Arrêt de la Cour d’appel dans Kativik
Le 15 août 2018, la requête de l’employeur pour permission d’appeler est accueillie. Pour l’essentiel, l’employeur soutient qu’en lui imposant l’obligation de réaffecter le salarié à un autre poste, l’arbitre a ajouté aux critères approuvés par la Cour d’appel dans l’arrêt Costco et fait fi du droit applicable au Québec.
L’appel est rejeté. La question de savoir si un congédiement pour rendement insatisfaisant est justifié est contextuelle et doit s’apprécier en fonction des particularités de l’affaire. Il n’est pas exclu qu’un arbitre de griefs puisse néanmoins conclure au caractère injustifié d’un congédiement administratif lorsque l’employeur n’a pas repéré au sein de son entreprise un autre emploi disponible compatible avec les aptitudes du salarié visé. La sentence arbitrale a tous les attributs du caractère raisonnable, même si un autre décideur aurait pu arriver à une autre conclusion.
La Cour d’appel clarifie toutefois que l’arbitre n’a pas souhaité imposer une obligation systématique de relocaliser le salarié incompétent dans un nouveau poste avant de le congédier administrativement. Elle ajoute d’ailleurs que le juge de première instance n’aurait pas dû statuer sur sa propre vision du droit applicable à un congédiement administratif, mais uniquement sur le caractère raisonnable de la sentence arbitrale, et qu’elle ne partage pas son approche.
Recommandations
Par conséquent, bien que le plus haut tribunal de la province confirme les conclusions de l’arbitre et de la Cour supérieure dans l’arrêt Kativik, il clarifie que l’obligation de l’employeur de déployer des efforts raisonnables pour réaffecter un salarié avant de le congédier administrativement pour incompétence ne constitue pas un critère rigide qui s’ajoute aux cinq (5) autres critères de l’arrêt Costco que l’employeur doit systématiquement respecter.
D’ailleurs, depuis la décision de la Cour supérieure, les décideurs ne s’entendent pas quant à l’application de l’obligation de réaffectation comme sixième critère du test Costco. Nous avions d’ailleurs publié un bulletin, que vous pouvez retrouver ici, sur une décision rendue par le Tribunal administratif du travail qui refusait d’ajouter un sixième critère au test Costco.
Reste à voir comment les tribunaux administratifs et d’arbitrage interpréteront ce sixième critère à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel. Par ailleurs, nous ne savons pas à ce stade si l’employeur portera l’affaire devant la Cour suprême du Canada.
Nous ne pouvons cependant plus ignorer le fait que la réaffectation d’un salarié doit faire partie du processus de réflexion de l’employeur avant de congédier un salarié dont le rendement est insatisfaisant, surtout lorsque les circonstances laissent présager que le salarié pourrait avec aisance occuper un autre poste vacant, comme c’était le cas dans l’affaire Kativik. Sans être un critère décisif, celui-ci peut rendre le décideur plus enclin à annuler un congédiement pour incompétence.
1 2019 QCCA 961.
2 2005 QCCA 788.
3 2015 QCTA 247.
4 [1982] 6 LAC (3d) 229.
5 A.U.P.E. c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28.